Jean Guvdérelian

Dessiner sans relâche - Guvder

Sur plusieurs décennies, il a fait trembler les murs de l’Académie du tonnerre de sa voix, de la fougue de son verbe, de la maitrise de son geste, de l’éclat implacable de son œil acéré: son atelier, véritable ruche bourdonnante, bruissante des mille chuchotements et cris de ces objets improbables qui y prennent corps, matières usuelles inanimées qu’il triture, façonne, détourne, assemble, unit et désunit, jusqu'à les rendre tellement vivantes, est sans conteste le laboratoire victorieux d’un art unique, sans cesse revisité, renouvelé… après avoir bénéficié de l’enseignement de maitre Guvder : on ne sort pas intact d’un pareil maelstrom de créativité.

Dessiner sans relâche

Depuis plus de trente ans que je connais Guvder, je l’ai toujours comparé à un torrent de montagne, à la folle énergie d’une eau vive qui se précipite, emportant tout dans sa course irrésistible.

Sauf que l’énergie de Guvder n’est pas une énergie descendant, par pur gravité, mis une énergie ascendante. Comme si là-haut, au sommet de son Ararat personnel, l’attirait fatalement une arche mystérieuse qu’il lui faut absolument rejoindre envers et contre les vents et les marées d’insignifiance de la vie ordinaire pour y porter non point sa branche d’olivier, lui pourtant le plus pacifique depuis des dizaines d’années, dans un déluge d’encre noire.

Parce qu’il a su préserver sa capacité d’étonnement, d’adhésion au monde, d’admiration des œuvres du génie humain, parce qu’il n’a cesse de vouloir émuler ces suprêmes dessinateurs que furent Callot, Jordaens, Rembrandt, Picasso, pace qu’il pouvait s’absorber complètement dans la configuration d’une vertèbre de vache, d’un masque africain, d’une théière, d’un vase étrusque ou d’un galet, parce qu’il fut un collectionneur éclectique d’objets de fouille et d’objets incongrus, y compris les objets en plastique rejettes par les mer sur les plages dont il fit d’étonnants assemblages, parce qu’il a toujours su entretenir le feu sacre dans son cœur, son âme et son esprit, mais également dans son corps de grands sportif et nageur devant l’Eternel et dans ses doigts agiles, Guvder est encore en mesure à 80 ans, de dessiner sans relâche ni répit de l’aube à minuit, comme s’il avait une réserve inépuisable de passion, d’entrain et d'ardeur, comme si cette inlassable activité mentale et physique était elle-même sa fontaine de Jouvence.

C’est la pratique du dessin perpétuel qui lui donne la force de dessiner comme si, souffle venu d’ailleurs, le dessin avait besoin de passer a travers lui en tant que medium pour pouvoir prendre forme concrète, noir sur blanc.

Lorsque, fascine par cette stupéfiante capacité de recommencer vingt fois le même dessin pour tenter de saisir, par une virtuosité toujours poussée, une approximation toujours plus serrée, ce je-ne-sais-quoi et ce presque rien que lui seul devine et qu’il croit lui échapper encore quand tout autre que lui les croit déjà atteintes, nous lui disons qu’il semble courir après le vent, il république, avec sa fougue électrisantes: «Non, pas après le vent, après l’extase».