Or Chakib Arslan

Les Arslan

Les Arslan ou la branche Yazbaki des druzes remonteraient au IIIe siècle après Jésus-Christ. Au Liban, ils ont donné des figures historiques célèbres dont Fakhreddine I et Fakhreddine II Le Grand et aussi 33 princes morts à Nahr El-Mott dans la bataille contre les Marada. Longue est leur épopée. L'arbre généalogique qui les relie les uns aux autres à travers les siècles est extrêmement précis et ne laisse rien dans l'ombre.

Dieu qui a crée ce paradis sur terre nommé Liban a su le préserver de tous les conquérants: Les Croisés, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Turcs afin de semer la division parmi les fils du Liban. Heureusement qu'ils n'y sont pas parvenus. Les Français et même les Israéliens. Tous ceux qui ont voulu détruire le Liban y ont trouvé leur tombe. Les Libanais ont survécu à toutes les épreuves et continué à vivre ensemble.

L'Emir Chakib Arslan 1869-1946 Ecrivain, Homme politique, poète

Pour la Bible et pour la plupart des anciens historiens, le Liban c'était la région des Cèdres et la chaîne de montagnes qui l'entoure. Et jusqu'aux dix-neuvième siècle, c'était surtout à cette région que le mot Liban s'appliquait.
Les Chrétiens et notamment les Maronites trouvaient leur refuge à la suite des persécutions, au milieu de ces montagnes, dans la partie occidentale du Liban. Le nombre de ces derniers s'accrut rapidement; plusieurs tribus vinrent se ranger à leur côté et des familles d'une grande notoriété telles que celles des Arslan, des Maanites et des Joumblatt se sont enrôlées sous leurs drapeaux.

A la suite de ces nouvelles adhésions, les Druzes étendirent leurs domaines ils envahirent toute la région du Chouf jusqu'à la banlieue de Beyrouth. Les Arslan s'installèrent dans la région de Choueifat où naquit l'Emir Chakib, en 1869.

Vie et Enfance

Dès l'âge des cinq ans, l'Emir Chakib est initié à la lecture et à l'écriture par un instituteur renommé, installé à domicile. Un cheikh de religion vient lui apprendre le Coran.

Son entrée à l'école américaine de Choueifat lui permit d'apprendre l'orthographe, la géographie et la langue anglaise.
En 1879, il entre au Collège de La Sagesse, fondé par Mgr Youssef Debs, archevêque maronite de Beyrouth. Parmi ses éminents professeurs figure Abdallah Boustany.
En 1887, l'Emir Chakib passe une année à l'école sultanienne. Il se perfectionne en turc. Il étudie le droit et suit les leçons du cheikh Mohamad Abdou exilé à Beyrouth depuis la révolution de Arabi en Egypte.
Signalons à cette occasion que l'Emir Hammoud Arslan père de l'Emir Chakib était le grand ami de Mohamad Abdou.

Le Gharb

Le Gharb, était, d'après l'historien Assad Rustom, le fief des Arslan. Dès 1889, l'Emir Chakib succède à son père, décèdé dans l'administration du Gharb inferieur. Ce district avait été jusqu'en 1860, fief des Arslan. Les Moutassarrifs ont pris l'habitude d'y nommer moudir un membre de la même famille. Mais Chakib n'avait alors que vingt ans, son frère aîné, l'Emir Nassib fut alors nommé à sa place.

L'Homme Politique

En 1890, l'Emir Chakib Arslan débuta sa vie politique en Egypte, en publiant dans "Al-Ahram" ses premières attaques contre l'Occupation anglaise de l'Egypte. Au caire, après le retour d'exil de Mohamad Abdou, l'Emir Chakib fut introduit par ce dernier auprès de Zaghloul et Zaki Pacha. A la fin de la même année, il gagne Istanbul et fait la connaissance de Djemal Eddine El-Afghani, partisan du califat musulman des Sultans ottomans. Il le fréquente pendant plus d'un an et découvre en lui son maitre spirituel et son modèle d'avenir. Il profite de ses relations pour fréquenter également la cour du Sultan et y gagner des amitiés très utiles par la suite.
En 1892, L'Emir Chakib rencontre à Paris Ahmad Chawki. Il le surnomme prince des poètes.
D'ailleurs, l'Emir Chakib Arslan lui-même gagnera bientôt à l'interieur du Liban le titre de prince de l'éloquence (Amir Bayan) ou prince des deux arts: poésie et prose.

En outre, nous savons tous que le Sultan ottoman Abdelhamid, pour reprendre du prestige dans le monde islamique, appelle à son service d'éminents hommes de lettres et penseurs parmi lesquels figurent: Nassif al-Yaziji, Hafize Ibrahim, Ahmad Chawki et notamment Chakib Arslan et Abdou.

L'Emir Chakib après les reformes de 1908 au sein de l'Empire ottoman, trouve que ce changement rend possible l'exercice d'une part des libertés démocratiques à la base populaire. Ainsi il forme avec Moustapha Arslan, Habib Pacha As-Saad, Nassib Bey Joumblatt, Cheikh Kanaan ad-Daher et Rachid Bey Nakhle une élite d'opposants politiques au Moutassarrif Youssef Franco Pacha et occupe le Sérail de Beit-Eddine à la tête d'une grande foule de partisans.
 
Le gouverneur général malgré son hostilité a leur égard et le prestige de son poste, cède après avoir farouchement résisté. L'Emir Chakib ainsi que tous les chefs du mouvement n'évacuèrent les lieux qu'une fois nommés aux plus hauts postes de l'administration libanaise dont d'autres personnalités sont limogées.
Ainsi l'Emir Chakib fut désigné caïmacam du Chouf. Grace à ce poste, il renforça la position du parti Yazbaki des Arslan dans le district le plus important du Liban. Il avait également gardé ses bonnes relations avec la Sublime Porte et le mouvement des Jeunes-Turcs. Sa manière de louer le Sultan, sans jamais lui adresser la moindre critique dans ses écrits, lui vaut l'honneur d'être choisi en 1909 pour représenter le Hauran au Parlement ottoman.
En 1911, L'Emir Chakib Arslan se lança dans la mêlée contre les Italiens en Libye. D'Istanbul et de Syrie, il mène une campagne en Egypte et dans les autres régions islamiques pour collecter des fonds et recruter des volontaires.

La guerre de Libye terminée, l'Emir rentra à Istanbul. En novembre 1914, Enver Pacha qui l'avait bien connu, le recommande à Djémal Pacha, ministre de la marine, commandant en chef de la IVème armée en Syrie, Liban et Palestine.

Plus tard, le Sultan ottoman, déchu et exilé, n'oubliera pas l'Emir poète. Il l'invitera par exemple, à venir passer des journées avec lui en son exil. A cause de ses bonnes relations avec Djamal le terrible, l'Emir Chakib était assez puissant pour sauver tout le monde des décisions de Djamal et de la cour martiale. Il a intercepté pour ses partisans mais il n'a pas suggéré les noms des victimes. Toutefois, le seul accusé druze, condamné par contumace, fut l'Emir Toufic Magid Arslan, l'un de ses adversaires politiques à l'intérieur du Liban et de la famille.

En outre il a usé de toute son influence sur Enver et Talat à Istanbul et sur Djamal pour leur prouver qu'il était de l'intérêt de l'Empire de ne pas troubler l'Etat politique du Liban et que les soldats nécessaires à une intervention pareille dans ce pays serait plus avantageusement occupés sur les champs de batailles. Il a aussi signé un engagement par lequel il garantissait que les chrétiens du Liban entier n'entreprendraient aucune action hostile contre l'Empire.
Mais une fois la décision prise par les Turcs d'occuper le Liban, Chakib Arslan allait intervenir pour en diminuer les effets sur la vie du pays. Il réussit à obtenir deux garanties essentielles: il n'y aurait ni recrutement obligatoire ni majoration d'impôts.

La Cour Martiale d'Aley

Il y a lieu de signaler que l'Emir Chakib Arslan a enduré pendant les années de guerre, pour le salut de sa patrie, les plus terribles souffrances. Il a consacré son esprit, son cœur et toute ses forces sans oublier les dangers mortels auxquels il était exposé pour sauver de la mort ses compatriotes sans discrimination aucune. Il a défendu la cause des personnes jugées par la cour martiale d'Aley et réussi à contrecarrer la déportation de nombreux Zaims.
Parmi les personnalités libanaises déportées en Palestine, se trouvaient cheikh Khalil El-Khoury, père du futur président de la République, et son fils Fouad. Il prit une carte, écrivit un mot et la lui passa.

L'Emir Chakib Arslan prit immédiatement une voiture et courut à la rencontre des déportés sur la route de Naplouse. Toutefois, l'Emir échoua par la suite à détourner Djamal de sa tyrannie. Quant au patriarche maronite Elias Hoyek qui a été reçu a Sofar par Djamal, l'Emir Chakib Arslan affirme qu'il usa de sa diplomatie et de ses démarches pour prouver au "Tyran ottoman" que les Maronites et leur patriarche étaient attachés au régime ottoman. Evoquant le blocus économique et la famine qui sévit dans le pays, l'Emir Chakib se rendit en Bavière où il s'entendit en 1916 avec le Nonce apostolique le Cardinal Pacelli devenu plus tard le Pape Pie XII de convaincre la France, protectrice des catholiques afin de permettre aux navires retenus à Alexandrie de se diriger vers Beyrouth où le Consul d'Amérique distribuerait lui-même la farine.

Notons à cette occasion que les Turcs n'avaient de la compassion ni pour les chrétiens ni pour les druzes. C'est pour cette raison que l'Emir Chakib exigeait de ses partisans d'aider les chrétiens et de leur fournir régulièrement une certaine quantité de blé et d'autres denrées alimentaires.

L'Homme de lettres

L'Emir Chakib Arslan a constamment plaidé la cause du Liban, au Caire comme à Istanbul ou en Europe. Voici quelques extraits de ses discours et écrits à ce sujet:
"En ce qui concerne le statut du Liban, nous exigeons des Alliés que le Liban soit rétabli dans son indépendance intégrale.

Le peuple libanais a beaucoup souffert et mérite d'avoir une vie libre et aisée. Nous espérons qu'ils nous rendent la vie digne d'être vécue. La marche à suivre est simple. Proclamer le Grand Liban et créer une Constitution libanaise. La Société des Nations n'a pas échoué a cause de ses principes ou de ses conceptions. Elle a échoué parce que ces principes ont été abandonnés par les Etats qui l'ont fait naitre, et parce que les gouvernements de ces Etats ont craint de regarder la vérité en face et d'agir pendant qu'il était encore temps. L'Occident doit nous aider à rebâtir notre pays et a nous faire oublier les séquelles de la guerre de 1914-1918".
Après la déclaration de la Première Guerre mondiale, l'Emir Chakib, ami du Sultan devait écrire:

"Dans ce Liban malheureux, comme dans tant d'autres pays du Moyen-Orient où se poursuit la lutte pour la liberté, les nouvelles se sont aggravées au lieu de s'améliorer. Si l'on ne peut attendre des Libanais qu'ils cachent leurs sympathies, ils ont fait comprendre clairement à maintes reprises au nouveau régime turc que la population de ce pays, chrétiens et mahométans, ne se soulèveront jamais contre les Ottomans. Mais l'histoire montre que la patience des peuples opprimés a des limites."

L'Emir Chakib a débuté sa vie journalistique à l'âge de vingt ans. Il rédigeait dans "Al-Ahram" et dans d'autres quotidiens arabes de nombreux articles portant sur l'avenir du Petit Liban et sur la politique ottomane au Proche-Orient.

En 1930, il avait déjà rédigé une œuvre de dix mille pages. Il a écrit également plus de mille pages de commentaires et de notes pour enrichir l'ouvrage traduit de l'anglais sur l'état présent du monde islamique. On peut résumer ses écrits comme suit:
1800 lettres massives
176 articles de presse
5 poèmes
Deux morceaux en prose
350 pages (Mon livre sur Chawki)
360 pages (Mes notes et commentaires sur Ibn Khaldoun)
Un Diwan formé de 800 pages.
Un total de vingt volumes.
Une dizaine d'années avant sa mort, l'Emir devait écrire:
J'ai consacré au Liban le meilleur de moi-même. Pour ultime récompense on dira après ma mort: Paix à ses cendres; il écrivait beaucoup, sept à huit heures par jour".

Conclusion

De son vivant, l'Emir Chakib Arslan ne manquait pas d'honneur moral. En 1937 par exemple, il est élu président de l'Académie arabe. Mais il démissionne au bout de quelques mois.

En 1930, il est invité à présider le congrès des nationalistes arabes émigrés aux U.S.A. La même année les Russes l'invitent pour venir assister aux festivités de novembre. Il en rapporte la conviction que les Arabes devraient entretenir avec eux des rapports politiques et économiques. En 1935, il préside le congrès islamique réuni à Genève et prolongeant celui de Jérusalem de 1931.

A cette occasion l'Emir est élu secrétaire général permanent du Congrès islamique réuni à La Mecque, charge qu'il n'accepte pas d'ailleurs. D'autre part, il avait été élu président du comité germano-afghan fondé à Berlin en 1921, où il était président du club oriental. Il était également membre de la société asiatique dont le siège se trouvait à Paris. L'Emir Chakib Arslan mourut à l'âge de quatre-vingts ans, en 1946, à Choueifat. Après avoir passé une bonne partie de sa vie à Genève, il est resté fidèle à la région de ses ancêtres, il fut enterré à Choueifat selon le rituel druze.
L'Emir Chakib qui a connu la gloire, il est sans doute l'écrivain libanais le plus original, celui qui a le mieux servi son pays à l'époque ottomane. Pour preuve, ses articles de presse et ses ouvrages où il traite de la politique de la Sublime Porte, du système des Jeunes-Turcs, de la langue arabe, des penseurs libanais avec un style brillant que l'on retrouve dans son "diwan".

Si les idées de l'Emir Chakib semblent aujourd'hui tellement contemporaines, c'est d'abord en raison de ses vues lointaines, de ses voyages et relations internationales. Il analyse la société à partir de l'individu et pense, justement, que quelque choses des possibilités libérales de la société de son siècle a contribué à sauvegarder l'entité libanaise et à mener à bien l'avenir de notre pays.
Son mérite particulier était d'inviter constamment les chefs politiques libanais à une profonde réflexion au sujet du futur statut sociopolitique du Liban.

Joseph Sokhn