Les Frères Sarrafian
Les Frères Sarrafian
Issus d'une famille de Protestants Arméniens, les trois frères Sarrafian: Abraham (né en 1873), Boghos (né en 1876) et Samuel (né en 1884) sont originaires de Dikranagered.
Elèves à l'école primaire nationale arménienne, Abraham et Boghos Sarrafian poursuivront leurs études complémentaires à l'American High School de Mardin, en Turquie. A l'âge de 14 ans, Abraham y étudie les sciences ainsi que l'arabe et l'anglais et obtient son diplôme au bout de quatre ans. Boghos, quant à lui, poursuit des études complémentaires d'anglais et d'arabe.
Tout jeune homme, à dix-huit ans, Abraham Sarrafian est envoyé à l'école américaine de Mediet pour y enseigner. Un an plus tard, il retourne dans sa ville natale Dikranagered, y ouvre un laboratoire de photographie avec son frère Boghos et se rend à Berlin pour un stage de perfectionnement.
Passionnés de photographie, les deux frères entreprennent en 1894 une expédition de huit mois en Mésopotamie, jusqu'à Mossoul, où ils photographient les anciens vestiges de la ville. Les points de vue retenus lors de leurs voyages reflètent leur capacité à s'adapter aux découvertes faites sur place. Suivant l'exemple de leur père, ils ouvrent à leur retour de voyage un magasin d'antiquités. En effet, Monsieur Sarrafian, banquier de profession, pratique aussi le commerce de tapis et il est connu en tant qu'antiquaire et numismate.
Trois mois après leur retour à Dikranagered surviennent les événements tragiques de 1895 qui vont marquer le cours de leurs vies respectives. Sauvés in extremis durant les massacres et les pogroms de 1895, les frères Sarrafian décident de quitter leur patrie en 1897. Ils arrivent à Beyrouth dans l'intention de joindre l'Europe. Comme ils maitrisent très bien l'arabe, des Libanais et missionnaires protestants encouragent Abraham et Boghos à s'installer à Beyrouth et à y faire venir leurs familles. En effet, en février 1896, Abraham Sarrafian avait épousé Yeranig Garabedian, fille du dirigeant de l'Eglise Episcopale Arménienne de Dikranagered, éduquée à l'école anglaise de Jaffa puis à l'école de Mardin. Ainsi, leur jeune frère Samuel entrera à l'Université Américaine de Beyrouth et obtiendra un diplôme en gestion d'entreprise.
Grace à leur honnêteté, leur intelligence, leur habileté et l'énergie qu'ils mettent au travail, ils connaissent un vif succès. A l'aube du XXe siècle, la photographie est un art qui permet de représenter la réalité sans les fantaisies et les dérives de la peinture. Sillonnant le Proche et le Moyen-Orient, ils photographient différents sites archéologiques et monuments célèbres du Liban et de Syrie et se font connaître progressivement dans la région. Ils installent leur studio dans le quartier de Bab Idriss à Beyrouth en 1895. Cet atelier poursuivra son activité longtemps après le décès des frères Sarrafian, jusqu'en 1975, début de la guerre civile au Liban.
Fondateurs de la société Sarrafian Bros., ayant pour principale activité la photographie et l'édition de cartes postales, ils agrandissent par la suite leur entreprise, ouvrant de nouvelles branches dans les villes de Syrie et même de Palestine. La notoriété de leurs établissements et de leurs travaux se développe au fil des ans. Ainsi, les frères Sarrafian sont rapidement reconnus comme les plus grands éditeurs de cartes postales au Proche-Orient, et Abraham Sarrafian, devenu photographe attitré du Collège Protestant Syrien (future Université Américaine de Beyrouth), remporte en 1925 le prix du meilleur photographe au concours de Dhour el-Shoueir. Samuel Sarrafian est chargé, au sein de la société, de la vente des cartes postales et des objets d'art.
N'ayant de cesse de chercher à comprendre la culture et le mode de vie au Liban, la société Sarrafian Bros. a photographié et retransmis avec beaucoup de fidélité la vie traditionnelle des villages avec leurs costumes et leurs coutumes. Sa production de cartes postales à été colossale et ses photographies font aujourd'hui figure de référence pour les historiens et anthropologues étudiant cette période.
La Première Guerre mondiale amène au Mont-Liban son cortège de malheurs: le blocus, instauré par les autorités ottomanes, réduit la population de son tiers, entraînant famine, peste et invasion de sauterelles. Les Arméniens ont été, à cette période, victimes de graves persécutions; un nombre considérable d'entre eux sont envoyés dans les déserts de Deir el-Zor, Madn et Kirkouk pour y être torturés et massacrés. Les frères Sarrafian ont fait preuve d'un engagement et d'un dévouement exemplaires pour porter secours non seulement à leurs compatriotes, mais aussi à d'autres victimes de cette période dramatique de l'Histoire.
Abraham Sarrafian est le père de cinq enfants, deux garçons Tigran et Levon, et trois filles Araxie, Arminée et Any. Il a été conseillé épiscopal et premier représentant de la communauté évangélique. A partir de 1920, lors de l'arrivée en masse à Beyrouth d'Arméniens ne parlant que le turc, les prêches qui se faisaient généralement en turc dans les églises évangéliques sont désormais dites en arménien grâce aux efforts d'Abraham Sarrafian. Beyrouth étant un port important, de nombreux survivants des déserts arrivent misérables, à moitié nus, affamés, épuisés et sans ressources. Abraham Sarrafian met alors de coté son travail et sa famille, pour venir en aide, sans relâche, à ses compatriotes. Plus son peuple souffrait, plus il éprouvait de la sympathie à leur égard, travaillant et se sacrifiant d'avantage. Il rend beaucoup de services aux milliers de personnes venues de Cilicie en Syrie et plus spécialement à Beyrouth, avec l'aide d'autres Arméniens dévoués, tel que le docteur Melkonian. Sa position de président de l'Union Nationale, de l'Union Générale des Bénévoles Arméniens, et du conseil d'administration de l'orphelinat d'Aintab, mais aussi d'administrateur de l'orphelinat Kaledjian, lui permet de les aider d'avantage. Par ses conseils avisés, il contribue également à aider le Secours du Proche-Orient et, en entretenant de bonnes relations avec les membres du gouvernement, il peut mener à bien ses activités bénévoles.
Boghos Sarrafian épouse Anna Tufekjian. Père d'une fille, Takouhie, et de deux garçons, Georges et Yervant, il devient un grand nationaliste. Grâce à ses amitiés et relations dans la presse, il peut envoyer de grandes quantités de blé et de farine au Monastère Arménien de Bzoummar qui abrite de nombreux refugiés ainsi que des moines désespérés, les sauvant ainsi d'une mort certaine. Il vient notamment en aide à trois condamnés à mort, M. Osken Bedrossian et deux musulmans arabes, qui avaient fui le service militaire; ces trois détenus ont été libérés grâce à l'intervention de Boghos Sarrafian. Sa femme, Anna, est également une véritable patriote arménienne, engagée auprès de son mari dans ses activités nationales.
Tout comme ses frères, Samuel Sarrafian est un homme désintéressé, inlassablement dévoué à sa patrie. Il prend pour épouse Zabel Agemian et a un fils Karnig et trois filles Satenig, Anahid et Sona. Parmi ses nombreuses activités patriotes, Samuel Sarrafian apporte sa contribution au Catholicos Sahag pour l'établissement du Saint-Siège de Cilicie à Antelias. Pour ce faire, Samuel, avec l'aide de ses frères, tente d'obtenir gratuitement la terre appartenant au Secours du Proche-Orient à Antelias. Leurs efforts sont récompensés. Aujourd'hui, c'est le Catholicosat Arménien de Cilicie.
Abraham Sarrafian meurt d'une crise cardiaque le 16 juin 1926 à l'age de 56 ans. De nombreux journaux arméniens et locaux lui rendent hommage. Le directeur du Broumana High School, M.N. Fox écrit: « … une persona grata parmi les hommes de différentes culture. L'homme profondément religieux prêchait en anglais et an arménien. L'antiquaire possédait des reliques d'une grande valeur, connaissant tout de leur histoire tandis qu'il adorait emmener ses amis examiner les pierres précieuses, le Musée National ou encore les sites archéologiques. Le philanthrope aidait son peuple au-delà de ses moyens, partageant ses angoisses et ses souffrances ». Boghos Sarrafian meurt le 11 août 1934. Il est enterré en grande pompe. Samuel Sarrafian meurt à Beyrouth en 1941. Au-delà de leur contribution dans le domaine artistique, les frères Abraham, Boghos et Samuel Sarrafian ont joué un rôle majeur au sein de la communauté arménienne du Liban, portant secours à de nombreux Arméniens au cours de la Première Guerre mondiale.
Les clichés que les frères Sarrafian ont pris pendant plus de trente ans demeurent aujourd'hui un registre unique de Beyrouth, de son histoire et de sa population. Mais l'activité des frères Sarrafian ne s'est pas limitée au Liban. En sillonnant le Proche et Moyen-Orient, ils ont également réalisé de nombreuses prises de vue du Yémen, de la Palestine, de la Turquie et même de l'Iraq.
Aujourd'hui leurs descendances essaiment dans le monde, mais au Liban, si nous trouvons des Buhairy, des Kurban, des Tahan, des Faddoul, des Noun, des Papazian, des Nehmé, des Tcheblakian, des Ogden-Smith et des Tabet, nous ne trouvons plus de Sarrafian dans les nouvelles générations!