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Issam Bou Khaled - La synergie du réel et de l'absurde est absurde

Au Théâtre Tournesol, Issam Bou Khaled et Fadi Abi Samra., jouent leur création «page 7», dans laquelle ils sont tous deux auteurs acteurs. A cette occasion, l’Agenda Culturel a effectué un tour d’horizon avec Issam Bou Khaled sur son approche du théâtre, cette autre partie de la vie. Interview.

Est-ce que le spectacle «page 7» est inspiré de la pièce de Samuel Beckett «En attendant Godot» ?

Les deux personnages que nous jouons Fadi et moi, nous les avons joués comme cela dans la pièce de Roger Assaf «En attendant Godot» en 2003, et qui sont Estragon et Vladimir. Puis nous avons pris ces deux personnages et leur relation, aux niveaux personnel, et professionnel, et nous avons tenté une expérience. Nous avons donné vie à ces personnages avec ce genre de relations, mais dans des situations différentes, nouvelles, qui sont plus modernes, plus réelles, plus proches du quotidien, tout en concevant l’ambiance absurde Beckett. Mais le texte n’a rien à voir avec celui de Beckett, ni de Roger Assaf.

La pièce s’articule-t-elle autour de la mort, de l’absurde ou macabre ?

Au fait, chez nous, l’idée de mort est devenue tellement consommée. Et je pense que c’est là que réside l’extrême même de l’absurde. Les gens parlent de la mort, de la guerre, du nombre des tués comme elles parlent du prix d’un kilo de légumes. On n’a qu’à regarder la télévision. Au début, les choses sont présentées comme la plus grande catastrophe, et puis d’un coup, les gens sont plongées dans cet absurde effrayant, dans cette indifférence, dans ce contact banal avec la mort. Au moins dans la pièce nous avons essayé de recréer un lien humain avec la mort. C’est la dernière chose qui fait que les personnages vivent encore, même à travers la mort. Au fait, ils étaient déjà morts avant de jouer le jeu de la mort. Mais nous le présentons de manière grotesque, amusante.

Acteur, auteur, metteur en scène, comment conciliez-vous toutes ces fonctions ?

Je ne joue jamais dans mes créations. Il y a une dissociation, bien sûr. Mais je regroupe toutes ces fonctions, donc quand je travaille avec quelqu’un, il peut exploiter tous mes potentiels. Sinon, je travaille en tant que professionnel. Je suis acteur en fin de compte. Je fais de la mise en scène, juste quand j‘en ai envie, que j’ai une idée que je veux exécuter. Et en dirigeant mes acteurs, nous cherchons ensemble comment tirer le meilleur profit de ce qu’ils sont capables de faire, et aussi les pousser à découvrir des choses qu’ils se croyaient incapables de faire.

Le théâtre pour vous, c’est quoi ?

Le théâtre est la seule chose qui me procure un énorme plaisir, même si je souffre en le faisant. Et donc je ne le céderai pas facilement. Et puis ça me donne l’impression que je produis, que je ne me contente pas de vivre. Je fais quelque chose qui m’intéresse, j’arrive à exprimer mes positions politiques, sociales, humaines, idéologiques, de la meilleure manière, à travers le théâtre et le spectacle, car je possède ce domaine. Et puis c’est un espace où j’arrive à utiliser avec plaisir mon imagination.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience avec les sourds-muets ?

J’enseigne depuis 6 ans l’art du théâtre aux sourds-muets. L’année dernière on a monté une troupe et on a commencé à se produire en public. C’est une manière de jouer et une expérience qui vaut la peine d’être vue. Le théâtre n’est plus alors simplement un espace d’expression, mais un moyen d’inventer un nouveau langage, un nouveau rythme, une nouvelle énergie. C’est très beau. Et celui qui voit leur travail actuellement et qui a vu le spectacle «Maaarch» verra l’interférence et l’influence réciproque. Ce jeu d’interférence fait que le rapport avec le monde du théâtre et de la création devient différent ; plus que du professionnalisme, on retrouve le plaisir et la curiosité.

Pensez-vous que le public libanais arrive à capter facilement le théâtre absurde ?

A mon avis, et c’est la plus grande catastrophe, notre réel est devenu absurde et les gens croient que c’est le réel, le vivent comme la réalité. Il n’y a pas de situation plus absurde que ce que nous sommes en train de vivre. C’est comme si la situation du pays nous a coincés, nous les gens du spectacle : si on veut travailler l’absurde, on se dit que c’est trop réel, il faut chercher plus loin… Je parle très sérieusement. Le réel s’est faufilé vers l’absurde à tel point qu’ils se confondent. C’est pour cela que les gens traitent avec l’absurde sans grand effort, ce qui brise un peu l’idée préconçue d’un absurde intellectuel. Il est donc devenu facile de créer n’importe quelle ambiance absurde dans une pièce, mais elle n’aura pas le même impact, ou la même approche qu’avant. Le réel est devenu très absurde. Au fait le réel n’existe plus… ou l’absurde n’existe plus… enfin je ne sais pas, ils sont imbriqués… et ça me fait énormément peur… Mais le fait même que nous avons produit un spectacle dans cette situation est un exploit en soi.

Nayla Rached - Agenda Culturel no. 296 du 4 au 17 Avril 2007