May Ziade

Extraits de Poèmes

Extraits de Poèmes du Livre Fleurs de Rêve:

Capricieuse

Grandiose, imposant dans la voûte profonde,
Le soleil saluait d'un coutumier adieu
Le fleuve les palmiers, les sables de ce lieu
Et cheminait vers l'autre monde.
Alors tout l'horizon laisse monter un cri,
Le firmament se teint de lilas et de rose
(Frémissantes couleurs où l'azur doux repose),
Et le zéphire souffle attendri.
Le Caire était caché sous une vague brume, 
Les arbres tournoyant sur les bords bruns du Nil
L'ombre tombait partout, sans trouver de péril,
Et couvrait la plaine et l'écume.
O Pyramides! C’est alors
Que, levant ma tête pensive,
J'entends errer sur vos flancs forts
L'écho de quelque voix plaintive;
Mais quoi! Serait-ce en votre sein
Q'un orphelin pleure sa mère?
Est-ce un hymne, est-ce une prière,
Est-ce un gémissement divin?
Mais déjà revient le silence
Autour du grand monument noir.
Un temps - Mon coeur frémit, s'élance,
Plane avec la brise du soir...
Soudain les sons se font entendre,
O dieux! Mais d'où viennent-ils donc?
Une douce harmonie y fond...
Est-ce de la voix d'Alexandre
Un écho? De Napoléon
Est-ce le sabre qui miroite?
Est-ce ta statue, o Memnon,
Qui tombe en une vapeur moite?
Est-ce le soupir d'un soldat 
Défunt? Un cheval qui se cabre?
Est-ce un craquement d'un marbre
Qui depuis des siècles gît là?
Répondez, Monuments! Pyramides altières, 
Des siècles révolus ô souvenir muet!
Sont-ce des chants d'amour, des commandes guerrières
Que vos entrailles jettent net?
Non, sur vos côtes délabrées
Ce n'est plus l'aigle Impérial
Qui marque vos terres sacrées
Des pas de son fougueux cheval; 
Oh! Baissez vos armes françaises
Vos drapeaux sont à peine vus...
Et Mohamed Ali n'est plus,
Toutes les choses sont anglaises.

Ces longs échos flottants et chatouillant mon âme
Comme un souffle de brise, une haleine d'azur,
Un baiser maternel, un regard triste et pur,
L'éclair d'une subtile flamme,
Un doigt câlin d'enfant qui caresse mon front,
Un gazouillis d'oiseau, d'un fleuve le murmure,
Un sourire amical, un cri de la nature
Ou du soleil un rayon blond,
C'était la fanfare lointaine
Qui jouait Dieu sauve le Roi
C'était la vibration certaine
De coeurs vaillants et pleins de foi;
De tes moelleux flots nostalgiques
Harmonie, ô nectar divin,
Je laisse couler dans mon sein
Les tiédeurs mélancoliques....
Muses, Beautés, Beaux-Arts aimés,
Océans, rivière, verdures,
Azur immense, astres dorés
Qui du ciel êtes la parure
A vous, à vous mes jeunes ans,
A vous ma jeune intelligence,
Mon amour et ma confiance,
A vous mes rêves bleus et blancs!
Mais trêve de transports. A bientôt, Pyramides, 
Et vous, Liban, Beyrouth, cher Antoura, salut!
Ma Syrie, Salut! Dès qu je l'aurai pu 
J'irai revoir tes horizons limpides.

Balance-toi!

Balance-toi, petite plante,
Ta feuille est tendre et verdoyante, 
L'air est suave de fraîcheur;
Balance-toi! L’heure est passée
Ou par le soleil oppressée
Tu pâlissais sous sa chaleur.
Balance-toi! Le crépuscule 
Déjà sur les balcons ondule
Ses fantômes mystérieux;
Et sur la nature assoupie
Coule cette paix alanguie
Qui ne peut venir que des cieux.
Oh! Les douceurs de l'heure brune!
De deviner au ciel la lune
Quand l'azur est encore serein!
Oh! La brise qui vous caresse!
Oh! La chère ombre qui vous presse
Contre son chaste et moelleux sein!
Oh! Les mille voix soupirent 
Lorsque les longs stratus expirent
Quand le jour finit de mourir!
Oh! L’or des paupières lointaines
Des étoiles qui dans les plaines
D'azur commencent à s'ouvrir!
Oh! Les rêves du crépuscule
Quand l'ombre de la nuit circule
Que les oiseaux ne chantent plus!
O tendresse! Quand la pensée
En rythmes divins cadencée
Murmure de ces mots voulus...
Quand le toit des maisons s'efface,
Que l'oeil, inquiet, perd la trace
Du Moukattam dans le lointain;
Quand à l'entour tout, calmé, rêve, 
Du coeur un cantique s'élève
Au Dieu du soir et du matin;
Salut, honneur, amour, louange
A Toi qui fis et l'homme et l'ange,
A Toi qui suspendis le ciel;
Qui dans le temps et dans l'espace
Au jour, la nuit, marquas leur place,
Salut a Toi, Père Eternel!
Plante, balance-toi, palpite,
Balance-toi, danse, petite!
L'air est suave de fraîcheur;
Balance-toi! L’heure est passée
Où par le soleil oppressée
Tu pâlissais sous sa chaleur...

Une petite Histoire

Ce n'est pas le récit du navire novice
Qui n'avait de sa vie encore navigué;
A lire on y trouve un... un presque délice,
C'est un délassement pour l'esprit fatigué.
Aussi n'est-elle ni longue, ni languissante,
N'a rien d'impénétrable ou de mystérieux;
Elle est très, très courte et, peut être, intéressante!
Prêtez-moi pour l'entendre in intérêt sérieux.

Avis:

Mon histoire est un peu géographique.
J'étais en pension La ville nostalgique
Que baigne l'Océan vous tous la connaissez;
Ses sables sont toujours par les flots caressés...
Et c'est Beyrouth... Beyrouth la porte de Syrie,
Dont l'azur est riant et la rive fleurie.
Et c'était l'examen qu'on dit simestriel.
Notre examinateur, un excellent mortel,
Avait mis de côté tout intérêt de science
Et n'agissait qu'avec une extrême indulgence;
Devant lui l'élève à l'autre se succédait,
Ecoutait tous ses mots, pensait, y répondait.
Arrivait le beau tour d'une enfant. Fort à l'aise
En face d'un dessin de la terre Française,
Elle attendait un geste, un mot, une question.
"Où sont les Alpes?" dit-il d'un aimable ton.
Le doigt fier, esquissant un fort immense geste,
D'une voix qui voudrait être toute céleste
Elle répondit...
"Les Alpes sont dans la mer Méditerranée!"

Spectre

Chopin a murmuré son coeur
Dans ses valses lentes et tristes,
Et sur les gammes pessimistes
Il a déversé sa douleur.

Aux accents doux et nostalgiques
De sa Marche, ami du cercueil,
J'ai vu frissonner un linceul
Sous les bouquets mélancoliques.

C'était un rêve, un pale rêve
Non exempt de suavité,
Où, dans ton sépulcre habité
J'au vu ta forme qui se lève...
O saison de l'Inoubliable,
Des genoux frôlant les tombeaux,
Des doigts tâtonnant l'Impalpable
Et des esprits tout en lambeaux...!

...Saison de plainte monotone
Et de rire a jamais fini...
De sanglot profond qui chantonne
Sur les bribes de l'infini...
Ton âme en parcelles frissonne
Sur les souvenirs alarmés...
Tu n'es en somme Autonome! Autonome!
Que la Saison des Yeux Fermés...

A Mademoiselle C.

Vos yeux si beaux, chère belle,
Que leur regard est torturant;
Votre nom je l'aime et l'épelle
Votre nom de flot murmurant.

Je suis brune et vous êtes blonde,
Ce contraste est délicieux,
Un peu des profondeurs de l'onde
Se mêle à l'azuré des cieux.

Car je suis la nuit, vous le Jour,
Un Jour rose et bleu qui scintille;
Moi, le lac; vous, l’astre qui brille;
Vous, le rêve et moi... moi l'amour.

Elle Poète?

-I-
" Mais comment donc, elle poète?
Elle arrangea ces vers charmants
A la délicieuse épithète,
Aux échos qui s'en vont mourants;
Ces vers de poésie pure,
D'élan si doux, d'esprit si clair,
De sons brillant comme l'éclair,
D'un style à la noble tournure?

" Elle est syrienne, dit-on,
Et puisqu'elle n'est pas française,
Où put-elle puiser ce ton
Ou l'âme s'épanche et s'apaise?
…Mais elle a du les emprunter
Ces rimes vastes et sonores
Qui, comme de jeunes aurores,
Viennent sous sa plume éclater.

" Aurait-elle de Lamartine
Imité les divins appas
Ou bien oui la voix câline
Qui dans son Coeur parlait tout bas?
Ses chants sont enduits de tristesse,
D'amour touchant, d'amour sans fiel;
Elle poète, O puissant ciel!
D'où lui vient donc cette sagesse?

"Et puis cette onduleuse rime
Où nagent sentiments exquis
Qui frôlent le beau, le sublime,
Cela donc, où l'a-t-elle acquis?
Puisque nous aimons mieux le croire,
Croyons qu'elle a dû consulter,
Et sans jamais nous arrêter
Disons: "Elle vole la gloire".

-II-
Monsieur… parle ainsi,
Vraiment, il me semble un brave homme
Un autre gentleman aussi,
Avec lui répète qu'en somme 
La copie est faite assez bien
D'un livre du grand Lamartine,
Que la calligraphie est fine:
Mais l'écriture la n'est rien

-III-
Oh! Les doux tremblements sous l'impulsion secrète
Combien rares sont ceux qui peuvent les sentir!
Or, frissonner, pleurer, plaindre, aimer et souffrir
Sont les qualités du poète.

Et plein de ses trésors divins
Son coeur qui contient tout le monde
Sait esquisser les yeux éteints.
De quelqu' âme superbe et blonde.
Son oeil à tout vent prendre part,
Sa lèvre veut baiser la rose,
Sa main toucher à toute chose,
Porter le sabre ou l'étendard.

Sans flatter la rime subtile
Il la veut toujours asservir:
Autant que son penser, agile,
Il la trace avec un soupir;
Il écrit ses rêves rebelles,
Tout ce qu'il voit, tout ce qu'il sent,
Et répand ses larmes souvent
Sur les feuilles blanches si belles
Qu’a-t-il besoin des vains flatteurs ?
Sa joie est toute personnelle :
Qu’on veuille approuver mes labeurs
Ou qu’on dise : ce n’est pas d’elle,
J’élancerai les ailes d’or
De ma Muse jeune et timide :
Dans le sein de l’azur limpide
Je fixerai son doux essor.
Quand d’autres Muses lui sourirent
Elle partage leur frisson,
Les notes de son luth varient
Devant le si vaste horizon :
Tantôt c’est le printemps qui passe 
Grondant son hymne triomphal, 
Tantôt c’est un chant automnal
Traînant d’échos que rien ne lasse…

Lacrymosa

J'ai caressé ma lyre avec mes mains lassées
Et j'ai gravi la côte ou j'ai souvent marché,
Et j'ai baisé les fleurs des branches enlacées,
Et j'ai suivi mon rêve, allant au but cherché.

Le coeur battant à coups précipités, dans l'ombre;
Un seul désir dans l'âme, une larme à mon cil,
Voyant le ciel trop noir et la cité trop sombre,
Je t'ai suivi, mon rêve angoissant et subtil!
… Suivre son rêve, aller quand le sort vous appelle,
Au crépuscule tendre errer seul et pensif,
Et regarder le ciel quand le chagrin rebelle
A meurtri le Coeur pur sanglote, passif…
…Le ciel est noir, mais quelque chose,
Un point à reflets chatouillants,
Un semblant de prunelle rose,
Un astre aux feux doux, ondoyants…
Ainsi que l'étoile, naguère,
Bethlehem aux Mages montrant,
L'astre qui me guide m'attend
A la porte du cimetière.

Enfant depuis longtemps parti,
O frère devenu bel ange,
Pardonne à ma voix, mon petit,
Ma triste voix qui te dérange!
Que ta forme, sans s'attarder,
Reprenne la robe éphémère 
De son enfance et de sa terre
Et vienne un peu me regarder!

Te souvient-il de notre enfance?
Toi vieux de quelques mois, Mimi;
Moi, fière de mon importance,
J'avais bien deux ans et demi;
Nous dormions souvent côte à côte
Amusés de nos entretiens 
Composés de rire et de riens,
A voir une mouche qui saute;

Parfois nous nous battions bien fort,
Et tu mordais ma main osée
Qui touchait ta ceinture d'or
Sur ton cher berceau déposée;
Et moi je mordais à mon tour 
Ton doigt, ta main, ton bras, ta joue,
Et tu te sentais bien, avoue!
Essoufflé de ma rude cour.

Alors, conciliant comme un homme,
Ton bras s'étendait, appellant;
Et tu saisissais mon corps, comme
Une mère apaise un enfant;
Tu suçais ma lèvre sévère,
Et moi sur le bout de ton nez
Je posais mes doigts consternés
D'avoir ainsi blessé mon frère.
Puis vint un beau jour de printemps
Mais son rayon semblait livide,
Et depuis déjà bien longtemps
Je pleurais sur le berceau vide
Quand, craintive, j'ai vu s'ouvrir
Un étrange écrin blanc et rose
Où l'on a couché quelque chose…
Et les échos semblaient gémir!

Depuis ont passé des années;
J'ai grandi, souffert, embelli,
Et de mes amours raffinées
Le plus cher dort enseveli!
Souvent le doux appel de frère 
A brûlé ma lèvre et mon coeur…
Ah! Trop cruelle est la douleur
Qui remplit nos jours sur la terre!

O mon frère, ô mon frère mort,
Rien ne frissonne dans ta cendre!
Ne sens-tu rien de doux et fort
Sur tout ce qui fut toi descendre…?
Car ta soeur vient pour te chanter
De nos berceuses orientales,
Nocturnes lentes, automnales…
Ne pourrais-tu les répéter…?

Les morts oublient-ils les romances
Qu'ils ont appris a bégayer,
Et leurs compagnons de souffrances,
Et tous leurs efforts d'essayer…?
Et de leur langue maternelle
Oublient-ils les si chers accents,
Et les visions d'attraits puissants
Du pays, des campagnes belles…?

Ah! Dans mes bras, forme d'amour
Qui doucement sur moi te penches,
Viens! Reçois et donne en retour
Le baiser d'un coeur qui s'épanche!
Il est las, aigri, chagriné
De voir le vie un long mensonge;
Frère, viens le baiser en songe!
….Des pleurs sur mon front incliné…