May Murr

Elissa

May Murr, femme de science, de lettres et poète a écrit un drame en vers arabes, ou plus exactement en vers libanais intitulé ''Elissa''. Elissa avait également pour nom (qui voulait dire: celle qu'on aime). C'est cette héroïne dont les Romains, et plus particulièrement Virgile, par haine du nom punique, firent une amoureuse abandonnée par Enée dont ils prétendaient descendre.

Il y a dans le dessein de ce drame deux mouvements excellents qui le dominent et l'expliquent: D'une part, son éloignement dans l'histoire et d'autre part, cette marche vers le destin qui s'achève par le triomphe de l'amour conjugal.

May Murr en tissant la trame du récit a respecté le plus possible l'histoire. ''Elissa'' C'est tout May. La frontière du monde est l'Elissa du XXème siècle. Il n'y a pas un incident, qui ne soit pas mis en valeur. Dramatique dans son essence, ''Elissa'' nous touche et nous retient par son souffle historique et par l'attachement intransigeant de la fille de Tyr, à son Dieu, à sa patrie et à son époux. May fait agir Elissa comme si elle avait agi si elle était, elle-même, l'épouse d'Acherbas. C'est de la propre conception morale de notre éminente poétesse que se dégage cette image du patriotisme, de la fidélité, du grand amour, qui ne se construit pas jour après jour mais qui est un héritage de naissance auquel s'ajoutent les influences de la première éducation.

Dans une poésie libanaise pure, May Murr a traduit les gloires de la fondatrice de Carthage. Merveilleusement conçue et exprimée, Elissa atteint les grands chefs d'œuvre classiques de notre époque. Nous connaissons tous la légende d'Elissa, fille du roi de Tyr, sœur du roi Pygmalion et femme du grand prêtre de Baal, Acherbas, que Pygmalion fit assassiner pour s'emparer de ses trésors.

Apres la mort de son mari pour lequel elle avait un grand amour, Elissa prit la décision de quitter Tyr à la tête de tous ceux qui formaient un noyau hostile au régime.

Sur la côte phénicienne déjà semée de plus de trois cents comptoirs et villes, Elissa bâtit la nouvelle capitale'' Cart-Hadcht''. Un roi libyen s'éprend d'elle et la demande en mariage. Fidèle à la mémoire de son époux, elle refuse la proposition du roi qui la somme de choisir entre le mariage ou la destruction de sa ville. Elissa demande un délai de trois mois et organise sa Carthage avant le grand départ. Le délai expirant, Elissa évoque la mémoire de son époux et se suicide sur le bucher préparé pour le sacrifice à l'occasion du mariage. C'est sur ce simple canevas que May Mur a brodé un drame en cinq actes dont les deux premiers se passent à Tyr retraçant la fuite d'Elissa après l'assassinat de son mari, et dont les trois derniers se déroulent, un court moment à Chypre et un peu plus longtemps, sur le rivage africain où fut bâtie Carthage.

Voici la dernière scène du cinquième acte:

Le roi africain vient d'apprendre la mort héroïque d'Elissa alors le monarque qui n'arrive pas à retenir ses larmes de s'écrier:

Peut-être... mais surtout pour que soit immortelle
Cette cité par qui l'amour et le savoir
Sur le monde luiront….
Et pour qu'elle, soit, Elle
Le monde avec ses biens, ses rêves, son espoir
Il fallait qu'ajoutant ses charmes à tous ces charmes
Celle qui s'en alla me fit verser des larmes.

Disons enfin qu'Elissa apparaît rebelle, géante, une vraie femme de Tyr, prête à bâtir son pays dans la gloire. Elissa sait comment aimer et préparer héroïquement sa mort pour perpétuer le souvenir de son époux.

On ne saurait nier que May Murr use dans son œuvre, de toutes les ressources de son génie, pour nous écrire des pages entières empreintes d'une beauté insurpassable.

Après le lyrisme dense et profondément évocateur de May dans ''Pourquoi les Roses'', "Penchent leur tête les épis'', ''Il s'agit d'un rien d'amour'', ''Quatrain '' et ''Elissa'', notre éminente femme de lettres va publier bientôt ''Le liban, Patrie de Dieu'', six ouvrages de plus de 1500 pages.

Joseph Sokhn - Couleurs Libanaises