Fouad Ephrem Boustany

Une sommité internationale par Joseph Sokhn – Culture Générale, Beyrouth 1998

Le départ pour la retraite du Recteur de l'Université Libanaise Fouad Ephrem Boustany a pris l'allure d'un départ pour de nouvelles découvertes et pour achever une œuvre immortelle de "Dictionnaire encyclopédique" (le 17e tome vient d'être publié).

Ses proches collaborateurs et amis sont émerveillés par l'ardeur avec laquelle il avait gardé de sa carrière universitaire et éducative lors de la mémorable cérémonie qui lui a été consacrée à l'Université libanaise (Faculté de Droit) vers le début de juillet dernier.

En effet, Fouad Boustany commença sa carrière rectorale en 1953. Son nom a toujours rayonné bien avant cette date. Partout on a loué l'humaniste, le conférencier de classe, l'éminent professeur, le Recteur et le grand homme de lettres. La biographie de cet écrivain est jalonnée d'événements sensationnels où s'affirment, souvent le merveilleux courage et la ténacité du Libanais de la haute montagne. Les œuvres de Fouad Boustany dont le nombre a atteint l'an dernier cent vingt volumes, plus réalistes que doctrinaires, sont hautement méritoires. Chacun de ses écrits qu'il veut infaillible est un éclatement de son être, le cri de sa joie et de son angoisse, tandis que sa vie mouvementée l'incite à envisager de continuels projets. Il doit sa célébrité autant à ses activités culturelles et éducatives qu'à la valeur de ses écrits et à son talent.
Parallèlement à cette vie débordante d'activité, Fouad Boustany mène une vie familiale discrète et paisible. C'est un chef de famille d'une rare compréhension et d'un rare dévouement.

Vie et Enfance

Pour se rendre bien compte de la valeur réelle de l'œuvre de Fouad Boustany, il est utile de suivre dès l'origine l'influence de la famille Boustany au Liban et en Orient Arabe sur la formation de la langue. Cette influence hors de proportion avec les services rendus et le mérite réel nous oblige à nous arrêter avec quelques détails sur l'historique de cette illustre famille de souche typiquement libanaise qui a produit de grands talents sur le plan religieux, littéraire, politique et social. La famille Boustany est originaire de Bkerkacha (Liban-Nord) à quelques kilomètres des cèdres millénaires. L'ancêtre Mahfouz El-Boustany et ses fils vinrent s'installer à Deir El-Kamar en l'an 1560, et de la dans certains villages du Chouf notamment à Doubbieh, Dolhamié et Bkechtine.

Les Boustany firent preuve de qualités peu communes d'esprit, de caractère et de positivisme. Ils étaient attirés par les Lettres Arabes.

Fouad Ephrem Boustany naquit à Deir El-Kamar le 15 Août 1906; il est l'aîné de sept garçons. Son père, Georges, occupait de hautes fonctions dans le cadre de l'armée libanaise, sa mère, Emilie El-Kobh, une sainte femme, douce, aimable et intransigeante sur les principes. Elle éleva ses sept garçons en les orientant vers l'amour de Dieu et du prochain. Dans l'allégresse et la vie paisible du foyer, le petit Fouad se rappellera plus tard la beauté des journées, les tendres baisers de sa mère, la présence bienveillante de son père, du bois de Deir, de la place publique et de la fontaine. Il donna de très bonne heure des preuves d'une rare précocité d'intelligence, il commença ses études primaires au collège des Frères Maristes à Deir El-Kamar puis vint à Beyrouth achever ses études secondaires et universitaires à l'Université Saint Joseph. Les Pères Jésuites frappés par sa surprenante imagination et ses dons exceptionnels et plus tard par sa double personnalité humaine et savante, l'engagèrent à partir de 1933 comme professeur de Littérature Arabe et d'Histoire à l'Institut de Lettres Orientales.

Il a été également professeur de Philo chez les Frères Maristes à Jounieh (1931-1934) et au Collège de La Sagesse. Certes, Fouad Boustany avait été envoûté depuis son âge le plus tendre par l'appel de la littérature; à 14 ans il rédigeait déjà dans le journal de Deir El-Kamar des articles de toute beauté. Ce devait être le prélude à plusieurs autres élans en direction des œuvres littéraires et historiques. Son esprit se passionnait pour les lettres arabes et la culture islamique. Epris de philosophie et de sociologie il avait découvert à 16 ans le secret de la réussite de grands penseurs internationaux et orientaux. En même temps qu'il achevait ses études secondaires il se forgeait un avenir culturel brillant. Il aimait la littérature avec les hommes de lettres, la poésie avec les poètes et la politique avec les politiciens. Le 15 Août 1939 il épousa Souad Sarraf dont il eut sept enfants: Hind, Yahia, Harez, Adi, Mounzer, Marina, Guiasse.
A ses heures de loisir, Fouad Boustany méditait attentivement le poème touchant de Victor Hugo intitulé "L'Art d'être grand-père".

L'Homme

Fouad Boustany possède une très vive imagination. Il est surtout écrivain. C'est qu'en effet l'homme chez lui s'explique tout entier par la puissance de sentir. Toute idée vient chez lui d'un sentiment, son activité intellectuelle a été multiple et s'est pas limitée à des études spéciales.
Il a contribue pour une large part à l'étude des institutions islamiques, surtout quand il fut nommé professeur d'histoire et civilisation des pays du Proche-Orient à l'Institut des Sciences Politiques (1945 - 1955). En outre, il a été professeur de Littérature Arabe, de Philosophie Musulmane et d'Histoire Arabe à l'académie des Beaux-arts (1947 - 1953).

L'Educateur

Fouad Boustany a passé quarante ans au service de la jeunesse libanaise. Comme éducateur il cherchait surtout à améliorer ses étudiants, a leur communiquer son souffle patriotique. Nommé directeur de l'Ecole Normale en 1942, il accomplit sa tâche d'une manière parfaite et dota le Liban d'un corps enseignant officiel d'un niveau élevé. L'éducation, disait-il est l'agent du progrès qui est le patient apprentissage du mieux, elle sert à briser le monde monotone dans lequel nous enfermaient la routine et l'hérédité et elle fait les fils meilleurs que les pères. Il est utile de signaler ici que les anciens élèves de Boustany occupent actuellement, de hauts postes et sont les piliers de l'administration officielle. En outre parmi les grands maîtres qui ont formé notre jeunesse, ceux dont nous avons conservé le meilleur souvenir ne sont pas les spécialistes les plus brillants ni les moralistes les plus humains mais les hommes indulgents et honnêtes tels que Fouad Boustany qui ne cherchait ni a nous étonner pas la suprématie de son esprit ni à nous humilier par ses critiques; ses qualités d'éducateur se résument en quelques mots: Il agissait comme le père de famille qui fait preuve d'une humeur égale avec tous ses enfants quels que soient leur caractère, leur intelligence et leur âge. La pédagogie de Fouad Boustany se base sur le principe suivant: Former des hommes capables de penser juste et épris d'idéal, ainsi que des êtres capable d'aimer et de sacrifier. C'est en ce sens qu'on peut dire de lui qu'il est un être rayonnant de chaleur humaine.

Le Conférencier

Ecrites dans un style riche et simple parfois imagé et élégant, les conférences de Fouad Boustany dont le nombre dépassa en trente ans les 4000, lui ont valu une large audience à l'étranger. En effet, notre illustre conférencier fit entendre sa vois aux Etats-Unis, en France, en Afrique du Nord, en Espagne, en Allemagne, et dans presque tous les grandes capitales des pays Arabes. Il a surtout traité des thèmes littéraires concernant l'évolution de la langue Arabe de la culture islamique et de thèmes socio-éducatifs. Il a toujours écrit pour un public déterminé. Parmi ses plus brillantes conférences on peut citer celle concernant les "Maronites" où il dit notamment:

"Les Maronites se groupèrent en communauté solidaire dans la vallée de l'Oronte où il vivait leur patron Saint-Maron au Vème siècle et ils construisirent prés de Hama un monastère immense et prestigieux entouré de trois cents cellules habitées par des moines". Et il ajoute:

"Après la destruction du monastère de Saint-Maron un grand nombre de Maronites guidés par leurs moines se refugièrent au Liban-Nord et constituèrent une espèce de caste pour éviter les persécutions. Ils sont d'une essence très particulière, la vallée sacrée de Kadisha creusée de cellules d'ermites, les cèdres des hauts sommets, symbole de leur vitalité et de leur indépendance et le monastère patriarcal de Kannoubine, résument toute leur histoire". Et il conclut en affirmant que la Bibliothèque du Vatican regorge de documents utiles et précieux sur les Maronites.

On peut signaler enfin que les conférences de Fouad Boustany traçaient une certaine ligne de démarcation entre le vrai et le faux, entre vous et moi... et le moi et le monde extérieur, c'est une nouvelle école où il a tendance à lutter pour la vérité et la justice. C'est cet esprit de sage tout imprégné de bonté et de positivisme que nous retrouvons partout dans ses conférences.

Le Recteur

Avec la nomination du Docteur Fouad Ephrem Boustany comme Recteur, en 1953, l'Université Libanaise accéda presque à l'autonomie tout en entretenant des liens administratifs avec le Ministère de l'Education Nationale. Des efforts exceptionnels furent déployés par le nouveau recteur pour la création et la bonne orientation des différentes facultés notamment celle de pédagogie grâce à sa perspicacité et sa compétence dans le domaine universitaire. Toutefois ces quelques dernières années l'université connut une grande diversité de réactions d'une faculté à l'autre. Certes, il ne se passait pas de semaine sans que l'insatisfaction des étudiants ne se manifesta quelque part. Cette insatisfaction souvent d'ordre politique revêtait aussi un cachet moral et prouvait que les étudiants se trouvaient de plus en plus concernés par la chose publique... Mais grâce à la lucidité et au bon sens du Recteur Fouad Boustany toutes les exigences et les revendications des étudiants ont été minutieusement analysées et obtinrent satisfaction. La société du XXème siècle est aujourd'hui en bien mauvaise posture, dit-il, les problèmes libanais et internationaux les plus aigus sont intellectualisés et c'est précisément au sein de l'Université qu'ils devraient trouver leurs solutions. Il est donc urgent de modifier certaines lois concernant les problèmes éducatifs et universitaires car la loi est faite pour les hommes et non les hommes pour la loi comme les programmes sont faits pour les étudiants et non les étudiants pour les programmes.

L'Ecrivain

Qui ne connait pas l'auteur de "Au temps de l'Emir" et d'"Al-Rawaeh" depuis cinquante ans qu'il écrit sur des thèmes éducatifs et littéraires, publie des livres percutants, parle hautement dans les Cénacles, les cercles et les salons, inonde maints journaux libanais et étrangers de ses articles exaltants II est rare de rencontrer un homme qui foisonne d'idées, d'une bonté et d'une simplicité exemplaires et qui jongle avec le génie.

Fouad Ephrem Boustany mêle à un réalisme dans les faits qu'il raconte surtout au temps de l'Emir Béchir, une sorte de démarche rêveuse qui donne à tout ce qu'il écrit une singulière touche d'authenticité, partage sa vie entre la capitale et sa résidence historique de Deir El-Kamar et comme son œuvre imposante est inspirée par une bonne part par sa vie personnelle on imagine à juste titre que les intrigues du Palais de Beit-Eddine et la vie intime de l'Emir Béchir dont il décrit les différentes étapes revêtent un ton particulièrement vif et naturel. C'est en quelque sorte un étonnant tableau et une suite de faits historiques captivant de la vie et de la cour du grand Emir Libanais.

Ainsi donc l'ouvrage de Boustany sur l'Emir Béchir est-il pour tout Libanais ou étranger qui visite le Palais de Beit-Eddine un complément indispensable au guide touristique. Nombreux sont ceux qui ont été séduits par les brillantes qualités intellectuelles de cet éminent écrivain et sur l'étendue de sa culture et la finesse de son jugement en matière littéraire et historique. Les qualités du cœur valent chez lui les qualités de l'esprit:

Comme écrivain il est classique et il est sans conteste un des éléments les plus représentatifs de la littérature arabe et islamique du XXème siècle.

L'Historien

Fouad Ephrem Boustany n'a jamais jugé un fait selon son optique personnelle, mais il a effectué des enquêtes sérieuses et a étudié les documents nécessaires pour se faire une idée de ce passé qui s'anime et revit sous ses yeux. Ainsi l'on peut affirmer que l'ensemble des événements internationaux dignes d'être rappelés, n'échappèrent guère à l'imagination et à l'intelligence de notre éminent historien. Dans son livre "Histoire du Liban", en collaboration avec le Docteur Assad Rustom (1933), il a réussi à atteindre son but en nous dévoilant les secrets des événements qui marquèrent l'histoire de notre pays depuis l'ère gréco-romaine jusqu'aux Ottomans.

Quoi qu'il en soit Fouad Ephrem Boustany n'a jamais douté de la cause du Liban auquel il est parfaitement attaché et dans ses œuvres nous remarquons avec quel accent de fidélité il parle de l'Emir Fakhreddine et de l'Emir Béchir ainsi que du Patriarche Maronite, Monseigneur Elias Hoyek et du Général Gouraud.

La Carrière de Professeur de Fouad Ephrem Boustany

Pour connaître et juger Fouad Ephrem Boustany, sa personne et son œuvre, une étude des étapes de sa carrière professorale est édifiante. Depuis 1933, il est titulaire de la chaire de Professeur d'histoire de la civilisation arabe et d'institutions islamiques à l'Institut de Lettres Orientales. Professeur d'Histoire et civilisation des Pays du Proche Orient à l'Institut des Sciences Politiques (1945 - 1951) Professeur de Littérature Arabe, de Philosophie Musulmane et d'Histoire Arabe à l'Académie des Beaux-arts (1947-1951) Directeur de l'Ecole Normale (1942-1953). Secrétaire Général de la commission internationale de traduction des chefs d'œuvres classiques depuis 1949. Recteur de l'Université Libanaise (1953). Membre de la commission nationale de l'Unesco.

Fouad Ephrem Boustany est titulaire de vingt distinctions honorifiques libanaises et étrangères notamment:

Ordre national du Cèdre (1970)
Ordre national tunisien (1956)
Ordre Alphonse le Saxant (Espagne 1952)
Ordre de Saint Grégoire Le Grand (1950) Vatican, etc...
Il est Docteur ès-lettres Honoris Causa de l'Université de Lyon en 1957 de l'Université de Saint-Edouard Austin (Texas) et de l'Université Georgetown (Washington) 1958.
L'Œuvre de Fouad Ephrem Boustany

L'œuvre de Fouad Ephrem Boustany porte sur des études approfondies sur la culture islamique et arabe, des traités socio-éducatifs, des légendes du temps de l'Emir Béchir, des récits historiques et des thèmes philosophiques dont le nombre s'élève a plus d'une centaine. Mais il a fait mieux encore. Malgré ses charges écrasantes de Recteur de l'Université Libanaise, il a donné à la langue arabe, la grande série de l'encyclopédie qui nous manquait (Tome 1 à 17), séries qu'il comptait achever.

Fouad Ephrem Boustany travaillait 14 heures par jour. Ses livres sont extrêmement directs il dit ce qu'il pense, ce qu'il voit il s'intéresse à tous les sentiments humains dans ce qu'ils ont de plus général, il a toujours peint la vérité, ainsi il a réalisé ce qu'il y a de plus urgent en lui: être lui-même.

En Littérature
"Al Rawaeh" (1927) 57 ouvrages.
"Au temps de l'Emir" (1926). "Critique littéraire" (1930) "Bagdad (1934) Alep (1938)". "Diwan de Nicolas El-Turk" (1949); "Aristote" et "Al-Moutanabi" 1930) "l'Expression orale et le style chez les Arabes" (1941).

En Histoire
"Le Liban au temps des Emirs Chéhab" (1933), ouvrage écrit avec le Docteur Rustom.
"Le Liban au temps de Fakhreddine" (1936).
"Histoire du Liban" (1937). "Al-Rachid" (1936). "Cinq jours en Syrie" (1950) "Les Ommayades et les Chrétiens d'Orient" (1938). "Le Liban Préhistorique" (1946) "Mar Maroun" 3ème édition (1968) "Le peuple Libanais" (1949) "L'historique de l'enseignement au Liban" (1950).

Le Roman
"Au temps de l'Emir" (1926) 3ème édition 1952. "Pourquoi?" (1930) "Les traités éducatifs et historiques". "Les témoins de l'ère de l'Emir Béchir" (1948) "Le dialectal libanais" (1951) "Al-Moutannabbi" (1946) "Le philosophe Al-Mouarri" (1945).

Les Traductions

Fouad E. Boustany a traduit les œuvres du Père Lammens:

"Le Fikh musulman" (1933). "Le Hilm chez les arabes" (1934). "La vengeance chez les Jahilites" (1935), "Al-Ahabiches" (1936), "Les chrétiens de la Mecque avant l'Hégire" (1937). "Le culte des prières a l'époque préislamique" (1939), "Les Hauts-Lieux à l'époque préislamique" (1939), "Mongid Al-Toullab" 8ème édition (1966), le dictionnaire encyclopédique tome 1 à 16 (1972).

Voici un extrait du livre Studia Libanica

Les Grandes Etapes de l'Histoire de Beyrouth

A l'Aube de l'Humanité

Fondation de la ville par le Dieu El ou Ilyun, maître de Gebeil. Il la confie à Bou Seydoun (Poseidon), dieu de la mer (de Sidon), armé du trident. Notre ville serait donc postérieure à Gebeil qu'on estime être la première ville du monde, et postérieure à Sidon.

Quoi qu'il en soit, les habitants la nomment Birut (pluriel de bir = puits) à cause de ses nombreux puits, dont il reste un, encore de nos jours. C'est le Bir el-Krawyé, entre la place Debbas et la rue Béchara el-Khoury.

A l'Epoque Cananéenne (Phénicienne)

Beyrouth est connue dès la fin du IVe millénaire. Elle n'occupe qu'une place secondaire parmi les grandes cités phéniciennes: Gebeil, Sidon, Sour... Mais son commerce paraît très prospère. Elle exporte notamment le fer que l'Egypte appelle: Beret, du nom de notre ville. Soumise à la souveraineté des Pharaons vers le XVIe - XIVe s, elle retrouve son indépendance vers le Xe s. avant J.C. Beyrouth est fière de compter parmi ses enfants célèbres, à cette époque, le fameux Sanchoniation, le père de l'Histoire, bien avant Hérodote.

A l'Epoque Grecque

Beyrouth subit l'influence de la nouvelle civilisation. Elle ouvre son port au commerce occidental, et son esprit à la culture hellénistique. Beaucoup d'écrivains, de poètes, d'orateurs, d'origine beyrouthine s'expriment agréablement dans la langue d'Homère, tout en conservant leur propre langue phénicienne ou araméenne, prouvant ainsi que le bilinguisme libanais est aussi ancien que le Liban lui-même.

A l'Epoque Romaine et Byzantine

C'est l'âge d'or de Beyrouth. Nommée pompeusement par l'empereur Auguste: Colonia Julia Augusta Felix Berytus, elle se voit dotée de tous les droits et privilèges inhérents à toute colonie romaine: embellissements divers: temples, forums, portiques, théâtre, hippodrome, thermes et un aqueduc long de 240 m. (Qanatir Zbaydeh). Son pouvoir s'étend sur la montagne environnante et sur toute la plaine de la Beqaa; tandis que son commerce fait le tour de tous les marchés de l'époque.

Plus important encore sur le plan culturel est sa fameuse Ecole de Droit, fondée vers la fin du 2e siècle de notre ère. Elle servit la culture juridique et littéraire, par ses célèbres professeurs, les "Maîtres Œcuméniques" (Papinien, Ulpien, Gaius, Anatolius...) et par ses anciens élèves, dans le monde romain et byzantin prés de trois siècles, et acquit à la ville de Beyrouth le titre glorieux de Berytus nutrix Legum. C'est également l'époque de l'expansion du Christianisme. Beaucoup de saints, confesseurs et martyrs, illustrent le calendrier de notre ville de cette période. Beaucoup d'églises y sont également fondées. Et Beyrouth semble atteindre son apogée spirituel, intellectuel et économique. Toute cette prospérité fut anéantie d'un seul coup par le fameux séisme de 551 suivi de plusieurs incendies et d'un terrible raz de marée.

Beyrouth fut complètement détruite et 30.000 de ses habitants périrent.

C'est à cette époque que nous voyons mentionner, pour la première fois dans un texte littéraire, la forêt de pins de Beyrouth. Nous sommes redevables, en effet, à Nonnus, poète grec du IVe - Ve s, de la première description poétique de la forêt dans laquelle il place une scène importante de son épopée Dionysiaca. C'est le chant XLII qui décrit la scène de la forêt. Et depuis, la plupart des voyageurs, géographes, historiens de Beyrouth réservent une bonne place à notre pinède. Au douzième siècle, le géographe al-Idrisy parle d'une forêt de pins de 12 milles de superficie, atteignant la montagne du Liban. A la même époque, Guillaume de Tyr, l'historiographe des Croisades, dit que les Croisés employaient le bois de cette forêt à la construction de leur machines de guerre. Un peu plus tard, Salih ibn Yahya, l'historien de Beyrouth, assure que le Grand Emir Yalburga al-Umary fit construire, en 1365, toute une escadre, du bois de la même forêt pour attaquer Chypre. En 1411, un voyageur allemand prétend que la superficie de la forêt n'était plus que de 2 milles. Mais Fakhr-ed-Din II s'en occupa au début du XVIIe s. et augmenta notablement cette superficie. La dernière description enthousiaste de cette forêt est celle de Lamartine dans son Voyage en Orient, en 1830, où il croyait voir, à travers les touffes d'arbres, les premières maisons de Baabda (qu'une erreur typographique a transformé en Bagdad!).
Mentionnons également, à cette époque, la genèse de l'histoire de St-Georges qui donna son nom a la belle petite baie de Beyrouth, endroit présumé du combat du Saint avec le Dragon, symbole de la lutte éternelle entre le bien et le mal, lutte qui aboutit finalement à la victoire de la spiritualité, de la justice et de l'esprit chevaleresque sur la force brutale. Une petite église fut construite, il y a très longtemps, à côté de la grotte qui servait d'antre au terrible monstre, prés de l'embouchure de Magoras, fleuve de Beyrouth. Les Musulmans, qui honorent le même Saint sous le nom d'al-Hadir, se joignaient aux Chrétiens, tous les ans, le 23 Avril, pour célébrer la fête du Patron de la ville.

Depuis la conquête Arabe

Beyrouth eut, tour à tour, des heurs et des malheurs, sans jamais occuper une place de choix. Sur le plan linguistique, mentionnons la pénétration, lente mais sûre, de la langue arabe. A côté des langues syriaque, latine et grecque, Beyrouth se familiarisait avec la langue des conquérants. A ses gloires intellectuelles des siècles passés, elle ajouta, au VIIIe s, la figure humanitaire de l'Imam Auza'y.

Sous les croisés (1109 - 1187; 1198 - 1291)

Beyrouth connut les fastes d'une grande métropole, surtout à la 2e époque sous la dynastie sage et éclairée des contes d'Ibelin. Fortifications, palais, églises, poussaient dans tous les quartiers. La cathédrale St-Jean-Baptiste construite en 1110, et transformée en mosquée, au départ des Croisés, existe toujours sous le vocable Mosquée al-Umary.

L'Epoque des Mamlouks

Elle fut une époque de décadence pour notre ville. Elle continua son commerce avec les ports italiens surtout. Mais ce fut un commerce intermittent et soumis à beaucoup de dangers. Les Emirs Buhturides gouvernaient la ville et les environs pour le compte du Sultan du Caire et la défendaient contre les attaques toujours possibles des "Francs".

Sous les Maan

Avec l'avènement des Ottomans (1516) c'est la famille des Emirs Maan qui acquit la suprématie sur tous les princes féodaux du Liban. Faher-ed-Din II, retour d'Italie en 1618, éleva Beyrouth au rang de capitale, après Deir el-Kamar et Saida. Il y construisit un grand palais, entouré de jardins d'orangers et de grenadiers, selon les principes de l'architecture florentine. Il restaura ses vieilles fortifications, agrandit son port, étendit sa forêt de pins et l'ouvrit au commerce européen comme aux missionnaires catholiques, spécialement Capucins et Jésuites.

Sous les Chéhab

Cédant le pas a Deir el-Kamar, capitale de la Montagne, à St-Jean-d'Acre et à Saida, principales ville de la côte, Beyrouth redevient une ville secondaire.

Epoque Contemporaine

Elle ne devait reprendre sa prospérité d'antan qu'après le départ de Béchir II, suivi des tristes événements de 1840, 1845 et 1860, et partant, par l'exode de milliers de montagnards vers la côte. Ce fut alors une montée rapide dans tous les domaines: commercial, industriel, intellectuel, spirituel et politique. Des centaines d'établissements: maisons de commerce, filatures, fabriques, écoles, collèges et universités, églises et mosquées, imprimeries, journaux et revues, bains publics et théâtres, faisaient de Beyrouth la véritable capitale du Liban bien avant la proclamation officielle du 1er septembre 1920. Des 5.000 habitants qu'elle comptait au début du XIXe siècle, elle peut s'enorgueillir des 600.000 à 700.000 qui se réclament d'elle de nos jours. Variété de races, de religions, de langues et de mentalités. Une véritable mosaïque humaine mais bien assortie, aux couleurs vives parfois, mais toujours harmonieuses.

Conclusion

Portant allégrement ses 88 ans, Fouad Ephrem Boustany est un des Libanais dont le nom est mondialement connu. Fils de la montagne, il est demeuré simple. De ses séjours à Deir El-Kamar et à Beyrouth, il a acquis une précieuse expérience des milieux ruraux et citadins.
Converser avec Fouad E. Boustany est toujours un plaisir, que cette conversation se confine à la vie sociale ou qu'elle s'élève au niveau de la politique ou de la culture, elle donne toujours lieu à des réparties savoureuses de notre grand écrivain qui marie avec une égale dextérité l'humour quand il s'agit de propos frivoles et la logique toute cartésienne quand on aborde des sujets graves de l'actualité.

Disons pour terminer que Fouad Ephrem Boustany par ses idées largement humaines, ses recherches historiques et littéraires, ses vues philosophiques et morales s'appliquant aux problèmes contemporains, reste l'un de meilleurs écrivains de langue arabe.