Rafic Charaf

Expressionniste (par Joseph Sokhn – Couleurs Libanaises)

Expressionniste (par Joseph Sokhn – Couleurs Libanaises)

Depuis une vingtaine d'années, les milieux artistiques libanais déploient une intense activité dans tous les domaines de l'art moderne. Ils s'efforcent, notamment, de forger un nouveau style pour exprimer une nouvelle sensibilité et un genre de peinture abstrait et figuratif pratiqué par jeunes artistes de plus en plus nombreux.

Vie et Enfance

La vie du jeune artiste Rafic Charaf est marquée d'une touche de fantaisie. Ses toiles frappent surtout par leur côté humain. Nous découvrons également à travers son œuvre, l'estime qu'il porte à la classe pauvre rejetée par la société. Sans doute cela est du au climat familial et social dans lequel il a vécu et grandi.

Rafic Charaf est né à Baalbek le 5 Août 1932 au sein d'une famille pauvre modeste. Son père, âgé de 64 ans, est un forgeron. Il est le plus populaire et le plus estimé de la région de Baalbek. 
En outre, il est le chef d'une famille composée de quatre garçons et de deux filles. L'enfance mouvementée de Rafic Charaf, son humanisme et sa sensibilité sont à l’ origine de son style et de sa renommée. Cependant on ne saurait oublier ses dons intellectuels brillants. Sa vocation artistique est sincère et profonde.

Jusqu'à l'âge de 17 ans, Rafic ne se sépare point de sa famille. Il vit à part de ses frères et de ses sœurs, ne se prête a aucun de leurs loisirs. Il vagabonde en solitaire à travers la plaine de la Bekaa, explore tout ce qui tombe sous sa vue, observe la vie des paysans et leurs gestes. Il lui arrive souvent de dessiner sur les murs des ruelles de sa ville natale.

A dix ans il était déjà considéré comme le jeune peintre de Baalbek.

A l’école de la localité, qu'il fréquente, il se montre soucieux de la discipline. Avec quel soin, quelle délicatesse cet adolescent ne dessine-t-il pas des colonnes ou des chiens de chasse qu'il offre à son professeur ou à ses camarades les plus intimes. Il dessine même beaucoup. Des villageois, des mendiants et parfois des bédouins.

Rafic Charaf à l'Académie des Beaux-Arts de Beyrouth.

En 1952, Rafic Charaf quitte pour la première fois, le toit paternel et sa ville bien-aimée Baalbek, et s'installe à Beyrouth. Devant ce monde nouveau qui se révélait à lui, notre jeune peintre demeure rêveur et observateur. Il est toujours aussi ouvert, aussi curieux et aussi vagabond. Son amour pour la classe pauvre et les misérables n'a nullement diminué. Au demeurant a-t-il tellement changé à Beyrouth. Les mêmes idées continuent de le ronger, il est toujours aussi énergique et aussi passionné pour le dessin et la peinture.

L'entrée de Rafic Charaf à l'Académie des Beaux-arts de Beyrouth, l'oriente définitivement vers ce monde merveilleux auquel il ne cesse de rêver, qui est la peinture.

A partir de 1952 il prend ses responsabilités. Laborieux, Ponctuel et sérieux, Rafic est un étudiant modèle. Les cours qu'il suit et ses activités académiques, ne l'empêchent pas de visiter les différents salons de peinture de la ville.

Les vieilles ruelles de la capitale et les anciens souks l'intéressent. Il interroge, Parfois, les marchands ambulants et les garçons portefaix. Il admire tout, analyse, scrute. Rien de ce qui touche à l'art ne lui est indifférent. Dès son entrée à l'Académie libanaise des Beaux-arts, il sent un impérieux besoin de peindre et d'arriver à une plus grande connaissance de son métier. Il peint beaucoup et travaille assidument chacune de ses toiles.

Suffisamment varié dans ses types, et d'un crayon plus aigu dans le détail et par moment plus patient et plus raffiné, Rafic Charaf obtient en 1956, le premier prix de peinture du ministère de l'Education Nationale et des Beaux Arts. Parmi les œuvres exposées, « Le jeune Mendiant », toute particulièrement émouvante. Dans « Le Forgeron », par exemple, qui exprime une admiration sans borne à son père, la lumière joue dans des tonalités extrêmement réduites, Il s'agit là d'une toile remarquable susceptible d'être comparée aux œuvres des plus grands expressionnistes...

Rafic Charaf à Madrid

En 1956, Rafic Charaf bénéficie d'une bourse de trois ans de spécialisation à l'Académie des Beaux-arts de Saint Fernando à Madrid, accordée par le Chef de l'Etat Espagnol. Notre artiste étudiera en Espagne les œuvres exposées dans les musées et fera de grands progrès. L'Espagne étant un pays très riche en trésors artistiques. Le séjour espagnol de Rafic Charaf, fut des plus enrichissants. Il l'aida à trouver son propre style. En trois ans, il exposa à trois reprises à la Galerie Royale de Madrid. Ses toiles font excellente impression.

Ce qui parait surtout digne d'être noté au sujet de notre jeune peintre expressionniste, c'est la faculté de renouvellement qu'il possède à degré élevé.

A Baalbek

Après son retour de Madrid, Rafic Charaf s'installe de nouveau à Baalbek. Il y poursuit ses activités artistiques. Son admiration pour sa ville natale s'accroît de plus, et il peint constamment. On le voit observer, réfléchir, se livrer à des contemplations sans fin et surtout dessiner des portraits des habitants de sa ville natale. Dans l'acropole de Baalbek, lors du Festival International, il expose des dizaines de toiles qui annoncent l'expressionnisme libanais. Mais l'étonnant dans l'art de Rafic Charaf c'est en plus de la vivacité de sa touche, le don de vie qu'il sait insuffler à ses personnages peints avec une étrange expression, qu'il s'agisse de nomades ou d'habitants de la ville de Baalbek.

Apôtre de l'expressionnisme, ce jeune artiste, ne s'est jamais plié, même dans son enfance, à une règle. Son ambition est de créer et d'exposer. On l'a surnommé le peintre des paysans et de la misère. Ce petit monde lui plait et il est sincère quand il étudie, à travers ses toiles, les habitants de sa région, leurs mœurs et leur manière de vivre, en un mot, son enthousiasme embrasse tout ce qu'il voit.

A Beyrouth en 1962

Rafic Charaf revient définitivement à Beyrouth en 1962. Il a trente ans. Avec sa taille élancée et ses cheveux blonds, il se dégage de lui une impression de force et d'ambition; il peut déclarer: 
« J'espère vivre de mon art sans jamais m'éloigner de principes, que je me suis fixés, sans jamais me mentir un seul instant à moi-même ni à ma conscience ». A Beyrouth, Rafic Charaf a beaucoup plus de travail qu'à Baalbek, dessinant continuellement et employant ses heures de promenade et de loisir à la peinture. Tout l'intéresse dans le spectacle qui lui offrent les vieux souks de la Capitale dont il subit le charme particulier. Il prépare sa grande première exposition. Elle sera suivie de vingt-deux autres. Toutes donnent l'occasion au public de constater combien l'expression peut avoir de l'importance dans l'œuvre d'un peintre.

Rafic Charaf participe et continue de participer à la plupart des expositions officielles de l'Etat, au Liban et à l'étranger: Biennales de Venise, de Paris, de Sao-Paulo, de Moscou, de Tokyo, de Sofia et de Vienne. Ses toiles représentent une série de thèmes expressifs et originaux typiquement libanais (Types humains, Bûcherons, cultivateurs.

En 1963, il remporte le prix de l'Ile de France pour son meilleur tableau intitulé « Suicide ». Cette merveilleuse toile, à caractère symbolique, eut un succès retentissant. Elle représente un pélican tué à l'intérieur d'une grotte, elle est liée à l'état d'âme de l'artiste, à ses angoisses et a ses découvertes, comme à la vie.

Rafic Charaf et la vie populaire

Abandonnant le style figuratif et expressif, Rafic Charaf aborda, à partir de 1964, un nouveau style et des thèmes typiquement orientaux concernant des héros légendaires tels que Antar, Abou Zeid Al-Halali et d'autres…

Il concentrera ses efforts sur cet élément nouveau entré dans sa peinture. Cette peinture témoigne d'un goût très sûr et d'une connaissance approfondie de la littérature jahilite et de la vie des tribus dans le désert. Le visage de Antar peint d'un pinceau alerte, est légèrement transformé par le temps, tandis que les traits de Abou Zeid sont assez torturés et les joues suffisamment creusées. Rafic Charaf sait donner aux scènes de la vie du peuple et notamment des habitants de Baalbek une intensité dramatique. Sa ville natale, lui a inspiré un grand nombre de ses œuvres qui témoignent de ses sentiments profonds et de sa psychologie. (Les ‘Abbadaies’ de Balbek).

Rafic Charaf en Europe

Notre peintre a effectué plusieurs séjours à l'étranger: En France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en Hollande. Que de fois n'avait-il rêvé, alors qu'il était à Baalbek, de voir d'autres pays et de connaître d'autres sites et surtout de nouveaux visages. Son rêve le plus cher se réalise et durant deux ans, il avait pu, à sa plus grande joie, se tremper dans les milieux artistiques.

Parmi les toiles qu'il a le plus admirées:
« L'Enterrement à Ornans (Courbet, Musée du Louvre)
« La Laveuse » DE Daumier (Louvre). « Prière au jardin des Oliviers » (Goya à Madrid). « Portrait de Madame de Récamier » de David (Louvre) « La Chapelle Sixtine » Ingres (Rome). « Barque de Dante » de Delacroix (Paris). « Le Sultan du Maroc » de Delacroix (Madrid) et enfin: « Prise de Constantinople » (Louvre) et « L'Homme à la Pipe à Montpellier ».

Conclusion

Rafic Charaf nous communique à travers ses toiles et ses nombreuses expositions, des accents hautement sophistiqués de l'expressionnisme. Avec un minimum de couleurs plates, il crée une harmonie et un ordre. En outre, Charaf a parfois des angoisses sans causes apparentes; on sent qu'il voit, qu'il souffre, à travers ses beaux tableaux, avec la classe pauvre et les malheureux, et ceci enrichit son œuvre touchant le thème de la vie populaire, d'une multitude de variations auxquelles il consacre le meilleur de son talent. Quant à ses personnages, ils sont une création propre à lui et forment un monde éminemment vivant et révélateur.

Rafic Charaf est, sans conteste, le maître de l'expression nouvelle de la peinture libanaise.