Georgé Chanine

Elle commence où, la vie de Georgé Chanine?

Elle commence où, la vie de Georgé Chanine? 

Le 13 juin 1995, Georgé Chanine rend son dernier soupir, à l'âge de 44 ans. Il n'avait pas pour autant dit son dernier mot. Ainsi va la vie des grands artistes…

Le jour de ses funérailles, une foule de jeunes est présente. Celle-là même qu'il avait initiée à la peinture ou à l'histoire de l'art; le témoignage de reconnaissance envers Georgé s'est fait dans le silence.

Silences de douleur, silences de pudeur… pour Georgé, l'enjeu n'était que l'art! 

Son parcours artistique commence à L'Academia di Belle Arti de Florence, avec la fougue de ses vingt ans et ses souvenirs de l'Afrique. A partir de 1971, il expose régulièrement ses travaux au Liban, en France, en Italie et dans les Emirats. Ce qui ne l'empêche pas depuis1979, de consacrer du temps à des cours de dessin et de peinture à l'Académie Libanaise des Beaux Arts (ALBA), puis au Beirut University Collège et à Notre Dame de Louaizé. En 1990, il devient membre du groupe Réalité seconde, fondé par André Sablé. En 1996, après son décès, le Musée Nicolas Sursock marque le souvenir: huit de ses œuvres sont exposées à l'occasion du XIXe Salon d'Automne. En 1997, la galerie Epreuve d'artiste réunit trente-cinq de ses dessins: la plupart ont été croqués sur le vif au cours de ses derniers voyages. L'œuvre picturale de Georgé, dès le début, est en interaction continue avec sa vie. Chez lui, le choix des masses, des formes et des couleurs tient surtout de l'expérience affective. Ses toiles, souvent chargées d'un tracé régulateur, rejoignent en un sens le travail de Claes Oldenburg.

Au-delà de la séduction de ses coups de pinceau, la peinture de Georgé balaye moult frontières: le figuratif et le non figuratif; le réel et l'imaginaire; le dessin et la couleur… jusqu'à faire du noir, couleur batarde, couleur de la décomposition, une couleur de lumière et de vie; jusqu'à faire du rêve une réalité seconde; de la réalité la plus banale, des moments privilégiés, voire transfigurés. 
Nicole Malhamé Harfouche commente à juste titre ses Transfigures: « projections de l'esprit où le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable cessent d'être perçus contradictoirement; ils sont une projection de l'esprit qui coïncide avec le cœur des choses ».

Georgé Chanine écrit: pièces de théâtre (inédites à ce jour), notes, et surtout poèmes sans titre, qui sont autant de voies contribuant à la force de cet artiste. Edgar Davidian le dépeint d'ailleurs comme un alchimiste des mots et des couleurs, plongé dans un univers où la musique, les couleurs, les livres, les images et l'enseignement se fondent. 
Les termes mêmes, employés pour sa peinture, pourraient aisément être appliqués à ses poèmes: « discours secret, elliptique, codé, emblématique et parfois rorsarchien. »

Le processus de travail, dans sa poésie, à l'instar de sa peinture, relève de deux phases: la fragmentation et la recomposition. (« Des parts de natures départagées… », Liban-93) 
Et par-dessus la cohérence de ses poèmes, les mots de Georgé dessinent toutes les virtualités que sa peinture sous-entend. 
Chanine entame une formation en « Esthétique et Sciences de l'Art » en 1973: après avoir soutenu son mémoire, L'Œdipe et le dessin enfantin, il rédige une thèse de troisième cycle, L'Art contemporain libanais - apport religieux et socioculturel sous la direction de Bernard Teyssedre.

Son bagage culturel le mène naturellement à enseigner l'histoire de l'art et des civilisations. De 1985 à 1990, il fait figure de pionnier quand il assure régulièrement la réalisation des rubriques artistiques « Télérama » et « Mosaïque » pour la télévision au Liban (L.B.C.). Son professionnalisme s'impose aussi à travers ses différentes conférences.

Ses articles sur l'art sont rares mais toujours empreints de perspicacité. En 1988, il publie dans la revue Plus un article sur L'art des années noires au Liban. En voici quelques extraits: « On ne saurait prétendre… qu'il y a des peuples en retard et des peuples avancés. Cela obligerait à situer le calendrier artistique idéal qui définit retard et avance. (…). Les conflits parfois cocasses du quotidien sont le tissu même de la vie artistique d'une époque. » 

Ces différentes vocations de Georgé Chanine pourraient être incomprises. Mais combien sont-ils les artistes qui ont fait l'unanimité de leur vivant? Est-il nécessaire de rappeler le parcours d'une figure aussi éclatante que celle de Paul Gauguin dont il a fallu attendre une seconde rétrospective au musée du Louvre - quelques soixante ans après son décès - pour avoir le crédit d'un large public? 
Qu'importe. Loin des gloses - par trop humaines - l'enjeu de Georgé est resté pure soif artistique d'un artiste authentique!

Pascale Chécri