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Conversation sur un autre temps... par Myriam Ryzk

A dix-sept ans, Ghada Shbeir commence ses études musicales et intègre l'Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK). En parallèle à ses cours de chant, elle participe à des concerts au Liban et à l'international et interprète des chants traditionnels et religieux. Elle enseigne aujourd'hui à l'USEK, à l'Université libanaise, ainsi qu'au conservatoire national. Elle fait découvrir au cours de ses concerts, le répertoire syriaque et les Mouachah qui sont des chants brefs, certains durent moins d'une minute, et qui ont ete crées par Moukaddam Ibn Mouafa de Qabra dans l'Andalousie du Xème siècle.

Elle parcourt ainsi le monde avec un éventail de traditions religieuses chrétiennes et Arabo-andalouses. Ghada Shbeir est nominée au BBC World Music Awards 2007 pour la catégorie Moyen-Orient / Afrique du Nord. Elle est en compétition avec 3 autres nominés dont Natacha Atlas (Egypte), Yasmina Levy (Israël) et les Boukakes (Algérie). Le lauréat de la BBC WMA sera annonce le 31 Mars 2007.

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Quel est la nature du lien que vous avez avec les chants liturgiques, presque mystiques?

Au cours de mes études, je me suis spécialisée en chant oriental et en chant liturgique syriaque. Ce qui m'a attirée dans les textes et les musiques que j'ai approchés, c'est leur dimension sacrée ainsi que la beauté de la langue utilisée et l'ancienneté des écrits. Les chansons que j'interprète sont le fruit de longues recherches qui s'étalent sur plus de deux ans pour chaque album. Ce qui me motive c'est justement ce travail de recherche qu'il faut fournir. Mes sources sont diverses, elles sont essentiellement basées au Liban, où bon nombre de manuscrits sont conserves à la bibliothèque de l'Université Saint-Esprit de Kaslik. De plus, les moines qui sont au courant de mon travail me fournissent les archives qu'ils ont conservées. De même, certains particuliers me transmettent des Mouachah qu'ils retrouvent chez eux. C'est aussi au cours de mes voyages au Moyen-Orient et en Turquie que je découvre certains textes...

Lors d'une de mes tournées en Grèce, j'ai écouté un chant profane qui date du XVème siècle intitules "Ghiatitoulim" ou Pourquoi pleures-tu? Cette chanson parle de Aya Sofia anciennement une église transformée en mosquée, aujourd'hui monument touristique en Turquie. Cette chanson remonte à la chute de l'église de Aya Sofia. Elle raconte l'histoire d'un oiseau qui pleure la disparition de l'église... C'est un chant qui m'a bouleversée, je l'ai traduit puis interprété dans plusieurs pays.

Mon travail est ainsi axe sur des manuscrits qui datent de 100 ans, voire qui remontent a plus de 2000 ans, cela vous inscrit dans une dimension particulière, car chanter, interpréter des chansons qui remontent a des temps révolus, presque oubliés, est une sensation très particulière. Ma dernière trouvaille est un texte écrit par Saint Charbel qui parle de prière et de méditation... lire ce texte et surtout avoir eu la possibilité de l'approcher m'a envahie d'une émotion singulière...

Pourquoi avoir voulu chanter Ahmad Chawki?

Mon travail est essentiellement basé sur la tradition, je revisite à travers mes chants le répertoire des anciens. Je me suis penchée cette fois-ci sur les compositions de Ahmad
Chawki à l'occasion du Congrès international autour des poètes Alphonse de Lamartine et Ahmad Chawki, qui s'est tenu a Paris du 31 Octobre au 2 Novembre 2006. Apres avoir participé à ce congres, j'ai de plus interprété ce répertoire au Liban, à l'Université de Balamand notamment et dans les pays arabes dont Bahrain. Alors, face à l'engouement du public, j'ai eu l'idée d'enregistrer six de ses oeuvres qui sont des morceaux qui ont déjà été interprétés par de grandes voix de la chanson arabe dont Oum Kolthoum etm Mohammad Abdel Wahab.

Qu'est-ce qui manque aujourd'hui à votre répertoire musical?

Le répertoire syriaque ainsi que les chants anciens sont nombreux et variés.
Il y a beaucoup de thèmes que je n'ai pas encore abordés. Mon objectif est de faire revivre à travers les enregistrements, des textes qui s'inscrivent dans une longue tradition, et que je découvre au cours de mes recherches. Je me penche actuellement sur l'Irtijal soit l'improvisation musicale. Cette forme d'interprétation a été pratiquée par presque tous les grands noms de la chanson Arabe. Sans pour autant avoir la prétention des les égaler, je compte me lancer dans ce projet qui n'est pour l'instant qu'une idée.
L'improvisation consiste à monter sur scène et à chanter en partant d'une note qui sera jouée en direct et parvenir ainsi à accompagner la musique par un texte. Alors je me plonge encor une fois dans mes recherches à la quête de poèmes anciens... avec l'idée de remettre à l'ordre du jour ces textes aujourd'hui considérés comme désuets.

Myriam Ryzk - Agenda Culturel, numéro 289 du 27 Décembre au 9 Janvier 2007