Philippe Aractingi

Listen de Philippe Aractingi... Ecoutez la vie battre...

Oreilles tendues au moindre son, au moindre silence, le dernier film du réalisateur Philippe Aractingi, ‘Listen’, emmène le spectateur dans un voyage visuellement sonore. La vie, elle est là...

Le film s’inscrit comme un aparté dans la carrière cinématographique de Philippe Aractingi, “un film différent”, de ce qu’il avait fait auparavant comme il le dit lui-même. C’est qu’il s’est lancé de prime abord deux défis de taille ; traiter d’abord du sujet piège de l’amour, et ensuite mettre à l’écran de nouveaux visages. Philippe Aractingi l’a osé et a relevé ce double défi. L’amour d’abord, ce grand mystère éternel, quand on y pense, voilà le guet-apens garanti dans lequel nous risquons tous de tomber, parce qu’une histoire d’amour c’est ce qu’il y a souvent de plus banal, à moins qu’elle ne contienne les germes d’une passion de jeunesse rebelle ou la construction mature d’une lucidité folle. Philippe Aractingi, lui, appartient par ce film à la deuxième catégorie et à la première tout à la fois, porteur d’une responsabilité cinématographique qui assure l’émerveillement de son histoire d’amour, co-écrite avec Mona Krayem. Peut-être est-ce parce qu’elle est enveloppée d’une nuée de métaphores sur l’ici et le maintenant. Ici, Beyrouth, dans la deuxième décennie du XXIe siècle?

Joud est ingénieur du son. Discret, presque timide, sensible, réceptif, on l’est forcément quand on traite de la musicalité du silence, en phase avec son côté féminin, selon Aractingi, un côté tellement redouté par d’autres hommes et femmes. Rana est actrice, pétillante de fraîcheur, avide de tout, curieuse de la vie. Une première rencontre sur un set de tournage, puis une autre et d’autres encore, la caméra taille dans l’ellipse des regards qui se croisent, des mots qui s’échangent, de la complicité qui s’établit, de l’amour qui nait et se développe entre deux jeunes de milieu social et de religion différents, dans un pays qui se meut en système communautaire établi et bien ancré à plus d’un niveau, à tous les niveaux.
Mais un jour, et sans vouloir spolier le film, Joud se retrouve face à une situation des plus dures : Rana est toujours là, mais elle ne l’est plus réellement. Comment la ramener ? Par le son justement, à travers des enregistrements que lui fait écouter sa sœur Marwa.

Et la vie éclate alors à l’écran, à l’image, dans le silence, dans l’effeuillement des arbres, l’aube qui pointe, les recoins de la ville… Partout. La vie exulte, elle se faufile dans ses propres interstices, pour traverser l’image et faire tressaillir le corps. Le corps du spectateur qui peine à se retenir… partagé entre l’envie de fermer les yeux et se laisser aller à écouter, à imaginer, ce que cacherait chaque son, et l’envie de garder les yeux bien ouverts, le regard braqué sur l’image. ‘Listen’, un film qui porte tellement bien son titre, jusque dans les multiples enveloppes qu’il contient. Les effeuiller l’une après l’autre, passer d’un sujet abordé à un questionnement suggéré : la femme, la place de la femme dans une société qui peine à la contenir, à la comprendre, une ville perdue entre le passé et le présent, la nostalgie révolue d’une période d’antan, les corps filmés dans la sensualité et la pudeur de l’acte, du geste, la poésie raffinée de l’image, la survie, le regard envieux porté vers l’Occident et pourtant déchu, l’authenticité, l’identité, l’appartenance, l’érotisme…

Beyrouth est appelé à se débarrasser du lourd manteau des préjugés et des images clichées, à l’image du choix de Philippe Aractingi de mettre en vedette trois jeunes acteurs, Hadi Bou Ayash, Ruba Zaarour, Yara Bou Nassar, respectivement dans les rôles de Joud, Rana et Marwa, entourés par les comédiens Joseph Bou Nassar, Lama Lawand et Rafic Ali Ahmad, aux côtés de Bshara Atallah, Ranine el-Chaar, Josyane Boulos, Lina Abyad, Lina Khoury, et Sasha Dahdouh. ‘Listen’ s’insinue dans l’esprit comme une fiole secrète, à l’attention de tous les mélancoliques et les nostalgiques, à l’attention de tous, un appel à bien secouer la boîte de Pandore ; la vie, elle est là. Ecoutez son pouls battre !

N.R. Agenda culturel