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Les arts plastiques en 2006, avant et après les 34 jours de guerre, Par Nicole Malhamé Harfouche

Le nombre des artistes plasticiens professionnels libanais, peintres et sculpteurs, qui s’élevait à peine à une centaine, en 1990 au moment du retour de la paix, avait déjà atteint plusieurs centaines, presque un millier, en 2006. Aussi, à côté des artistes, bien connus, de la vieille ou moyenne génération, beaucoup de jeunes plasticiens, peintres, sculpteurs, vidéastes, photographes… aux talents prometteurs, ont émergé promettant d’assurer la relève.

1975-1990: L’art Connaît une Période de Décadence
En effet, c’est d’autant plus remarquable qu’il est indispensable de signaler que la guerre, qui avait ravagé le pays de 1975 à 1990, avait provoqué un bouleversement de la structure du monde des arts. A savoir: le départ de nombreux artistes à l’étranger, l’éparpillement du public de connaisseurs et de vrais amateurs, dont le nombre devenait de plus en plus réduit, le démantèlement du système des galeries d’art et des salles d’exposition qui avaient fermé leurs portes dans la capitale. Tous ces éléments réunis ont engendré une nouvelle situation forcée, imposant une restructuration improvisée du milieu artistique, une improvisation, à caractère régional, marqué par l’entrée en scène d’une nouvelle classe de nouveaux riches, souvent non cultivés, plus attirés par l’académisme ou l’impressionnisme que par les langages plastiques contemporains.

Ce phénomène était accentué par une sorte de nostalgie généralisée du public, même chez les amateurs avertis, pour tout ce qui touche ou rappelle le beau Liban d’antan, celui des jours heureux, celui appelé: “la Suisse du Proche-Orient”. L’inculture artistique de cette nouvelle “clientèle”, son conformisme et son intolérance envers toute peinture ou sculpture, non immédiatement déchiffrables, ont largement contribué à infléchir le travail d’un grand nombre d’artistes, qui se sont mis à peindre des paysages libanais, pour mieux vendre leur production et subvenir aux besoins de leurs familles.

2006: Vie artistique florissante
Le retour de la paix à partir de 1990, a marqué la réouverture des galeries d’art à Beyrouth, le retour au pays des artistes connus, qui avaient fui la guerre, ainsi que la reprise des manifestations artistiques.

Une réforme des programmes d’enseignement des arts plastiques a lieu, au niveau universitaire, notamment à l’ALBA qui insère dans son cursus, aux côtés des langages traditionnels, tous ceux qui intègrent les nouvelles technologies. Pour couronner le tout, en 1993 un “ministère de la Culture” a été créé pour la première fois au Liban.

Au cours de la période qui s’étend de 1990 à 2004, les jeunes générations d’artistes plasticiens aux talents prometteurs affrontent, avec courage, les multiples difficultés entravant leur chemin et sont conscients qu’ils ont un rôle important à jouer pour affirmer, aux yeux de tous, à travers leurs recherches et leur production, la nécessité de l’art. Ils vivent pleinement leur époque, travaillent leur sensibilité et expérimentent les nouveaux langages visuels. Ce dynamisme constitue la caractéristique principale de l’art contemporain libanais, caractéristique qui a poussé ses tentatives dans les directions les plus diverses, exploité les ressources de l’instinct brut, aussi bien que celles de la plus pure intellectualité. Et si la peinture de chevalet n’est pas remise en question, de nombreux artistes réalisent des installations, alors que d’autres recourent aux langages informatiques et numériques, créant des œuvres au moyen de l’art photographique, l’art vidéo et l’animation… Expositions privées, “salons”, collectives, biennales, symposiums… vont se succéder à un rythme effréné, presque au quotidien. Ces diverses manifestations vont, au fil des ans, permettre à des centaines d’artistes plasticiens d’exposer au Liban ou à l’étranger. Elles vont permettre, aussi, aux jeunes talents de se faire connaître et de se mesurer avec ceux déjà connus, afin de se situer dans la réalité de la vie artistique et, surtout, dans la dynamique de la création.

Cette renaissance impressionnante est accompagnée par l’apparition d’une classe sociale relativement aisée sur le plan financier, attirée par le décorum et la culture, soucieuse d’acquérir des peintures, des sculptures ou toutes autres œuvres d’art.

En 2005, suite aux multiples attentats qui ont secoué le Liban, à commencer par celui du président Rafic Hariri, aux manifestations massives et “sit-in” qui ont eu lieu, surtout au centre-ville et, suite à la dégradation de la vie socio-économique et commerciale qui s’ensuivit, la vie artistique et le marché de l’art ont connu une paralysie totale. Début 2006, le pays tente de panser ses blessures. La vie économique redémarre avec force, entraînant une reprise fulgurante de la vie artistique. Les expositions privées ou collectives, les festivals internationaux d’art vidéo ou d’animations et les manifestations et expositions de prestige “d’Art contemporain” de pays étrangers: France, Etats-Unis, Italie, Espagne, Colombie… se multiplient et le marché de l’art est, de nouveau, plus ou moins florissant. L’espoir renaît au cœur de nos jeunes talents. Ils tentent d’aller au bout de leurs recherches. Si tous maîtrisent le métier, leur sensibilité les conduit, souvent, à rechercher un résultat subjectif qui ne dévalue pas l’objectivité. Leurs œuvres concrétisent, à l’instar de celles des grands artistes internationaux, une synthèse de l’évolution expressive, propre à ce IIIème millénaire qui, comme jamais auparavant, a repoussé plus avant les limites de l’art du passé, grâce à l’évolution des techniques, surtout celles intégrant les nouvelles technologies. Le marché de l’art.

Malheureusement, le 12 juillet 2006 la guerre israélo-libanaise éclate détruisant sauvagement tout le pays, frappant de plein fouet les secteurs vitaux et, bien sûr, le monde des arts. Elle a pour effet immédiat de rendre très difficile la situation des plasticiens, dont un certain nombre a préféré s’expatrier, encore une fois, provisoirement ou définitivement, fuyant une situation devenue intolérable, voire invivable.

Les 34 jours de guerre, ont plongé le Liban dans le marasme économique qui va se répercuter, négativement, pendant longtemps, sur tous les marchés, notamment, celui de l’art qui ne peut survivre et prospérer qu’en période de paix. Les artistes doivent faire preuve de courage et de ténacité pour défendre leur avenir et la survie de leur art.

Nicole Malhamé Harfouche - Revue du Liban numero 4069 du 2 au 9 Septembre 2006