La représentation de l'Individu dans l'Art Phénicien par Hareth Boustany
Beyrouth 1971 - Publications de l'Université Libanaise - Extrait
Introduction
La question de la personne et de l'individu, au sein d'une collectivité, se pose actuellement avec une acuité toujours plus accrue. Nous avons cru bon de remonter les millénaires et essayer d'étudier l'individu à travers ses représentations au sein de la collectivité phénicienne. Car à travers toute œuvre sortie de l'imagination et des Mains des hommes, il nous est possible de chercher la vraie valeur humaine qui fut à la base de cette œuvre.
A partir de ce moment, un sujet traitant de la représentation de l'individu dans l'art phénicien s'est imposé à nous avec d'autant plus de réalisme que ce domaine a été très peu exploré dans l'ensemble(1) et qu'il intéresse un peuple qui n'a pas encore fini de nous étonner. Parler de l'art phénicien en général semblait assez ardu de prime abord, que dire alors de cet aspect assez obscur qu'est la représentation de l'individu dans cet art.
Lorsque nous avons choisi ce sujet, nous ne pensions pas du tout l'étudier du point de vue esthétique ou artistique seulement; notre but était de dépasser ce stade pour arriver à dégager, si possible, de ces représentations une mentalité phénicienne qui pourrait nous éclairer sur la société, la religion et le mode de vie de ce peuple. Ceci pour plusieurs raisons; une de ces raisons pourrait, a priori, n'être que sentimentale. Car, du jour où il prend conscience de sa nationalité et de sa présence sur un coin de la terre, l'homme constate qu'il fait partie d'une collectivité qui forme avec lui une nation. S'il est un peu curieux, il essaie d'enquêter sur ses prédécesseurs et, de là, remonter jusqu'aux temps lointains des premières habitations.
Habitant de cette terre de Phénicie dont la majeure partie constitue aujourd'hui le Liban(2), nous avons voulu essayer de nous mettre à la place de ce peuple dont les conditions de vie étaient sensiblement les mêmes que les nôtres. Si nous ne formons plus actuellement des villes plus ou moins autonomes comme l'étaient les cités phéniciennes, nous avons toujours plusieurs points en commun; d'abord le cadre géographique avec cette mer hospitalière, les ports et les montagnes; nous avons la langue arabe qui est une cousine de la langue cananéenne et la langue araméenne liturgique qui plonge parfois ses racines et nous avec elle en pleine période phénicienne. Nous avons aussi pour voisins de grands pays dont le rôle a très peu changé depuis tant de siècles, que ce soient ceux du Nord, de l'Est, du Sud ou de l'Afrique du Nord(3). Il ne faut pas oublier enfin cet appel du large et ce goût de l'émigration et du commerce qui restent aussi vifs(4).
Mais il y a aussi un facteur très important qui est la vieille mentalité orientale avec ses mystères et ses superstitions, faite des résidus de tous les rites et religions qui ont vu le jour dans cette partie du monde. Cette mentalité-là ne s'acquiert qu'au contact des vieilles sociétés et des vieilles traditions qui ont cours jusqu'à maintenant au Liban(5). Et le fait de vivre en contact permanent avec les habitants de la montagne et de l'arrière-pays nous est d'une aide très précieuse. Les traditions archaïques n'ont pas encore totalement disparu et les termes techniques et certaines locutions sont loin d'appartenir à la langue arabe, ils découlent directement de la langue phénicienne en passant ou non par la langue araméenne(6). C'est pour cela qu'à trente-cinq siècles d'intervalle, nous avons l'impression de lire un dialecte libanais à peine altéré en lisant certains textes de Ras-Shamra Ugarit.
Mais à vrai dire, d'autres raisons plus objectives nous ont poussés dans la voie de cette étude. Nous dirons seulement qu'il y a très peu de peuples et de civilisations au monde qui ont suscité tant d'intérêt et de polémiques en si peu de littérature(7). A lire certains ouvrages, on penserait que les Phéniciens ou les Cananéens n'y sont cités que pour être rabaissés voire même dénigrés. L'histoire de ce petit peuple a été écrite pour son malheur, par ses adversaires et ses ennemis ou par ceux qui ne pouvaient arriver à l'égaler en intelligence et en richesse. Nous pouvons ajouter à ceux-là les quelques savants qui, ne s'attendant pas à trouver tant de richesse intellectuelle, spirituelle et matérielle chez les Phéniciens, n'ont pas tardé à battre en retraite et à imaginer des solutions fantaisistes aux problèmes posés(8). Ceci, fort heureusement, s'est trouvé démenti par les fouilles récentes et les conclusions qu'on a pu en tirer. Il nous reste à souhaiter que les fouilles récentes et les conclusions qu'on a pu en tirer. Il nous reste à souhaiter que les fouilles, de plus en plus nombreuses, puissent arriver un jour à nous fixer une fois pour toutes sur les problèmes et les mystères qui ont entouré ce petit peuple aux destinées exceptionnelles(9).
Pour notre part et pour donner un aspect assez complet à notre étude, nous nous sommes attelés à l'examen de la représentation humaine en Phénicie depuis la fin du quatrième millénaire jusqu'au déferlement des troupes grecques d'Alexandre le Grand. Ceci nous a permis de dégager les différentes influences et les différents courants qui ont marqué l'art phénicien depuis les premiers échanges avec l'Egypte jusqu'à la domination grecque en passant par le tourbillon d'idées qu'ont apporté avec eux les conquérants de la Phénicie sans pour autant arriver toujours à étouffer les caractères propres de son art (10).
Il est indispensables de noter que l'art en général et la représentation de l'individu en particulier ne peuvent être dissociés a aucun moment du milieu social et des croyances religieuses du peuple phénicien. Par conséquent, tout en étudiant l'aspect artistique de ces représentations, nous avons essayé de dégager, autant que possible, le propre de la personnalité phénicienne avec les incidences de la vie sociale, économique et religieuse sur elle.
Pour cette raison, nous avons procédé à l'étude des représentations en tenant compte de tous les genres: statuettes, statues, stèles, bas-reliefs, sarcophages, et en les classant suivant leurs sujets, à savoir les représentations humaines avec parfois leur côté hybride, les représentations divines et les portraits, s'il y en a.
Presque chaque représentation, mise à part sa valeur artistique et esthétique, renferme des indications très édifiante pour le chercheur qui s'y penche sérieusement. Elle a pu nous renseigner, par exemple, d'une façon ou d'une autre, sur l'origine du peuple phénicien, son mode de vie à travers les siècles, ses croyances religieuses et les différentes influences artistiques, sociologiques et religieuses qu'il a subies au cours de sa longue histoire.
Nous avons omis d'étudier les représentations qui, dans leurs caractères généraux, se rapprochent de celles qui ont été examinées en détail. Nous avons suivi l'ordre chronologique dont les limites ont été précisées ci- dessus. Mais nous avons passé en revue, à titre comparatif, quelques figurines préhistoriques.
Après avoir terminé notre étude sur l'iconographie en Phénicie même, nous avons consacré un chapitre aux représentations humaines phéniciennes ou d'influence phénicienne trouvées à Carthage et dans la région carthaginoise. La ville de Carthage, de par son emplacement géographique et sa constitution politique, est restée, pour différentes raisons, assez imperméable aux influences étrangères artistiques, sociales et religieuses; elle a su garder, en les stylisant, les caractères généraux hérités de la mère-patrie.
Une note explicative a été consacrée à l'origine des Phéniciens. Nous allons nous contenter, pour le moment, de dire que le peuple phénicien était implanté et parfaitement sédentarisé, dès la fin du quatrième millénaire, en terre phénicienne (11).
En vérité, il n'y avait pas de terre phénicienne propre, mais un chapelet de villes qui s'échelonnaient sur à peu prés 300km. Le long de la côte de la Méditerranée Orientale. Nous ne sommes sûrs de la présence d'un nombre important de ces villes qu'à partir du deuxième millénaire (12). La montagne du Liban était peu habitée, néanmoins es habitants s'étaient groupés en petites communautés clairsemées dans les collines et étaient en relations constante avec les habitants de la côte, soit qu'elles les aidassent dans le commerce du bois et autres produits (13), soit qu'elles constituassent les stations et les relais sur les routes de commerce avec l'arrière-pays. Les principales villes charnières de la Bekaa étaient Baalbek qui contrôlait les routes commerciales du Nord, et Kundi ou Kumidi, aujourd'hui Kamed el-Loz, qui contrôlait les routes du Sud (14).
Il est très probable que la Phénicie ait été, durant les trois millénaires de sa semi-autonomie, beaucoup plus peuplée qu'on ne le pensait (15), et les distances qui séparaient les villes n'excédaient pas parfois de beaucoup les quinze kilomètres. Tout le littoral de la Phénicie n'a pas encore été fouillé et, à côté des villes dont on a retrouvé l'emplacement, il en existe peut-être autant qui attendent toujours pour livrer leurs secrets.
Ces villes phéniciennes, fouillées ou non, sont en commençant par le Nord:
- Ras-Shamra Ugarit: Cette ville se trouve à onze kilomètres au Nord de Lattaquié sur un Tell situé à deux kilomètres de la mer. Les fouilles entreprises par M. Claude Shaeffer et les vestiges accompagnés de textes qui ont été mis à jour nous ont fixés sur l'importance de cette ville (16).
- Anti-Arados: Petite ville dont il ne reste que peu de vestiges; actuelle Tortose.
- Arad, Arouad: Ville située sur une petite île non loin des côtes syriennes au Sud d'Ugarit; le petit royaume d'Arad contrôlait la partie du continent située à sa hauteur avec le passage naturel qui conduit à la vallée de l'Oronte jusqu'à Hama (17).
- 'Amrit: Ville entièrement détruite, fameuse par ses tombeaux sémitiques appelés aussi Méghazils.
- Simira, Shimra: L'emplacement de cette ville se trouvait probablement à l'embouchure du Nahr el-Kébir.
- 'Arqa: Ville située à moins de vingt kilomètres au Nord de Tripoli au Liban. Son emplacement est localisé, mais aucune fouille n'y a été entreprise jusqu'à présent. Cette ville devait être importante et très peuplée. Elle est citée dans le récit de la bataille de Qadesh et dans un texte de Salmanassar III (859- 824) dans lequel il énumère les villes qui se sont soulevées contre lui. La ville de 'Arqa avait levé une troupe de 10.000 soldats alors qu'Arad n'en avait levé que 200 (18).
- Tripolis, Tripoli: Cette ville était formée de trois grands quartiers qui appartenaient aux trois plus importantes villes maritimes de l'époque, à savoir Arad, Byblos et Sidon.
- Botris, Batroun: Ville toujours florissante qui se trouve à une trentaine de kilomètres au Sud de Tripoli; elle a été citée au XIVe siècle avant Jésus-Christ dans les tablettes de Tell el- 'Amarna.
- Gubl, Jbeil, Byblos: L'une des plus anciennes villes du monde bâtie en pierre, l'une des plus importantes villes phéniciennes.
- Birot, Beryte, Beyrouth: :e nom de cette ville est probablement le pluriel, Birot, du mot Bir qui signifie: puits. Il y en avait beaucoup à cette place et il en reste aujourd'hui quelques-uns encore (19).
- Kheldua, Mutatio Heldua, Khaldé: Cette ville se trouve à une dizaine de kilomètres au Sud de Beyrouth, ses fouilles sont toujours en cours (20).
- Tamoura, Tamyras, Damour: une ville moderne du nom de Damour s'élève à l'emplacement de l'ancienne ville qui reste toujours inexplorée.
- Saidoun, Sidon, Saida: La plus ancienne ville de Phénicie après Byblos; il y existe actuellement plusieurs champs de fouilles. Les habitants de Sidon ont fondé Tyr en 2750 environ (21).
- 'Ir Asarhaddon: Est-peut -être l'actuelle Tell Brak.
- Sarepta, Sarafand: Petite ville moderne. C'était dans l'antiquité une ville très commerciale (22); elle a reçu la visite du Prophète Elie (23).
- Adloun, Ornithopolis: On y trouve des grottes préhistoriques et des vestiges de deux villes romaine et byzantine.
- Sour, Tyr, Sour: Une des plus importantes villes de Phénicie qui n'a pas encore fini de livrer ses trésors.
- Laodicée en Canaan: Cette ville serait actuellement Oum el-'Awamid; vestiges achéménides et hellénistiques très importants.
- Tell el-Rachadieh: Ce Tell a livré plusieurs pièces qui remontent aux VIIIe et VIIe siècles avant Jésus-Christ. Serait-il Palaetyr?
- Akzipa, Ez-zib: ville située entre Ras el-Naqoura et St. Jean d'Acre.
- 'Akkou, Saint- Jean d'Acre, 'Akka: Ville phénicienne très importante.
- Dor, Tantoura: Cette ville (Dor) est citée dans des textes qui remontent au début du XIe siècle avant Jésus-Christ, relatant le voyage de Oun Amon (24).
Toutes ces villes, avec leurs habitants , avaient le privilège d'être situées dans un des beaux cadres géographiques du monde. Tous les éléments favorables à un épanouissement de l'humain s'y trouvaient concentrés. Des monts de plus de 3000 mètres de hauteur jusqu'aux plages immenses se succédaient, grandes forêts, herbes rares, vignobles, sources d'eau pure et terrains fertiles aptes à toutes les cultures (25). Tous ces avantages prédisposaient cette contrée à devenir un paradis terrestre ou à continuer à l'être, n'était l'inquiétude presque constante qui n'a pas cessé de se faire plus effective tout au long des siècles.
C'est dans cette ambiance, et dictée par les nécessités du moment, que naquit et prit forme ce qu'on appelle la civilisation phénicienne. Dès le commencement de sa réussite comme commerçant et marin la personnalité propre du Phénicien s'est affirmée comme étant celle d'un homme pieux, aimant la tranquillité, antimilitariste (26), mais sachant s'adapter en toutes circonstances aux exigences du moment. Les textes phéniciens découverts principalement à Ras-Shamra sont venus confirmer presque tous les côtés de son caractère. Cette souplesse du caractère des Phéniciens est mise en évidence non seulement dans la réussite de leur entreprise coloniale (27) dans laquelle ils ont su s'adapter à des civilisations de loin inférieures à la leur, mais aussi dans leurs relations avec les grandes nations civilisées de leur temps, à savoir les Egyptiens, le Hébreux, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses et les Grecs (28).
La souplesse et l'intransigeance combinées sont des qualités qu'on ne peut attribuer à n'importe quel peuple. Nous pouvons dire cependant que ces qualités faisaient partie des caractéristiques des Phéniciens. Nous sommes certains que ceux-ci ont fait partie inhérente de l'ensemble des nations et ont été intiment liés à leur histoire, on ne peut en aucun cas les détacher d'elles en se basant sur certaines circonstances particulières (29). Les milliers d'années de grandeur phénicienne, les dangers et les vicissitudes qu'ils ont du affronter et qu'ils ont surmontés, sont autant de garanties de leurs forces vives et de leurs énergies vitales. Ces qualités n'ont pas été l'apanage de beaucoup de peuples à travers l'histoire.
L'aspiration au bien-être et au luxe du peuple phénicien décrite par le prophète Ezéchiel (30) n'était que légitime ou tout au moins excusable, d'autant plus qu'il avait fait montre d'une capacité indiscutable à entreprendre les travaux les plus ardus avec une persévérance inlassable à travers toute sa carrière d'armateur, d'artisan, de colonisateur et de commerçant. Aucun peuple de l'antiquité n'a travaillé régulièrement et autant que la majorité de la nation phénicienne. Aucun autre peuple aussi n'a profité comme le Phénicien des joies et des délices de la vie; mais ses jours de repos ont été très courts car, non seulement il devait gagner sa vie, mais il lui fallait aussi remplir les coffres des puissances toujours menaçantes à ses portes.
C'est dans ce climat de joies et de larmes, de travail grouillant et de lutte pour la vie, chez un peuple très commerçant mais déjà relativement assez évolué par rapport à son époque que se situe notre étude de la représentation de l'individu (31).
Chapitre 1 - La représentation de l'individu au troisième millénaire
Il est nécessaire de commencer notre exposé par l'étude de quelques spécimens des représentations néolithiques, car nous croyons fermement qu'a aucun moment de son histoire, la Phénicie ne s'est trouvée vidée complètement de ses habitants, puis repeuplée par des hordes nomades qui seraient venues s'installer sur ses côtes (32). Par conséquent il nous sera possible de déceler une continuité dans l'art et dans les idées qui restera décelable jusqu'au milieu du IIe millénaire. Nous avons les preuves que la montagne du Liban et le littoral phénicien étaient peuples bien avant le quatrième millénaire (33), donc les peuples sémites ou autres qui sont venus s'établir en Phénicie se sont greffés sur les autochtones pour ne former en fin de compte qu'une ethnie propre qui est l'ethnie phénicienne (34).
Nous allons commencer à présent par l'étude détaillée de chaque représentation. Toutes les représentations qui vont suivre, sauf mention contraire, ont été trouvées à Byblos.
La première de ces représentations (figure1) est un galet sculpté. Il date de l'époque néolithique, sa hauteur est de 22 cm. Et sa largeur de 13cm. Le travail de la figure est très primitif et sommaire. L'artiste a procédé par une incision de traits verticaux et horizontaux. C'est un essai très primitif de la représentation, il n'a aucune originalité artistique; son intérêt réside dans son ancienneté et peut- être dans la forme du galet. Celui-ci pourrait ne pas représenter un dieu ou un personnage bien déterminé, il serait alors le premier balbutiement des loisirs artistiques en Phénicie, exécuté par un quelconque apprenti artiste qui voulait, mu par la curiosité, "essayer".
Il reste une chose à ne pas négliger, c'est la forme ovoïde du galet. Il se peut que ceci ne soit que fortuit, mais d'après ce que nous savons des anciennes croyances des pré-Phéniciens et des jarres mortuaires qu'on a trouvées à Byblos, nous pourrions supposer que l'artiste, s'il n'a pas taillé cette pierre pour lui donner la forme d'un œuf, l'a choisie du moins parce qu'elle avait déjà cette forme. Et ce qui est important pour les jarres funéraire, c'est peut-être leur forme ovoïde, mais encore beaucoup plus les squelettes qu'elles contenaient et auxquels on avait donné la position du fœtus (35). Car il se peut que pour les premiers habitants de la Phénicie, tout soit né de l'œuf (36).
La statuette suivante (figure2) est en terre cuite. Elle date de l'époque néolithique mais est plus récente que le galet. Elle représente une femme jusqu'aux hanches, la partie inférieure ayant été cassée ultérieurement; sa hauteur est de 4 cm. et sa largeur de 0,75 à 1,5 cm. Le travail artistique est mieux conçu que celui du galet, les bras sont mis en valeur ainsi que les oreilles qui sont presque éclipsées par de grosses boucles. Les seins sont formés de deux petites boules, qu'on peut appeler aussi pastilles, collées à la poitrine. Le visage reste très sommaire, les yeux et le nez sont formés par de petites pastilles aplaties et collées sur la figure. Il n'ya pas de doute que nous avons là une représentation de la femme, nous pencherons à y voir un être humain plutôt qu'une personnalisation de la déesse-mère ou de la déesses de fécondité, néanmoins nous sentons que l'artiste commence déjà à auréoler la femme d'une touche de mystère quant à sa puissance de procréation. Toutes les sociétés antiques se sont débattues pendant un certain temps avec ce problème mystérieux et leurs représentations de la femme ont été appelées tour à tour déesse- mère, déesse de la fécondité et principe de la fécondité. Les sociétés antiques pré-phéniciennes s'y sont laissées prendre, mais l'artiste a essayé quand même de dévoiler ce mystère en tendant de le concrétiser.
La statuette en terre cuite (figure 3) date aussi de l'époque néolithique. Elle a une hauteur de 5 cm. et une largeur de 2 cm. Elle représente une femme dans ses formes grossières, les jambes ont été ultérieurement brisées. Il est à noter que tout le travail a été centré sur le ventre et sur les organes génitaux. La tête n'est pas travaillée du tout, les bras sont disproportionnés et les seins n'existent pas. Ceci vient confirmer ce que nous avions dit ci-dessus. L'artiste, intrigué par cette puissance créatrice, aurait-il voulu la toucher de très prés, la modeler lui-même pour pouvoir en saisir toutes les finesses mystérieuses? Dans tous les cas, le ventre est là pour expliquer le rôle de la femme et le principe de la fécondité.
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas hésiter parfois à demander aux œuvres des primitifs plus qu'elles ne peuvent exprimer, car les artistes qui sont arrivés à nous donner ces œuvre, nous ont prouvé qu'ils ont beaucoup réfléchi aux différents problèmes de la vie et de la nature et parfois avec beaucoup plus d'entêtement que nous ne le faisons nous-mêmes. Nous ajouterons à cela qu'un être humain est, par définition, un être qui réfléchit et nous citerons ici la phrase d'un éminent sociologue: "Il est évident, a-t-il dit, qu'il n'y a jamais eu d'être humain qui n'ait eu le sens non seulement de son corps, mais aussi de son individualité spirituelle et corporelle à la fois" (37).
Nous allons entrer à présent de plain-pied dans le troisième millénaire et étudier quelques statuettes et représentations assez curieuses et assez significatives. Mais auparavant nous dirons quelques mots sur l'époque énéolithique. Nous n'avons trouvé que quelque idoles en os représentant peut-être la déesse-mère. Leur forme est tellement schématisée qu'elle ressemble plus à un violon qu'à une femme. Les deux innovations de cette époque sont le cuivre et les jarres funéraires (38).
La représentation par laquelle nous allons commencer (figure4) est en terre cuite et date de la première moitié du troisième millénaire. Elle a une hauteur de 9 cm. Et une largeur de 5,5 cm. Le personnage représenté porte un vase ou un panier sur son dos. La tête est relativement bien ciselée et les bras sont repliés vers le cou pour accrocher le panier sur le dos. Que penser de cette représentation? Nous ne pouvons pas dire que c'est un ex-voto, ce n'est non plus ni un portrait ni une représentation divine; le visage, s'il était mieux travaillé, nous aurait peut-être donné quelques indications sur les caractéristiques de la race de l'artiste (39). Car la préoccupation première, le premier reflexe si l'on peut dire, de l'apprenti artiste est de représenter sa race ou les hommes qui forment son clan; et dans la conception de l'artiste primitif, d'une part le clan est constitué par un certain nombre de personnes, en vérité de personnages, et, d'autres part, le rôle de tous ces personnages est réellement de figurer, chacun pour sa partie, la totalité préfigurée du clan (40).
Il nous reste à émettre une hypothèse qui s'appliquerait à certaines représentations, et en particulier à celles qui datent du troisième millénaire, à savoir que celles-ci ne sont qu'une sorte de production artistique sortie de l'imagination fertile de l'artiste qui voulait créer quelque chose d'original. On notera l'absence totale d'influence étrangère qu'elle soit artistique ou religieuse. L'artiste phénicien n'est pas encore devenu l'artiste universel que l'on connaitra au cours des deuxième et premier millénaires; il est encore trop préoccupé de sa condition intérieure pour jeter ne fût-ce qu'un regard vers l'extérieur (41), bien que ses relations avec l'Egypte datent déjà de l'époque des toutes premières dynasties qui ont été fortement influencées par la civilisation phénicienne surtout dans les domaines de la marine et de l'agriculture (42). Nous reviendrons sur cela lorsque nous étudierons les quelques représentations agraires qui datent de la seconde moitié du troisième millénaire.
Quant à la cruche, si l'on peut l'appeler ainsi, qui se trouve sur la figure 5, elle est contemporaine de la représentation précédente et a une hauteur de 8 cm. Et une largeur de 7,5cm. Cette petite cruche, dont le goulot a été brisé, a, en forme d'anses, deux personnages accolés à elle de part et d'autre. La façon dont ils sont traités est plus archaïque que celle du premier vase. Nous retrouvons l'influence de l'époque néolithique surtout dans la forme des oreilles et des yeux; ceci peut constituer une preuve de la continuité du courant artistique préhistorique, en plein milieu du troisième millénaire phénicien. Tout ce que nous avons dit du premier vase peut s'appliquer à cette cruche quant à la destination usuelle; il nous serait très difficile d'imaginer cette cruche autre part que dans un éventuel service de maison. Son importance pourrait être réelle dans le cas où il y aurait une concordance avec le thème des vases jaillissants et ses représentations (43), ou une influence religieuse quelconque (44).
Avec la figure 6, nous avons un ensemble typiquement agraire, il date de la seconde moitié du troisième millénaire. Le personnage à gauche sur la photo a une hauteur de 20 cm. , celui de droite a une hauteur de 22 cm. Et le diamètre du plateau est de 30 cm. Environ. Cette œuvre représente donc deux personnages entièrement nus, debout de part et d'autre d'un poteau représentant probablement le tronc d'un arbre ou un arbre stylisé; ils sont flanqués chacun d'un taureau attelé à une charrue hypothétique.
Le travail artistique s'affine de plus en plus surtout dans le traitement du visage nous constatons déjà beaucoup plus de vie dans les yeux, le nez, la bouche et le port de la tête. Nous relevons quand même la présence des deux petites pastilles qui forment les seins. Les corps sont nus, mais chaque individu est coiffé du bonnet pointu qui est un élément caractéristique de la représentation phénicienne et qui s'est parfois modifié sous les différences influences: hittite, mésopotamienne ou égyptienne. Il serait intéressant de noter que jusqu'à maintenant les paysans des coins reculés de la montagne libanaise portent des bonnets identiques confectionnés en laine de mouton comprimée.
Nous sommes sans aucun doute devant ce qu'on peut appeler une représentation agraire. Car les Phéniciens ont commencé par former des sociétés agraires avant de devenir navigateurs et commerçants (45). Ils furent agriculteurs de première force, puisque déjà au début du troisième millénaire, ils exportaient leurs produits en Egypte; c'est alors que la langue égyptienne s'appropria certains termes que les langues phéniciennes et sémitiques donnaient à quelques-uns des produit agricoles, comme Ka (r) mu = vigne et Qamhu = blé (46).
La présence des taureaux attelés nous confirme en quelque sorte l'ampleur de la civilisation agraire phénicienne et l'étendue de l'inspiration artistique.
Une chose très importante reste à noter; ces statuettes sont placées sur un plateau en terre cuite. Ce fait peut nous suggérer une explication à cette œuvre; il peut s'agir d'un ex-voto placé dans un temple, et la représentation des deux individus pourrait être considérée comme des portraits mais très mal définis, orientés plutôt vers une personnification anonyme du type ou de la race. Il se peut aussi que nous soyons devant un travail purement artistique destiné a être exposé et qui représente un des aspects de la vie des citoyens à cette époque: l'aspect agraire. Les deux individus représenteraient alors des types purement locaux et il nous sera permis d'assister à un acheminement lent qui nous mènera à une nette différenciation de la représentation anonyme et du portrait qui pourra être distinguée plus tard.
L'œuvre suivante (figure7) qui représente un homme et un taureau date de la fin du troisième millénaire. La hauteur de la statuette est de 12 cm. L'homme et le taureau se tiennent debout côte à côte sur un plateau en terre cuite; la tête de l'homme est brisée, cependant nous remarquons que l'allure générale est plus évoluée que celle des statuettes précédentes. Le taureau est mieux rendu surtout dans le traitement de ses yeux. Un effort est accompli pour rendre l'homme beaucoup plus naturel, on l'a habillé d'un pagne et sa main gauche se trouve sur la nuque de l'animal, comme pour le conduire (47).
Le taureau qui accompagne l'homme n'a qu'une valeur agraire, nous ne pensons pas qu'il ait déjà acquis une valeur religieuse (Thor-El). Mais cette préférence et cette tendresse que l'homme lui prodigue nous montrent clairement qu'il semble déjà avoir acquis à cette époque une importance vis-à-vis des autres animaux qui augure de sa place et de son rôle futurs.
Nous avons dans la figure 8, une représentation en terre cuite; elle date de la fin du troisième millénaire, la hauteur de la représentation est de 10 cm. Le groupe est formé d'un homme debout et de deux bœufs attelés à la charrue. C'est une représentation tout à fait agraire de facture décadente, mais plus significative pour nous que les précédentes. Jusqu'à cette époque les taureaux n'étaient représentés qu'avec les humains; à partir de ce moment, nous commençons à trouver des taureaux de différentes tailles très bien sculptés à l'encontre des statuettes humaines qui sont, il est vrai, plus difficiles à exécuter.
La statuette que nous avons sous les yeux (figure9) représente le tronc d'un homme dont les bras sont à moitié brisés, la tête est sans coiffure, les oreilles sont exagérées, le nez recourbé et, pour la première fois, la barbe apparait d'une manière évidente taillée à la façon sémite (48).
Nous arrivons maintenant à une série de têtes qui forment une galerie de portraits, si l'on peut se permettre ici cette expression. Ces représentations sont toujours dans l'esprit du troisième millénaire phénicien, l'artiste est curieux juste de ce qui l'entoure; il a passé en revue la vie domestique et la vie agraire et rurale; il examine à présent les différents types d'hommes qui l'entourent.
La tête par laquelle nous allons commencer (figure10) est en terre cuite et date de la fin du troisième millénaire. Sa hauteur est de 9 cm. Et sa largeur de 4cm. Elle est coiffée d'un casque pointu surmonté d'un cimier. Il reste la moitié de ce qui devait être la barbe ou la lanière de fixation qui passait sous le menton. Le visage est assez caractéristique à cause surtout des yeux formés par deux trous ronds; cette technique a deux explications: ou bien les cavités ont été faites pour contenir des pierres précieuses, perdues maintenant, ou bien elles ont été faites pour différencier les types les uns des autres come nous allons le voir dans les représentations suivantes. Le visage est bien de la Phénicie, il est maigre, le nez est recourbé et accentué, le menton est pointu. Cette tête peut avoir appartenu à une statuette, comme il est très probable aussi qu'elle ait été faite à part.
Les têtes qui vont être étudiées par la suite sont toutes de la même époque et ont la même facture artistique; mais il semble qu'elles n'aient pas été faites en série à la manière des exvotos du temple aux obélisques par exemple, car nous ne trouvons pas de ressemblance entre elles. Ceci nous encourage à émettre l'idée que nous sommes en présence non pas de portraits proprement dits, mais de types de communautés différentes qui vivaient au même endroit à la même époque (49). Ces communautés pouvaient être établies dans la cité ou bien être simplement de passage, ceci ne change rien au fait que l'artiste a voulu essayer de rendre exactement le climat un peu cosmopolite qui régnait déjà à Byblos à cette époque.
La figure 11 représente la deuxième tête de la série; elle est en terre cuite et date de la fin du troisième millénaire. Elle a une hauteur de 6 cm et une largeur de 5 cm. Nous ne pouvons être fixés d'une manière définitive sur la coiffure de cette tête car elle a disparu. Mais la figure en général est de la même facture que la première: le menton est pointu, le nez accentué, mais les yeux ne sont pas ronds, ce qui change totalement le visage; ils sont fendus en largeur et évidés, nous ne pouvons pas dire si ceci est intentionnel ou fortuit.
Ce que nous avons dit de la tête précédente peut s'appliquer à celle-ci; il reste néanmoins à attirer l'attention, en ce qui concerne ces deux têtes et les suivantes, sur une certaine mobilité du visage; nous ne trouvons pas trace de cette rigidité symétrique tout à fait égyptienne qui a caractérisé sur une grande échelle l'art de ces contrées pendant un assez long laps de temps et à laquelle l'art phénicien, bien qu'il soit composé, n'a pu échapper parfois.
La figure 12 représente une tête égyptisante en terre cuite de la fin du troisième millénaire; elle a 6 cm de hauteur et 5.5cm de largeur. Nous ne pouvons pas dire si l'artiste s'est inspirée de l'art égyptien pour exécuter cette tête ou bien s'il a voulu représenter un type de personne sans pour autant parler de portrait proprement dit. De toute façon la tête diffère des autres; le menton est carré, le nez droit, les joues glabres et les yeux sont taillés de telle façon qu'ils épousent parfaitement la forme du visage et de la coiffure; celle-ci est formée par des cheveux bien taillés qui recouvrent les oreilles suivant la mode égyptienne. Le visage pèche par un excès de rigidité - que nous n'avons pas remarqué sur les têtes du premier lot - à cause précisément du modèle égyptien.
La figure 13 nous donne la représentation d'une tête en terre cuite datant de la fin du troisième millénaire. Elle a une hauteur de 5 cm. et se rapproche un peu des têtes 10 et 11; elle est traitée à peu prés de la même manière, le casque pointu, brisé ici, les yeux globuleux et troués et le nez grand et crochu. Il n'y a que la barbe sémitique qui est ici bien apparente. Il est à noter que ces petite sculptures sont d'inspiration locale quant à la mobilité du visage, mais nous ne pouvons y déceler beaucoup d'originalité à cause de la monotonie des traits.
La tête de la figure 14 a 6 cm. de hauteur; elle est différente de la précédente surtout par le nez qui et droit et pourrait-on croire, un peu retroussé; les cheveux sont apparents bien que nous remarquons l'ébauche d'un couvre-chef qui est malheureusement brisé. Les yeux sont troués mais d'une manière plus élégante et la barbe est plus longue et moins sémitique.
La statuette que nous allons étudier à présent (figure15), est également en terre cuite. Elle date de la fin du troisième millénaire; sa hauteur est de 14,5 cm et sa largeur de 7.5cm. Cette statuette représenté un homme se tenant peut-être debout; nous disons peut-être, car ses bras et ses jambes sont brisés au trois quarts, ce qui est très regrettable, car il aurait été très intéressant pour nous de voir le mouvement des bras et des jambes, ce qui nous aurait changé des statues figées des artistes pharaoniques. La facture est plus évoluée ici que dans les représentations précédentes. Nous arrivons à discerner aussi deux innovations: premièrement, un essai de tailler les cheveux et de les mettre en valeur, deuxièmement, un essai de reconstitution du pagne court que nous verrons sur presque toutes les statues phéniciennes, ainsi que la représentation de certains bijoux, ici le collier. Néanmoins certaines techniques n'ont pas évolué, comme le trainement des yeux par des trous ronds et les seins figurés par des pastilles collées au torse. Cette représentation nous donne une idée de l'aspect extérieur de l'homme de cette époque, ses vêtements, ses parures, ses cheveux coupés courts et l'absence de barbe.
Ce que nous pouvons conclure de l'étude de ses représentations du troisième millénaire, c'est que les Phéniciens en général et les artistes en particulier de cette époque n'avaient pas encore commencé à s'intéresser de trop prés au monde extérieur (50). Ils n'étaient pas encore entrés dans la ronde des idées et des courants qui n'allaient pas tarder à converger vers eux de toutes les parties du monde civilisé; ils prospéraient lentement dans leurs villes sans aucune contrainte. Leur société religieuse commençait à prendre forme, et si l'on ne trouve presque aucune représentation divine chez eux au cours de ce millénaire, c'est que leur religion et leurs dieux n'étaient pas probablement présents clairement à leurs esprits (51).
Cette mentalité découle forcément du contexte sociologique et religieux dans lequel ils vivaient. La société phénicienne était essentiellement une société agraire basée sur l'essai de compréhension des mystères de la nature et c'est, nous semble-t-il, par une sorte d'accord tacite qu'elle s'est développée et qu'elle a fini par nous donner, dans les textes de Ras-Shamra Ugarit, ses rites de mort et de résurrection qui tournent autour du principe de la vie et des saisons. Ensuite il était d'usage dans l'ancien temps , bien avant l'interpénétration des rites et des mythologies dans les différentes contrées, qui a fait qu'on retrouvait les dieux phéniciens en Egypte et en Mésopotamie et vice-versa, il était d'usage donc, pour le peuple vainqueur, de substituer ses dieux aux dieux du peuple vaincu en effaçant jusqu'à leurs noms (52).
Les Phéniciens, qui avaient formé une entité particulière, car c'est autour d'idées communes, religion, patrie, monnaie, autant que sur le sol que se groupent les hommes avec leur matériel, leurs nombres et leurs histoires, ne voulaient pas prendre le risque de disparaître avec la disparition de leurs dieux et de leurs idéaux (53).
Il y a sans aucun doute quelque chose de très pur et de très idéalisé dans les représentations que nous venons d'étudier. Pourquoi tous ces personnages représentés sont entièrement ou presque nus? Nous ne pouvons a aucun moment penser que les habitants de la Phénicie au troisième millénaire ne s'habillaient que d'un pagne; avaient certainement d'autres habits, mais ils ont préféré pour différentes raisons assez obscures par ailleurs, s'en passer dans leurs représentations. D'ailleurs c'est vêtus de pagne et parfois de robes longues que nous les verrons représenter leurs dieux au cours du deuxième millénaire.
Ainsi ces statuettes et ces tètes que nous venons de passer en revue nous donnent une image assez fidele et un aspect vivant de la société phénicienne au troisième millénaire. Une société libre de toute contrainte qu'elle soit artistique, religieuse ou sociale. C'est un peu étonnant mais quand même réconfortant de constater qu'à l'époque ou en Egypte le fouet claquait sur le dos de milliers d'esclaves contraints à construire les grandes pyramides, en Phénicie, les habitants s'adonnaient à leurs industries et à leur commerce, et alimentaient les légendes en fondant des colonies et des villes qui ne tarderont pas à prospérer comme Tyr par exemple (54).
(1) Tous les archéologues qui ont travaillé sur les Phéniciens leur ont consacré des études assez restreintes relativement et plus ou moins détaillées au sein de grands traités généraux. Même les spécialistes de l'art phénicien ont préféré englober l'iconographie dans les critiques générales de l'art.
(2) Les limites de la Phénicie varient suivant les archéologue et les historiens qui le ont étudiées. Mais il et communément admis actuellement qu'elle était bornée au Nord par la ville d'Ugarit et arrivait au Sud jusqu'à Gaza et ce, avant l'arrivée des Hébreux. (Cf. René Dussaud, L'art phénicien du IIe millénaire, Gauthner, Paris, 1949 et George Contenau, la civilisation phénicienne, Payot, Paris, 1949). Les montagnes du Liban et de l'Anti-Liban en faisaient partie. M. Henri Seyrig écrit dans son article: "Statuettes trouvées dans les montagnes du Liban", paru dans Syria, 1953, pp. 24-50, que ces montagnes étaient par des populations de race asianique, alors que l'Abbé R. Largement pense dans son étude sur Le Rôle et la place du Liban dans la conception religieuse du Proche-Orient ancien, publications de l'Université Libanaise, Beyrouth, 1965, que les Phéniciens étaient des montagnards à l'origine.
(3) Il suffit au lecteur de revoir une histoire du Liban assez détaillée pour se rendre compte des tiraillements qu'a subis le Liban de la part de ses voisins voraces au cours de son histoire (cf. Nagib DAHDAH, Evolution historique du Liban, Editions Oasis, Mexico, 1964).
(4) Les deux millions de Libanais (presque au même nombre que les habitants de la mère-patrie) qui sont éparpillés de par le monde, sont un exemple frappant de ce goût de l'émigration. Cf. Michel Chebli, L'émigration libanaise, Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1927, et les rapports successifs de l'Association des Libanais dans le monde.
(5) Dans les traditions actuelles du Liban, les formules d'exorcisme contre les mauvais esprits ou le mauvais œil, quand on en parle, sont de rigueur ainsi que les formules du respect dû à Dieu ou aux voisins quand on en profère le nom.
(6) Voici quelques termes toujours en usage au Liban et qui découlent directement du phénicien sans qu'on en trouve d'équivalents en arabe.
-'Erz ou 'erzal veut dire actuellement lit de branchages; or 'erz en phénicien veut dire lit.
- Yaraqan veut dire jaunisse. Yarq en phénicien veut dire jaune.
- Khirs veut dire boucle d'oreille en or. Khirs en phéniciens veut dire or. Ce mot a donné en grec chrysos, d’où Crésus.
- Sabal, Sett, Kedrat veulent dire en phénicien comme en libanais respectivement: épi de blé, dame, et motte de terre. Ces termes, ainsi que beaucoup d'autres ont été relevés par M. Fouad Boustany dans une étude inédite.
(7) René Dussaud dans son ouvrage, L'art phénicien du IIe millénaire, Gauthner, Paris, 1949, p.9 écrit: "Aucune question n'a aussi profondément divisé les archéologues et les historiens que celle de l'art phénicien et de son rôle dans la Méditerranée."
(8) Charles Autran dans son Essai de contribution à l'histoire antique de la Méditerranée, Paris, 1920, p. 58, prétend que les Phéniciens (les vrais; ceux des grandes inventions…) "Egéens ou Lélèges" n'avaient rien de commun avec la triste progéniture de la frange orientale de la Méditerranée, tels ces "sous- produits" de Sidon et de Tyr.
(9) Cf. Les comptes-rendus de M. Claude Shaeffer pour Ugarit, de M. Maurice Dunand pour Byblos et de l'Emir Maurice Chéhab pour Byblos, Sidon et Tyr dans Syria, Bulletin du Musée de Beyrouth, Ugaritica, et Biblia grammata, Direction des Antiquités, de Beyrouth 1945.
(10) Léonard Wooley dans Mésopotamie et Asie antérieure, A. Michel, Pari, 1961, p. 100-101 dit, en parlant des figurines phéniciennes en bronze: "Ainsi pense-t-on que l'artiste ne s'intéresserait qu'à l'aspect frontal, mais ce qui l'intéressait, il l'a remarquablement bien rendu. Même dans cet objet, le plus ancien exemple connu de l'art phénicien, on peut discerner quelque chose de ce que durent être à travers les siècles, les caractéristiques de cet art. La technique qui est admirable est phénicienne, mais l'inspiration vient d'ailleurs."
(11) Maurice Dunand, Byblos, A. Maisonneuve, Paris-Beyrouth, 1968, pp. 18-20; Pierre Montet, Byblos et l'Egypte, Geuthner, Paris, 1928
(12) Georges Contenau, La civilisation phénicienne, Payot, Paris, 1949, p 26.
(13) Henri Seyrig, "Statuettes trouvées dans les montagnes du Liban", dans Syria, 1953, pp. 24-50.
(14) Ces précisions nous ont été données par le Professeur Hachmann, directeur de la mission allemande qui entreprend les fouilles à Kamed el-Loz. Cette ville est située au Sud-est du Liban à proximité de la frontière syrienne, à proximité de la route qui mène à Damas.
(15) Georges Contenau, La civilisation phénicienne, Payot, Paris, 1949, p 26.
(16) Cf. les rapports de fouilles de M. Claude Shaeffer dans Syria notamment et les différentes traductions des textes.
(17) Emir Maurice Chéhab, Etude inédite.
(18) A. Dupont- Sommer, Les Araméens, A. Maisonneuve, Paris, 1949, p. 36.
Apres une période d'éclipse, cette ville reprit sous les Romains quelque notoriété. CF. Isidore Levy, "Deux noms phéniciens altérés chez Josèphe" dans Mélanges Syriens offert à M. René Dussaud, Paris, 1939, tome II, p. 539-545.
(19) Note inédite de M. Fouad Boustany
(20) Le R.P. Martin dans son Histoire du Liban, traduction arabe de Rachid Chartouni, Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1889, p. 596, pense que Khaldé était la ville du dieu Kheld et qu'un temple romain s'élevait à cette place.
(21) Hérodote, Livre II, XLIV.
(22) Il est très possible que le mot Sarafand vienne du terme Saraf qui veut dire "le change"
(23) Cf. l'Ancien Testament
(24) Arthur Weigall, Histoire de l'Egypte ancienne, Payot, Paris, 1935, pp. 190, 192
(25) Georges Contenau dans la civilisation phénicienne, p. 52 écrit: "Toutes les essences de montagnes: chênes, noyers, arbres à résine, pin et cyprès, y étaient représentées selon l'altitude. Mais c'étaient surtout les cèdres qui constituaient la richesse du Liban." L'auteur se fonde, pour dire cela, sur les "bas-reliefs du temple de Karnak du XIVe siècles relatant l'expédition de Thoutmès III en Phénicie et représentant entre autres les fruits du Liban et aussi sur la papyrus Anastasi I qui date de l'époque de Ramsès II.
(26) Les Phéniciens furent probablement obligés d'être antimilitaristes vu leur manque d'unité, l'exigüité de leur territoire et leur petit nombre. Il ne suffit pas de renvoyer au cycle de Ba'l et 'Anat pour au contraire dire qu'il furent un peuple féroce et sanguinaire. Ils le furent peut-être en esprit mais très peu en pratique. Nous connaissons à merveille cette caractéristique de la mentalité sémitique et surtout arabe qui consiste à combattre férocement sur le papier lorsqu'on n'est pas en mesure de le faire sur les champs de bataille. Les textes sémitiques, les stèles (celle de Mesa'), les épopées et les poésies arabes préislamiques et classiques sont là pour illustrer cet exemple.
(27) Il suffit de lire les imprécations du prophète Ezéchiel contre Tyr, pour se rendre compte de l'orgueil qui a dû caractériser toutes les villes phéniciennes au plus fort de leur expansion. "Tu as dit: Je suis dieu, j'habite une résidence divine au cœur des mers" Ezéchiel, XXVIII, (2), traduction Edouard Dhorme, L'Ancien Testament, Paris, 1959.
(28) "Tous les navires de la mer et leurs marins étaient chez toi pour assurer ton commerce: Tarsis était ton fournisseur, Javan, Tubal, Mések trafiquaient avec toi… Edom était ton fournisseur… Juda et le pays d'Israël trafiquaient avec toi… l'Arabie et tous les princes de Quédar étaient au service de ton commerce… Assur et toute la Médie trafiquaient avec toi…" (Ezéchiel, XXVII).
(29) L'abbé R. Largement écrit: "C'est surtout à sa situation au centre du Croissant Fertile, au carrefour des grandes voies de communications que la Phénicie doit sa prospérité. Elle est par terre le lien entre la Mésopotamie et Canaan et au-delà de l'Egypte, par mer entre l'Orient sémitique et la Grèce. Les habitants du pays ont d'ailleurs su admirablement exploiter ces avantages" (Le rôle et la place du Liban dans la conception religieuse du Proche-Orient ancien, Beyrouth, 1965, p.7).
(30) "Ton revêtement était de toutes sortes de pierres précieuse: le rubis, le topaze, les brillants… les disques et les pendeloques que tu portais sur toi étaient en or ouvragé…" (Ezéchiel XXVIII, 13-16).
(31) Charles Virolleaud dans son introduction à la légende du roi Daniel écrit: "Mais si les Phéniciens d'il y a trente-cinq siècles estimaient qu'aucun hommage ne pouvait être, plus que celui-là (rendre la justice et prendre la défense des opprimés), agréable au cœur des dieux, n'est-ce pas la preuve que ces populations se faisaient déjà, de la divinité, une conception assez haute? (Légendes de Babylone et de Canaan, A. Maisonneuve, Paris, 1949, p. 64).
René Dussaud en parlant de l'organisation religieuse écrit "qu'elle a profondément marqué le culte israélite jusqu'à laisser des traces dans nos sociétés occidentales". Et: "A travers la tradition juive, nos fêtes de Pâques et de Pentecôte conservent les fêtes agraires cananéenne. Le développement intellectuel du monde phénicien a été tel, qu'il a marqué fortement la littérature hébraïque ancienne. Aussi les commenteurs récents trouvent-ils des lumières nouvelles dans les textes d'Ugarit" (L'art phénicien du IIe millénaire, Geuthner, Paris, 1949, pp. 111, 112).
(32) Maurice Dunand, les fouilles de Byblos, Geuthner, Paris, 1939; Byblos, Maisonneuve, Paris-Beyrouth, 1968, p. 18, 19, 20.
(33) Georges Contenau, La civilisation phénicienne, Payot, Paris, 1949
(34) L'origine des Phéniciens n'a pas encore été déterminée d'une manière exacte et définitive. Plusieurs savants ont étudié ce problème en essayant de localiser avec plus ou moins de succès leur contrée originaire.
Si l'on se base sur les fouilles de Byblos entreprises par Monsieur Maurice Dunand, nous dirons, d'accord avec lui, qu'il est presque impossible à un peuple venu de contrées désertiques d'élever des monuments et d'entreprendre de longs voyages maritime. De toute façon, toutes le théories émises à ce sujet ont été résumées par De Langhe dans Les textes de Ras-Shamra et leurs rapport avec le milieu biblique de l'Ancien Testament, vol. II, ch. III, pp. 433-447.
Quant à nous, nous dirons qu'il n'est pas impossible que les Phéniciens aient été dès le début un peuple très mêlé et qu'ils aient dû apparaître sous le visage sémite duquel toute la contrée fut imprégnée. Mais il n'y a pas de doute aussi qu'à travers les siècles et sous l'influence des différente migrations sémites, les Phéniciens aient adopté la civilisation sémitique. Plus encore, ils contribuèrent à l'élaboration de cette civilisation et la répandirent à travers le monde de l'antiquité.
Ce petit peuple aurait-il eu un noyau préhistorique et protohistorique originaire sur lequel seraient venus se greffer divers éléments de peuples envahisseurs et migrateurs? S'il en est ainsi ce noyau évolutif aurait enseigné la sédentarisation et les différentes cultures aux éléments neufs de sa constitution qui les auraient adoptés pour s'intégrer dans cette nouvelles société.
(35) Il serait peut-être plus à propos de parler dorénavant d'œufs funéraires plutôt que de jarres funéraires.
(36) D'après Sanchoniation (dans R.P. Martin, Histoire du Liban, Beyrouth, 1989, p. 580) dont le idées ont été reprises par Philon de Byblos tout serait né de l'œuf. Nous trouvons aussi mention de la théorie de l'œuf symbole de la vie dans les œuvres de St. Jean Damascène et dans le traité de Lucien de Samosate, La déesse syrienne, Ed. Janick, Paris, 1947. Traduction nouvelle avec prolégomènes et notes par Mario Meunier
(37) Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, 3ème édition, P.U.F., Paris 1966, p. 335.
(38) Maurice Dunand, Byblos, A. Maisonneuve, Paris-Beyrouth, 1968, pp. 17-18.
(39) Georges Contenau, La civilisation phénicienne, Payot, Paris, 1949
(40) Idées développées par Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, 3e édition, P.U.F., 1966, P.339
(41) D'après Georges Contenau, les Phéniciens étaient occupés à jeter les bases de leur civilisation en fondant des villes comme Sidon, Tyr dans la première moitié du IIIe millénaire et Ugarit dans sa deuxième moitié (La civilisation phénicienne, Paris, 1949, p. 34).
(42) René Dussaud, l'art phénicien du deuxième millénaire, Geuthner, Paris, 1949, p.14.
(43) Cela ne veut pas dire que le thème des vases jaillissants soit d'origine phénicienne, mais il est intéressant de noter qu'il est figuré dans la peinture dite de l'Investiture qui ornait le palais de Mari et sur le cylindre A de Gudea, prince de Lagash. Mais André Parrot est d'avis de le placer dans l'iconographie mésopotamienne, Le musée du Louvre et la Bible, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1957, pp. 12-13.
(44) Dans les textes de Ras-Shamra: "Et toi, prends tes nuages, tes vents, ton vase (d'où l'eau jaillit), tes plumes…" (p. 106 b; LI 14, 16)
(45) R. Largement dans son ouvrage, le rôle et la place du Liban dans la conception religieuse du Proche-Orient Ancien, Beyrouth, 1965, p. 8 écrit: "La religion était agricole avant de devenir astrale."
(46) René Dussaud dans L'art phénicien du deuxième millénaire, Paris, 1949, p. 14, cite Albright, The role of the Canaanites, p 17, qui relève l'emprunt par la langue égyptienne de Ka (r) mu = vigne dès la IIe dynastie et de Qamhu = blé, dès la IVe
(47) Cf. L'étendard d'Ur sur lequel est dessiné un sujet identique. Cet étendards date de la première dynastie d'Ur et se trouve au British Museum (d'après: Ur Excavations, II, t. 92).
(48) Ce qui veut dire: une barbe taillée en pointe que nous pouvons actuellement voir portée par les Cheikhs de la communauté musulmane, surtout en Arabie.
(49) Georges Contenau, dans La civilisation phénicienne, pp. 36, 37, parle des expéditions militaires et commerciales des Egyptiens à Byblos et des incursions d'Asiatiques en Egypte pendant le IIIe millénaire et il conclut en disant: "Ces quelques faits repartis tout au long du IIIe millénaire nous montrent les rapports réels entre l'Egypte et la Phénicie à cette époque. L'Egypte envoie des présents au temple de Byblos et des expéditions maritimes pour se ravitailler en bois." Il ne serait pas étonnant donc de rencontrer parmi les Giblites de cette époque des Egyptiens ou des Asiatiques venus se ravitailler dans ce centre commercial.
(50) Ceci par rapport à l'expansion maritime et commerciale du IIe millénaire qui a caractérisé principalement les villes de Ugarit, Sidon et Tyr.
(51) Charles Virolleaud, Légendes de Babylone et de Canaan, Maisonneuve, Paris, 1949, p. 64
(52) R.P. Martin, Histoire du Liban, Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1889 (en arabe), p. 193.
(53) Idées développées par Marcel Mauss dans Sociologie et anthropologie, 3e édition, P.U.F. Paris, 1966, p.289.
(54) Charles Virolleaud, Légendes de Babylone et de Canaan, Maisonneuve, Paris, 1949. Si Tyr fut vraiment fondée par les habitants de Sidon, elle a dû être aux premiers temps une simple colonie bien que la distance entre les deux villes n'excède pas 40 km.