Basil Soda

Basil Soda - Son parcours et sa carrière

Un esprit jeune

Jeune styliste à la renommée internationale, Basil Soda est un grand rêveur pour qui l’art est avant tout une question d’humeur, de liberté, de talent, d’énergie et d’audace. C’est au sein de sa maison de couture à Horch Tabet qu’il a accueilli l’équipe de Magazine Hebdo.

A quelques pas de la route embouteillée de Sin el-fil, nous voilà plongés dans une ambiance différente, calme, résidentielle, où la verdure a encore sa place. En face d’une ancienne demeure connue sous l’appellation du «Palais de Noura», un bâtiment peint tout en blanc interpelle le regard. Moderne, minimaliste, sobre, aux lignes épurées. Sur l’une des façades se trouve le nom de Basil Soda. La porte de la maison n’est pas facile à repérer. C’est une large vitrine qui permet de se familiariser, de visu, à l’esprit du styliste libanais, avant de pénétrer dans son antre. L’intérieur correspond à l’extérieur. Tout semble respirer la pureté, les espaces ouverts et la touche contemporaine. Du blanc, du noir, du gris et du métal: ce sont les seuls tons utilisés dans la décoration, qui se reflète dans les multiples miroirs qui y sont disposés de mille et une manières.

Installé là depuis moins de deux ans, la présence de la maison de couture de Basil Soda à Horch Tabet est symbolique à plus d’un niveau. «La région, tout en étant connue, a un cachet privé, à l’instar de la couture», explique-t-il. Un environnement naturel auquel s’ajoute la conception architecturale de l’espace. «Il faut passer de l’autre côté du mur pour sentir l’environnement interne, tout comme il faut voir une femme habillée pour l’admirer». L’architecture de l’espace façonne, renvoie, et crée l’image de la marque. «Nous sommes à une ère où architecture et mode sont étroitement liées». Pour cette raison, il a étroitement collaboré avec un architecte d’intérieur pour l’élaboration de sa maison de couture, y mettant 70% de ses idées.

Liberté du parcours

L’architecture est une passion pour Basil Soda, une passion de longue date. Son baccalauréat scientifique en poche, il s’inscrit en architecture à l’Université de Kaslik. Certes sa passion première était la mode, mais il ne pouvait voyager, et à l’époque, il n’y avait pas au Liban de facultés spécialisées dans le domaine. «J’ai senti que l’architecture était le plus en rapport avec ce que je voulais faire. Dans les deux on commence par un concept et on construit autour, en prenant en compte que la robe a une structure, une volumétrie, une géométrie…». Autant de principes de base que Basil Soda a appris durant les années préparatoires de son cursus à Kaslik. Il n’ira pas jusqu’au bout de la deuxième année. CAMM, Cours artistique de la mode moderne, ouvre ses portes, et Basil Soda change de spécialisation.

C’est au fil de la conversation que nous découvrions que ses parents n’étaient pas réellement enthousiastes à l’idée. Pourtant, sa passion lui vient en premier lieu de son père, couturier pour hommes. «J’allais souvent chez lui à l’usine, je travaillais avec lui au magasin. J’ai appris la couture dans le sens vrai du terme. J’étais surtout content car c’était avant tout un exercice avec mon père». Et quand Basil Soda en parle, l’émotion semble habiter sa voix. «Mon père fait partie de ces couturiers dont le trajet a été très difficile. Il a commencé à travailler très jeune et a fini par posséder une industrie. Ce qui, à l’époque, n’était pas du tout courant. Il était différent. Il m’a beaucoup aidé». A 13, 14 ans, Basil Soda confectionne ses premiers modèles, ses premiers tailleurs à sa mère, à ses amis à l’école. «J’aimais beaucoup voir quelqu’un coudre et j’ai aimé faire ça. Ça a toujours été un plaisir pour moi. J’aime la couture dans le sens où il y a un travail artisanal, un travail qui se base sur le talent avant tout. C’est comme ça que j’ai commencé».

A la fin de ses études, il commence à travailler à Beyrouth, puis se rend à Dubaï et Abou Dhabi, avant de revenir au Liban où, aux alentours de 1996, il intègre la maison d’Elie Saab et y travaille durant quatre ans. «Une période que j’aime bien. J’ai acquis une très bonne expérience avec Elie, peut-être parce que je n’ai jamais senti que j’étais un employé chez lui. Nous avons une excellente relation, C’est plus qu’un collègue, c’est un ami, un grand frère. J’aime suivre ce qu’il fait, car je le respecte, et je respecte son travail, sa carrière, sa manière de réfléchir». En 2000, Basil Soda commence à travailler tout seul, jusqu’à se faire un nom international.

Tout au long de ce cheminement, Basil Soda vit l’expérience, entièrement, s’imprègne et s’immerge dans chaque exercice, à sa manière, «pas très catholique», dit-il. Estimant que s’attarder trop sur le croquis est une perte de temps, il effectue des allers-retours, entre le moulage, le contact avec le mannequin, avec le tissu, les patrons, le croquis, change, modifie, retouche, améliore, vibrant avec ses sensations, sa liberté, son talent. Pour Basil Soda cette expérience est vitale. Une expérience que les écoles et instituts libanais sont en train de formater, de rigidifier dans un système académique qui risque de limiter le talent et le potentiel des étudiants. «Il faut que dans une première étape, il soit libre, libre de jeter, de détruire, d’être un peu fou, chaotique. Cette liberté est importante durant l’apprentissage pour que le designer se retrouve. Et dans une deuxième étape, il travaille sur lui-même, pour créer son propre rythme, pour avoir de la discipline, pour voir comment se développer, persévérer et que les gens l’acceptent».

C’est de cette manière que Basil Soda a procédé, jusqu’à trouver son chemin. «Je sais maintenant où je me sens à l’aise, même si je sens des fois que le marché ne veut pas cela. Et c’est mon dilemme, c’est ce qui me fatigue». Ecartelé entre ses propres envies et les besoins du marché, le designer peut craquer sous l’effet de ce stress permanent. «Tout le monde croit que ce n’est qu’une partie de plaisir, mais notre métier est l’un des plus difficiles au monde. Le moment est un plaisir, mais l’exercice est très difficile. On nous demande un rendement permanent et un résultat, alors que notre métier se situe plus dans l’humeur. Mon but est de toujours rêver, mais il y a une réalité à vivre, une robe à vendre». Les gens ont tout de suite accepté les designs de Basil Soda. La raison est qu’il y met essentiellement sa sensibilité, ses sensations, qu’il arrive à faire passer le message de manière indirecte, subtile. D’ailleurs, c’est très rapidement qu’il a tracé son chemin. De 2000 à 2005, Basil Soda est à Beyrouth. Mais quand la situation du pays devint difficile, il commence à faire des défilés à l’étranger. Une nouvelle fenêtre d’exposition internationale, un push, une image qui change et qui implique une nouvelle manière de voir les choses. «Quand on se rend à l’étranger, quand on habille des célébrités, il ne faut pas le faire juste pour le prestige, pour renflouer ce snobisme libanais, mais pour s’ouvrir davantage, pour accepter toutes les critiques, négatives et positives, pour les prendre en considération et travailler à les développer». Pour Basil Soda, il est important de se remettre en question. Et c’est ce qui lui permet chaque matin de venir avec une nouvelle énergie.

Les jeunes l’inspirent

Décontracté, simple, toujours jeune d’esprit, il affirme aimer faire, souvent, ce qu’il faisait quand il n’avait pas encore d’argent. «C’est facile d’être show-off, mais il est encore plus difficile de vivre simplement. Et c’est ce qui me nourrit, sinon j’étouffe, je sens un vide». Mais le plus important pour Basil Soda est la jeunesse, cette jeunesse libanaise que personne ne regarde vraiment, occupés qu’ils sont ailleurs par la futilité du hommos, du taboulé et de la politique… Lui, il aspire à sortir avec la jeunesse. A 40 ans, il n’aime être entouré que de gens plus jeunes que lui et à la limite de son âge. «Si je perds cette sensibilité, ce contact avec la jeunesse, je perds beaucoup. Et je perds aussi dans mon travail. Il faut voir comment ces jeunes vivent, aiment… Ce qui est difficile dans notre métier, c’est qu’en grandissant, notre maturité change, alors que notre métier est toujours relié à la jeunesse. Ma plus grande source d’inspiration est celle que je puise de ce contact avec les gens, que ce soit ici ou à l’étranger. Young vibes, this is where I want to be. Et c’est ce qui me permet de rester toujours en vie». Et quand Basil Soda tranche, il le fait sans aucune hésitation, sans trop y penser. Question de goût, il se décide rapidement, et cela, dit-il, le soulage, quoi que puisse en penser les autres. «Je m’en fous, j’aime toujours jouer. Et alors?». Le passe-temps favori du designer est de se rendre, hélas pas au Liban, mais à l’étranger, dans des bibliothèques, des librairies, à la recherche des livres, ou de se rendre à des expositions axées essentiellement sur l’art contemporain. «Je recherche le plus tout ce qui est contemporain, tout ce qui a rapport au new design, pour sentir cette énergie». Et après, si le temps le permet, il ira jeter un coup d’œil sur l’art ancien. Toujours passionné d’architecture, il reste au courant des dernières nouveautés, des concours qui sont lancés, des projets des lauréats. Et, pourquoi pas, il pense même à suivre des cours privés d’architecture. Une manière de toujours continuer à apprendre.

Quant à savoir si son fils, Jad, âgé aujourd’hui de 15 ans, pourrait un jour reprendre le flambeau, Basil Soda répond qu’il ne cherche nullement à influencer son fils, lui laissant toute la liberté du choix, et l’encourageant même dans toutes ses envies d’avenir. Et il se plaît à raconter comment son fils à 11 ans lui avait dit un jour qu’il voulait ouvrir un établissement vinicole. Loin de le contredire, il lui achète quantité d’ouvrages sur le vin, l’emmène avec lui à des séances de dégustation… «Pour qu’il vive l’exercice. C’est de cette manière que je procède avec lui. Il est plus mon ami que mon fils. Tout est sujet à discussion sans aucun tabou. Et je respecte ses opinions». Quelle que soit la décision de son fils, Basil Soda la respectera. D’autant plus qu’il est sûr que la griffe Basil Soda va se poursuivre, avec son fils ou avec une autre personne qu’il formera à prendre la relève. «Et j’insiste sur cela. Les couturiers qui sont venus avant nous ne nous ont rien laissé (voir encadré). Mais moi je veux que ma maison continue. Parce que si elle s’éteint avec moi, je n’aurai au final rien fait».

La femme dans son regard

«La femme libanaise connaît et respecte sa féminité, plus que toute autre femme. Et moi, en tant que designer, j’aime toujours voir la féminité dans la femme. Je ne veux pas la voir disparaître. Et elle est toujours présente dans tous mes habits. Mais j’aime aussi que la femme soit forte, qu’elle ressemble un peu à l’homme, qu’elle ait un côté androgyne, qu’elle travaille, qu’elle ait de l’énergie, de la simplicité. Qu’elle puisse le soir, avant de sortir, garder ses habits du jour et y ajouter un accessoire ou troquer ses ballerines contre des escarpins. Je vois la femme comme séduisante et en même temps intouchable. Une des plus belles sensations est de voir dans le regard d’un homme son envie tourmenté d’approcher une femme mais n’osant pas le faire».

Ce qu’il en pense

Le rapport entre Libanais: Basil Soda se demande ce qui nous manque pour faire un «fashion week libanais. «Mais le Libanais a un ego surdimensionné qui fait qu’il ne peut pas vivre avec l’autre. Nous avions des générations de couturiers. Chacun a construit un empire. Mais ils ne nous ont rien laissé, à part une bonne réputation, même s’ils étaient plus artisans que stylistes créateurs. Le premier à avoir façonné le terme Styliste libanais est Elie Saab».

La particularité des stylistes libanais: «Nous avons une histoire que toutes les femmes aiment: la féminité. Mais nous avons exagéré en exploitant ce critère. Il faut oser changer, évoluer, créer un langage international tout en préservant nos racines. Mon but est de changer cette image: nous ne sommes pas seulement le «red carpet», les robes des mille et une nuits, la femme sirène. Des principes que j’ai complètement laissé tomber dans ma deuxième collection «Prêt-à-porter».

Le Liban: «Il ne faut pas se leurrer, l’art a besoin de stabilité. Je suis toujours ici, mais la plus grande partie de mes clientes ne sont pas libanaises, je fais mes défilés à l’étranger. Mais je suis présent là. C’est un scénario qui me convient»