Elie Antoine Lahoud

Elie et son prestigieux héritage - Artiste peintre et poète Joseph Matar

Elie et son prestigieux héritage par l'artiste peintre et poète Joseph Matar

Je l’avais rencontré en 1960 ou peut-être 1959 ; je n’ai pas dit que je l’aie alors connu ; il accompagnait son père, un jour de congé ; son père était un collègue enseignant dans une école à Jounieh où je m’occupais de la formation artistique ; le corps enseignant vivait en parfaite harmonie: une dizaine de profs, un directeur, deux surveillants, deux gardiens, une femme de ménage…

J’étais un peu choyé à l’école ; je m’absentais à volonté ; j’étais inscrit comme étudiant d’art un peu partout à Beyrouth dans des ateliers où je me formais avant de voyager en Europe, en Espagne et en France en particulier.

Je fus invité dans leur maison à Amchit ; une famille de notables là. Ils y ont une illustre histoire particulièrement dans le domaine des lettres : le père était poète ; le grand-père aussi : poète, homme de lettres, historien, éducateur,… propriétaire d’une école qui forma toute la classe et l’élite de Amchit. Dans le rez de chaussé de leur résidence une chapelle avait été aménagée et vouée à Saint Antoine de Padoue.

A Amchit, chaque famille s’est ainsi dotée d’une chapelle particulière ; il y en a bien une trentaine aujourd’hui, j’y ai même réalisé en une seule séance un portrait du grand-père Adib dont le nom veut dire le lettré, l’homme cultivé… il en avait la stature et les allures…

J’ai par la suite disparu plus de deux ans pour réapparaître en 1964 et de nouveaux en 1968-69, c’est à cette date dernière que j’ai remarqué dans mes cours à l’Université Libanaise le jeune Elie que j’ai tout de suite reconnu. J’étais chargé des cours de dessin en draperies, costumes, vêtements.

Dans le jeu scénique, le décor des personnages est un élément essentiel ; il renseigne sur le statut social des personnages, et leurs relations…

Le jeune Elie s’était inscrit dans la section de l’art dramatique.

Le théâtre d’un mot grec : ‘théâtron’, qui désigne aussi bien le spectacle que l’édifice où l’on représente les scènes. C’était ainsi notre seconde rencontre, celle qui a permis la naissance de notre amitié. Chacun tous les deux nous étions habités de ce feu de la créativité poétique dont nous étions animés…Cette flamme intérieure qui nous rapproche du Créateur même.

Je désirais remonter dans le temps, deux ou trois mille ans, en ce pays où avait eu lieu le miracle grec et être plus près de Eschyle, Sophocle, Euripides etc… les inventeurs de la tragédie. Jadis, les héros étaient des rois, des princes, des personnages issus des légendes, de l’épopée, de la mythologie. Aristote définit ainsi la tragédie dans sa poétique : ‘la tragédie est l’imitation d’une action noble… une imitation faite par des personnages en action… Aristote, poétique chapitre VI.

Une tragédie est composée de cinq actes, soumise à des règles fameuses celle des trois unités ; action, temps, lieu… on y faisait valoir l’héroïsme, l’honneur, l’amour, le destin, la mort… 
En réalité, la règle principale revenait à plaire et à toucher le public. Je m’imaginais le long chemin que devait parcourir Elie pour réussir dans une carrière difficile.

J’ai vécu avec lui pendant quatre ans ; je le suivais de près. Il me paraissait être doux, rêveur, actif, aimable : depuis cet ancien temps, Elie a su rassembler les jeunes de Amchit et les orienter dans leur formation ; il sentait qu’il avait un devoir culturel envers son pays et son milieu ; ici, ce sont les jeunes de Amchit, ce village jouit d’un illustre passé au temps des Emirs, hôte du célèbre histoirien Ernest Renan et par la suite des illustres écrivains : Maurice Barès, Henri Bordeaux, de Nerval, Lamartine etc…

Puis à nouveau, c’est Elie cette fois qui a bientôt disparu de ma vue, il était en France à Paris où il poursuivait sa très sérieuse formation, j’avais de temps en temps de ses nouvelles. Il poursuivait ses recherches : le jeu théâtral n’est pas seulement une manifestation ludique sur les planches ; c’est toute une culture, un monde de créativité, d’expression, d’émotion, de renouveau, de mimique, d’imitation, de danse, d’eurythmie, où le corps s’exprime, joue sans parole, grâce aux gestes, aux mouvements, d’héroïsme et ces expressions-là ont été étudiées, affinées, codifiées… depuis la plus haute antiquité.

L’être humain a toujours eu une passion pour le théâtre, la représentation de scènes journalières ou héroïques, de gesticulations variées, de mouvements, d’exécutions folkloriques etc…

Que la scène représentée soit classique, contemporaine, moderne, absurde ou n’importe quoi… il faut que le génie théâtral de l’ensemble : texte, action, espace, dialogue, monologue, chant, tensions des situations, décor, costumes, déplacements des personnages, mise en scène, réalisations, acteurs,… que tout cela se déploie et se déroule devant un public, un auditoire, qu’il puisse ‘émouvoir’, ‘étonner’, ‘ravir, et provoquer le spectateur…

Il faut que la salle soit pleine, que le public applaudisse, s’écrie, ou rit, rassure, ou siffle… ce qui n’est pas un effet recherché dans les autres disciplines artistiques.

Un peintre peut réaliser des œuvres sans les exposer, un sculpture aussi, même un compositeur musical ou un écrivain, romancier… atteignant un public plutôt discret, silencieux…

Nous sommes en 1978-1979 ?

Une troisième fois je retrouve Elie. En réalité, on n’est pas toujours le même; on est devenu un autre, on a évolué, changé… c’est la vie, en l’espace de 20 ans toute une génération en remplace une autre, j’arrive à l’Université un matin je rencontre le frère d’Elie que je salue avec chaleur, il m’apprend que Dr. Elie est au Liban ; qu’on lui crée des obstacles… c’est la guerre civile qui a tout bouleversé. J’ai tout de suite compris ; avec les milices, les tractations, les jalousies etc… il fallait alors s’attendre à tout, je me suis employé à le rassurer, je lui assure des aides bienveillants, je m’en occupe avec le Recteur de l’U.L., un grand ami. Dr. Elie obtient un poste, le voilà devenu un professeur des plus compétant dans notre Ecole, ainsi en plus de notre amitié je le vois un collègue entreprenant, enthousiaste, chaleureux, lui que je voyais une eau calme et profonde le voilà communicatif et compréhensif, infatigable, il se donne corps et âme à son atelier où il forme des élèves en art dramatique.

Ils se constitue des élèves et les fait jouer des auteurs Grecs, Français, Espagnols, Anglais, il anime des réalisations et mises en scènes, s’offre un public intéressé.

Professeur, il dissèque, il analyse, il cherche, il raisonne, il crée, il innove aussi et désire toujours améliorer le jeu ; il commente, il édite et publie, brochures, livres et revues, fait valoir la mise en scène, le mouvement tel Diderot au 18e siècle en France analysant le rendu d’un acteur ou d’une situation, ou Boileau félicitant Racine:

"Que tu sais bien Racine à l'aide d'un acteur
émouvoir, étonner, ravir le spectateur"

Dr. Elie devient un animateur du club culturel de Amchit, dirige une revue, monte des représentations sur lesquelles il travaille etc… interprète plusieurs auteurs, il a traduit aussi des œuvres en plusieurs langues.

Resté jeune d’allure et d’entrain il expérimente, et sûr de lui, fait jouer ses interprétations jusque partout dans le monde : en France, au Maroc, en Jordanie, en Italie, à Chypre… et les voit estimées et couronnées…

Elie, fils illustre et chéri de son village Amchit, il y dirige son théâtre expérimental depuis plus de 20ans ; il a formé des dizaines de jeunes artistes ; patronné des dizaines de recherches de thèses pour des doctorats…

Il parvient à présenter chaque année plus d’une pièce jouée par des professionnels et des élèves dans la capitale Beyrouth et dans la province…

J’admire en lui l’animateur plein de vie, d’idées nouvelles, de réalisations inédites, surprenantes, vivantes dont on parle avec intérêt, surprise, admiration.

Joseph Matar