Articles

Art in the press

Années soixante par Jean-Marc Bonfils, Réflexion: «Paysage de la peinture Libanaise dans les années soixante»

Esquisse Magazine d'art, Numero 4 Octobre 2001

Retracer aujourd'hui ce qu'était le «Paysage de la peinture Libanaise dans les années soixante» revient à évoquer ce qu'était une partie de la vie culturelle de la scène beyrouthine, au sens larges, tant le monde de la peinture, en ces temps-là, était lié à d'autres arts de la représentation dont l'essor entraînait aussi les modernités de l'architecture ou du théâtre, intimement liés à la vie sociale et politique de Beyrouth... Grande lame de fond, dont les racines se plongeaient dans les années cinquante et se prolongeraient jusqu'aux années soixante-dix.

Pour nous aujourd'hui, devant une toile de Guiragossian, de Kenaan ou de Abboud, un grand mystère à redécouvrir comme à la relecture d'un pan coloré de nos racines…

Les peintures Libanais de cette période ont donc perduré, certains toujours actifs aujourd'hui, malgré la guerre et au-delà du message de la réunification de la nation comme une valeur constante d'une âme en quête de sa définition... Et c'est en cela, sans doute, qu'avec le recul des années, cette modernité, initiée à l'aube des années soixante, peut paraître, aujourd'hui encore, troublante et vivante.

Nul doute qu'il faille à une peinture, pour s'affirmer comme présence, affronter «l'époque » (la sienne), et le temps (le nôtre) pour devenir par la métamorphose du temps, une part de notre identité.

Mais en deçà de sa postérité, il avait fallu, à son origine, une école.

La fondation de l'Académie Libanaise des Beaux Arts s'étant affirmée comme résolument nouvelle et moderne dès sa création à la fin des années quarante, le fait incontournable est probablement aussi, malgré la volonté de ses créateurs, la vitesse de retournement de ses premiers élèves contre le «système »…

Formés par des peintres de l'ancienne école, les nouveaux apprentis au-delà de la discipline et de la poétique, c'est-à-dire au-delà du fait culturel de l'enseignement, s'en vont rejoindre les courants des chercheurs en Europe, en France, en Italie… Cela n'est déjà pas banal et cela présuppose d'un niveau permettant l'accès aux expériences les plus avancées d’alors.
L'origine de cette peinture est donc double, dés sa naissance.

Ancrée d'un côté et libérée de l'autre… La plénitude de cette ambivalence s'opérant dans la conscience de chacun des peintres… C'est peut-être à la lueur de ces chandelles qu'il faudrait aujourd'hui revoir ces toiles, griffées 1960… et quelques... Les expositions s'organisent autour d'artistes étrangers (Mathieu, Bacon...) à Beyrouth, mais aussi de peintures Libanais en Europe ou aux Etats- Unis, les collectionneurs suivent le mouvement, prenant leur place, encourageant la production.

Les sources iconographiques sont cependant peu nombreuses pour dépêcher aux lieux de notre actualité un vernissage de cette époque. Tout se serait passé dans un quartier d’abord, celui de la rue de Phénicie, bientôt doublé d'un second, celui de la rue Hamra.

Le grand sujet en débat aurait été, comme à l'appel d'une libération subliminale, celui d'être «figuratif» ou «abstrait»... L’un rejoignant les échos des recherches occidentales, l’autre celui des traditions orientales… Peintre Libanais voulant donc signifier celui qui, possesseur de «la» synthèse, accéderait à l’amalgame, au métissage des cultures... Il est improbable de contempler aujourd'hui une de «ces» toiles sans se plonger dans cette désespérante incomplétude. Mais c'est là le point le plus vivant du message de nos peintres et de leur modernité.

Binomie, synthèse, opposition, selon les termes, tout cela gravite autour du point central à mettre en mouvement. L'expression d'une définition d'une peinture purement libanaise, comme une symbiose virulente...

La relecture des articles des critiques libanais, très associés au travail des peintres, nous lance, aujourd'hui encore, les échos d'une acuité du regard, précisant les formules dans un vocabulaire dense, souvent structuraliste, quelquefois pure poésie prolongeant le rêve des peintres cherchant à formuler leurs fulgurances «inconscientes».

Ce mouvement de «définite» ne pouvait avoir d'échos que dans celui d'un autre, d'ombres pures et d’affirmation, celui du théâtre lui aussi, fier de sa re-naissance.

Synthèse des arts abstraits, si elle se voulait libérée du monde de la figuration, la peinture libanaise des années soixante nous a laissée des traces, peut-être limitées, mais «jaillissantes»… les «abstractions lyriques» n'ont peut-être tendu qu'au point de définir les positions individualistes des peintres d'aujourd'hui dans un monde qui avait déjà changé sa posture…

Désespérément romantique, dans le sens de la réitération des valeurs dont elle est issue et de celles dont elle se nourrit, notre peinture des années soixante nous force aujourd'hui à un regard aimant, méfiant, tapageur, pur et ambigu sur une destinées qui, emportant une génération, nous adresse encore son message de contemplation.