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Le graffiti au Liban, l'exception culturelle

Le graffiti et l'art de rue sont en pleine expansion au Liban. Les différents artistes pratiquent une saine compétition, qui s'exprime sur les murs de la ville aussi bien que dans le cadre d'événements culturels organisés par leurs soins. Rencontre avec quelques acteurs-clefs de la scène locale.

Apparu dans sa forme moderne à New York à la fin des années 70, le graffiti s'est propagé à travers le monde dans les années qui ont suivi. Cette discipline, devenue une culture à part entière, n'est arrivée que très tard au Liban. Les connaisseurs, qui sont aussi les ‘anciens’ du milieu, datent ses débuts véritables à la guerre de 2006. La période de chaos qui a suivi les bombardements était propice aux expériences de toutes sortes, et la police n'avait que faire de ces jeunes qui peignaient les murs à toute heure du jour ou de la nuit. Jusqu'à aujourd'hui, le graffiti libanais profite d'un statut probablement unique dans le monde, puisque ses acteurs bénéficient d'une relative impunité. Phat2, EPS, Taz, Kabrit et les autres graffeurs du cru jouissent donc d’une liberté que leurs homologues européens ou américains leur envient.

Ils sont aujourd'hui moins d'une trentaine, ont entre 19 et 30 ans, sont issus de tous types de milieux et ont un point commun : le désir de faire connaître le graffiti et de développer la scène locale. Pour ce faire, certains prennent des initiatives et voient les choses en grand, comme Chad the Mad, 25 ans, artiste multi-casquettes et organisateur d'événements artistiques. “J'ai arrêté mes études en graphic design pour apprendre l'art de mon côté”, raconte-t-il. “Je ne supportais pas l'idée de créer ou de dessiner dans un bureau, avec des horaires fixes. Je préfère graffer dehors, dans différentes ambiances. C'est la liberté qu'offre le graffiti qui m'a attirée.” Depuis quelques semaines, Chad the Mad est occupé à plein temps par l'organisation d'une compétition qui rassemblera la crème des graffeurs, tatoueurs et autres artistes libanais. ‘Secret Walls X Beirut’, l'événement en question, est d'abord passé par Tokyo, Amsterdam, Londres et d'autres capitales avant de venir s'installer à Beyrouth, sponsorisé par Red Bull.

Une situation propre au Liban

Le graffiti au Liban est donc simultanément en train de naître et de mûrir. Les peintures sur les murs de la capitale se multiplient, le talent et le style des artistes s'affinent rapidement, de fameux graffeurs étrangers viennent participer au développement de cette sous-culture souvent mésestimée... Parmi ces derniers, Reso, Toulousain dont le nom d'artiste est connu de tous les graffeurs français ayant un peu de bouteille, est venu récemment peindre à Beyrouth, participant même au ‘no car day’ organisé dimanche 2 décembre à Gemmayze aux côtés des Libanais EpS et M3alim.

De telles initiatives ne peuvent qu'être bénéfiques pour l'image du graffiti auprès des Beyrouthins, qui ne manquaient pas de mitrailler de photos les trois compères affairés à donner de la couleur et de la vie à un mur autrement dépourvu d'intérêt. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui poussent les Libanais à traiter une activité à priori illégale comme une amélioration de leur environnement plutôt que comme du vandalisme. Beyrouth compte nombre de bâtiments en ruine et de chantiers mis en pause définitive depuis des décennies, et ces tours tristes et fades sont les cibles privilégiées des graffeurs, qui y voient des terrains de jeux où leurs œuvres n'indisposeront personne. “Les gens dessinaient dans des grottes il y a quelques milliers d'années. Nous dessinons juste dans une grotte plus grande !”, s'esclaffe Taz, graffeur libano-géorgien atypique au style aussi diversifié qu'original.

Le graffiti libanais est jeune, et ses acteurs encore peu nombreux mais passionnés. C'est en partie ce qui explique l'absence du côté violent qui se greffe souvent au milieu de la peinture urbaine dans d'autres villes du monde. “Nous sommes en train de créer un mouvement”, affirme Zed, 30 ans, artiste visuel. “Je ne sais pas à quoi ressemblera le futur du graffiti ici, mais je crois que c'est un bon début. On peut déjà voir l'évolution des styles, et c'est en diversifiant les expériences que l'on pourra être reconnu en tant qu'artistes.” Un optimisme salutaire, que l'on ne cherchera pas à contredire.

Propos recueillis par Paul du Verdié - Agenda Culturel 17/12/13