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Révolution tranquille du «Beau » à Beyrouth

Belle ou pas, il est impossible de ne pas aimer Beyrouth. Et c’est justement pour cet amour inconditionnel que certains ont décidé d’agir. Comment ? En rendant à leur ville chérie des petites touches de soleil et de beauté qu’elle a souvent perdus, notamment pendant la guerre. Et le résultat escompté est plutôt rempli d’espoir.

Beyrouth est-elle laide ? Une question bien difficile si l’on en croit les professionnels du paysage. Une question qui suscite aussi de vives réactions dans le monde des architectes issus de la nouvelle génération. Une chose est sûre, Beyrouth n’est plus ce qu’elle était. L’urbanisation galopante qui a touché la ville dans les années 50 lors du développement économique accéléré, puis la prise d’assaut chaotique par le béton de certaines régions du pays durant les années de guerre, ont donnée au Liban une allure un peu déprimante surtout par temps gris. Certains vous diront que c’est l’âme du pays. Le béton a remplacé la pierre et la terre, Beyrouth nouvelle génération est comme cela, c’est son identité et c’est beau, point barre. Une idée effectivement reprise par de nombreux jeunes architectes au plus grand désespoir de certains. Parmi eux, Philippe Skaff de Grey Global Group à Beyrouth, qui dénonce dans son ouvrage «la République du béton» un véritable cancer qui s’est emparé de tout le pays.
Pour lui, lutter contre cette laideur envahissante est un devoir de citoyen mais surtout un devoir des politiques et des décideurs qui doivent impérativement décréter l’état d’urgence écologique et transformer le pays en zone protégée. Pourtant ces derniers ne semblent pas le moins du monde intéressés par ce problème. Il faut donc se battre seul pour créer une prise de conscience.

La solution est simple: apporter un rayon de soleil à la vie

La volonté de fer de «Mme Help Lebanon»
Liliane Tyan, aidée par des artistes, une volonté de fer et surtout par l’amour très fort qu’elle voue à son pays, s’est lancée dans bataille, ou plutôt dans une révolution tranquille du «beau». A la tête de L’ONG Help Lebanon, engagée depuis 1978 aux côtés et au service des défavorisés de la société libanaise, Liliane Tyan décide en 1997 d’aider les quartiers de Beyrouth à retrouver une identité perdue, et des raisons de croire en leur avenir. La solution est simple: apporter un rayon de soleil à la vie en égayant de couleurs, de trompe-l’œil et de plantes, les façades de certains quartiers de la ville. Le but est d’embellir sans sophistication des endroits laissé dans la décrépitude.
Avec peu, Help Lebanon a réussi son pari, des artistes la plupart du temps bénévoles et toujours les bienvenus comme Gina Succar, des initiateurs du projet d’embellissement, Raymond Audi de la Bank Audi et Antoine Wakim de la SNA, des sponsors toujours plus nombreux et des professionnels du paysagisme comme Sarah Hage. Les exemples de cette réussite sont de plus nombreux.

La révolution en marche
Le travail fait à Karm el-Zeitoun est long d’enseignements, depuis l’embellissement des façades, le quartier revit. Des commerces ont ouvert, dont beaucoup de fleuristes, les artisans et jeunes artistes ont pris d’assaut les petites rues, les jeunes viennent y faire du vélo et du roller, on assiste à un véritable retour de la mixité sociale. Mais surtout, les habitants se sont pris au jeu, ils entretiennent les peintures, mettent des fleurs aux balcons, souvent sous les conseils donnés par Help Lebanon. Au gré de vos balades dans Beyrouth, vous ne serez pas étonnés de croiser de nombreux autres îlots de couleurs. Maintenant, Liliane Tyan est contactée par tout le Liban depuis le Hermel jusqu’à Leba’a dans le sud, où l’ONG s’est engagée avec Sarah Hage et l’expertise de jeunes consultants de Booz Allen Hamilton, dans un travail d’embellissement accompagné de la mise au point de véritables plans de développements au niveau économique, touristique et social. Le but? Aller plus en profondeur dans les besoins des villages, avec l’aide et l’accueil chaleureux des municipalités.

Encore du vert…
La municipalité de Beyrouth n’est pas en reste. Les membres du conseil municipal semblent vraiment conscients de la nécessité de développer des espaces verts mais les choses ont pourtant beaucoup de mal à bouger. Les deux parcs principaux de Beyrouth sont ceux de Sioufi et de Sanayeh. Le Bois des pins attend encore le recrutement d’une vingtaine de gardiens pour pouvoir ouvrir. Ces dernières années, la municipalité a continué l’entretien de ces espaces verts, ainsi que des nombreux petits jardins. 4000 arbres ont été plantés et cette année, elle espère en planter encore 4000 autres.

Le travail de Solidere est lui, sans égal pour l’instant à Beyrouth. Il a fait du centre ville, un véritable centre économique et culturel avec une infrastructure complète accompagnée de la construction ou reconstruction d’espaces publiques avec des parcs, des places et des espaces verts. Le «green master plan» de Solidere concerne plus de 60 places et jardins, ainsi qu’un espace de 78000 m2 au bord de mer dédié au Vert. Pour développer une telle infrastructure, une infrastructure, une pépinière a été créée. Les fleurs plantes saisonnières et arbres y sont soigneusement préparés. Les graines et les plants dernière génération, proviennent d’Europe et des Etats-Unis. En particulier de l’Italie pour les espèces qu’on trouve au Liban. Chaque année, 500000 fleurs sont produites dans la pépinière, une quantité nécessaire quand on sait que tous les trois mois, les bacs de Solidere accueillent de nouvelles fleurs, aux couleurs de saison. Mais la plus belle histoire est peut-être celle du Ficus retrouvé place des martyrs après la guerre. Ils étaient deux à l’origine mais un fut complètement détruit lors des bombardements. Le survivant a été transporté en 1996 à la pépinière pour y être soigné. Trois ans plus tard, il retrouvait une nouvelle jeunesse dans le jardin de Bachoura. La conception et l’entretien des jardins sont aussi une occasion pour faire participer des artistes, outre les équipes d’architectes et de paysagistes. Le jardin Gibran Khalil Gibran possède une sculpture de l’artiste Salwa Choucair.

Mosaïque méditerranée
Comme Philippe Skaff, l’artiste Lena Kélékian déteste le gris, encore plus lorsqu’il côtoie la Méditerranée. Aidée par l’architecte Hagop Sulahian, elle a donc décidé de prendre en main la Corniche de Beyrouth en décorant de céramiques colorées tous les bancs du bord de mer. Un travail long et difficile qui nécessite, pour chaque banc un sponsor différent. Pour l’instant seul 20% des 3 km de la Corniche se sont vu décorés grâce au soutien de sponsors, notamment la Banque de la Méditerranée, le Crédit Libanaise, la MEA ou encore Libanpost et la Fondation Safadi. L’accueil du public est lui sans équivoque, il adore déjà.

La notion du «beau » est reliée à la façon dont on le perçoit.

Un paysage est «beau» lorsqu’on le comprend
Notre question a maintenant quelques éléments de réponses. La notion de «beau» dans un paysage est directement reliée à la façon dont on le perçoit. Il dépend fondamentalement de notre bagage personnel, de notre histoire, de nos références culturelles. Le paysage n’est pas non plus une entité figée, il évolue dans le temps et selon son interaction avec l’homme. Pour la paysagiste Sarah Hage, un paysage est donc beau lorsque le comprend. Tout le travail d’amélioration et d’embellissement réside dans une analyse poussée de ce qu’a été son histoire, son évolution, ses besoins présents et futurs mais aussi dans l’éducation des populations.

Beyrouth est belle lorsqu’elle vit. Trompe-l’œil ou pas, ce sont donc les hommes qui donnent un sens à leur environnement. Beyrouth n’est pas laide bien au contraire, il est juste arrivé un moment où elle n’a plus donnée l’envie de beau et de bien à ceux qui y habitent. Tranquillement, les choses devraient changer maintenant.

Emilie Thomas