par Joseph Sokhn - Couleurs Libanaises
Grand Poète Libanais
Pour connaître et juger Georges Ghanem, sa poésie et sa personne, il ne faut pas consulter uniquement les cahiers des intellectuels modernes, mais plutôt l'opinion populaire et estudiantine libanaise.
Celle-ci nous révèle le vrai talent ainsi que l'originalité de la verve poétique de cet éminent homme de lettres.
Quoi qu'il en soit, la classe cultivée de l'Orient Arabe s'est exprimée sur la haute valeur des cinq diwans de Georges Ghanem, elle le fait en fonction de son propre système poétique et les différents thèmes qui l'enrichissent.
Vie et enfance
Baskinta est un beau centre de villégiature ou chacun y trouve une hospitalité remarquable et de nombreuses possibilités de vie paisible et agréable. Cette localité voisine de Saninne est le village natal de Georges Ghanem, de Mikhail Nouaimé et de nombreux penseurs contemporains. C'est donc à Baskinta que notre jeune poète vint au monde en 1932. Il est l'aîné d'une famille composée de sept garçons et d'une fille. Ses frères, Samir, Chicri, Marcel, Robert, Ghaleb, Rafik, et son unique sœur, Kamal, lui vouent un attachement particulier et une grande admiration. Son père, Abdallah Ghanem, célèbre poète de l'époque contemporaine, et sa mère, Yamameh Ghanem, avaient de tout temps été attirés par la culture et les lettres.
Les enfants heureux, dit-on, n'ont point d'histoire. L'enfance de Georges Ghanem ressemblerait à celle de n'importe quel petit garçon choyé par ses parents, élevé dans une coquette maison de campagne et ayant comme compagnons de jeu des adolescents de son village. C'est vers l'âge de cinq ans, que Georges Ghanem fréquenta l'école des Sœurs de Besançon à Baskinta, puis vers l'âge de douze ans, il vint à Beyrouth achever ses études secondaires au Collège de la Sagesse et au Lycée Français. Il devait obtenir une licence en sciences Politiques et Economiques, puis une licence en Lettres et un diplôme de Hautes Etudes de Planification et de Développement.
En 1962, Georges Ghanem, sur de lui, de la valeur de ses études supérieures et de son travail, rencontra une gracieuse jeune fille de Machghara, Nouha Khalil Salomoun dont il tomba amoureux. Ils se marièrent et eurent quatre enfants: Nada, Zeina, Maya, et Abdallah. Actuellement le poète Georges Ghanem occupe un poste assez important au ministère de l'Education Nationale, il est le chef du département des Beaux arts et titulaire d'une chaire de Professeur de littérature arabe à l'Université Libanaise et dans plusieurs collèges secondaires.
Georges Ghanem relate aujourd'hui son enfance avec allégresse et évoque souvent dans certains de ses poèmes, la nostalgie de cette enfance paisible et heureuse passée à l'ombre de Sannine. J'ai été, confie-t-il, très heureux et les quinze premières années de ma vie se résument en une succession permanente de ces petites joies qui constituent le vrai bonheur de l'enfance.
Une vocation précoce
Ce que j'aimais par-dessus tout, lors de ma vie estudiantine au Collège De La Sagesse, c'était le goût curieux que j'avais pour la poésie. En fait, j'étais alors en classe de cinquième, et déjà je lisais à mes camarades, quelques poèmes innocents et fantaisistes, que j'avais écrits durant mes heures libres. C'était la seule façon qui me permettait de sortir de moi-même, à cet âge là, et de m'exprimer devant mes amis de classe. Puis j'ai commencé à composer régulièrement un poème, chaque semaine, avec une étonnante facilité. Enfin le comité supérieur des classes terminales décida d'organiser chaque Jeudi, une petite séance récréative en mon honneur, durant laquelle, je récitais, avec une décontraction que j'aimerai avoir encore aujourd'hui, mes poèmes d'adolescent et d'ajouter: Mon intérêt pour la poésie augmenta à partir du jour où j'ai osé dévoiler mon secret à mon père qui, voyait déjà en moi un future poète, et qui fut réellement, à l'origine de ma vocation poétique.
Enfin vers 1955, parut mon premier recueil de poèmes intitulé: 'Fleurs en automne' qui eut un grand succès auprès du public libanais et arabe.
Le poète
Il était que le jeune poète du 'Collège de la Sagesse' (C'était son titre à l'époque) tienne compte aussi de ce problème de mysticisme et de symbolisme, avant de donner libre cours à sa verve poétique. Toutefois, on découvre dans chaque poème de Georges Ghanem, du génie à l'état pur. On est surpris par la qualité et la finesse de l'ensemble de ses diwans. Le charme et le jugement intuitif qui ne se trompent que rarement, ajoutent au souffle poétique de Georges Ghanem une nouvelle gamme d'objectivité et d'élégance.
Georges Ghanem poète, diffère des autres hommes, par des dons extraordinaires qui se manifestent clairement dans ses cinq diwans, et en particulier, dans Majamer (Brasier) et dans Hajar-El-Hobb (Pierre d'amour et poèmes de joie).
Certes, les diwans de cet éminent poète ont un cachet lyrique et philosophique qui les distingue nettement de toute œuvre poétique et c'est la précisément l'originalité de son œuvre.
Dès sa prime jeunesse, Georges Ghanem bénéficia d'une ambiance familiale qui devait l'aider a devenir poète. Son père était un poète réputé. Il y eut, également, le milieu scolaire dans lequel il a vécu et grandi (Collège de la Sagesse) où il cultivait déjà la poésie. Enfin sa connaissance des hommes, sa vive imagination et sa façon de voir les choses et de les exprimer. L'œuvre de Ghanem n'est pas exclusivement poétique, mais si Georges Ghanem a écrit deux ouvrages en prose, c'est à ses cinq diwans et à ses recueils de poèmes qu'il doit sa renommée de fin poète.
Que Georges Ghanem se lance dans la voie du professorat dans le secondaire et à l'Université, qu'il occupe une haute fonction au ministère de l'Education Nationale, qu'il cultive la critique littéraire, il demeure avant tout, le chanteur de la nature. Les idées de Georges Ghanem et ses thèmes poétiques, sont des prises de position à l'égard de l'avenir, de la révolte et de la passion. Se figeant d'abord dans la métaphysique, il parle de la mort, de l'inconscient, de l'inconnu et de la solitude. Puis il traite du mysticisme pour aboutir enfin à un certain surréalisme profond. Pour s'évader hors de la prison de soi, notre grand poète trouve un doux refuge dans l'enfance, dans l'amour et dans l'héroïsme et pénètre dans l'atmosphère morale et spirituelle il devient indiscutablement un homme nouveau.
Cette abondante et riche production de Georges Ghanem, qui s'avère un mélange de lyrisme et de surréalisme, est exprimée par des vers libres et un style propre à lui. C'est pourquoi les diwans de Ghanem sont une innovation.
Les cinq diwans de Georges Ghanem embrassent une grande variété de genres et de sujets. Nous allons tacher de les présenter au lecteur.
Premier diwan: (Azhar fi Al Kharif) 1955
Dans ce diwan qui s'avère très fantaisiste, Georges Ghanem nous parle de l'ardente jeunesse, si recherchée, comme les fleurs en automne. Il analyse également l'effet produit par la beauté d'un site libanais sur l'âme du jeune étudiant qui désire tout connaître et qui attend impatiemment l'heureuse rencontre avec l'âme sœur ou bien avec une muse consolatrice. Que de nuits d'insomnie et de fièvre devait-il connaître?
En évoquant les différentes étapes de la vie du paysan libanais, Georges Ghanem explorateur, finirait par nous enseigner que le vrai bonheur se trouve au pied des montagnes et dans la campagne nue ou fleurie.
Il suffirait d'être loin du monde et du bruit, pour apprécier la vie du paysan et connaître la vraie joie.
'Je suis du Liban', confie-t-il, ma rêverie est couleur d'arc en ciel couleur de soleil d'or sur une mer indigo… couleur de beaux fruits qui ne poussent qu'au pied de Sannine.
'En effet, je suis du Liban: Comme j'étais assis sur le bord d'un pont, je l'ai vue arriver, j'ai tendu la main et elle m'a pris en croupe. Nous chevauchons depuis, vers des mondes inconnus et je savais son nom de toute éternité'.
Deuxiéme diwan: L'appel du lointain (Nidaa Al Baaid) 1957
Dans ce recueil de poèmes (Le second diwan) de Georges Ghanem, on remarque aisément la richesse et la douceur de son talent poétique.
Ses poèmes sont particulièrement beaux. ils se refugient dans la vive nostalgie d'une sentimentalité puissante. Il exalte son amour par un réalisme marquant. Il exalte aussi la vie, la vie moderne sous toutes ses formes notamment sous l'optique sentimentale. Ici il idéalise l'amour. Il nous le décrit d'une manière objective et captivante. Il est d'un élément eternel, invariable, l'amour crée en nous l'ardeur, le désir de vivre, l'esprit de sacrifice et le don total de soi pour l'autre. Cependant nous vivons dans une civilisation moderne qui veut tout changer, et au point de vue moral elle veut éliminer la pureté de la femme.
Ici Georges Ghanem soulève le problème de la chasteté et il exige de la part du jeune homme une attitude saine et franche vis-à-vis de la jeune fille. Le premier signe du vrai amour c'est le respect, nous devons veiller sur notre bonheur, nous devons lutter contre la tempête. Celui qui a connu la tentation qui a été troublé, bouleversé et qui a tenu bon, sait jusqu'où va son attachent et sa force de caractère.
Georges Ghanem dans 'L'appel du lointain' traite également un thème passionnant concernant l'enfance. Il pénètre dans l'intimité de l'adolescent, il l'entend parler de ses premières sensation, de son amour pour les siens, de ses loisirs innocents, de sa naïveté et de son tapage joyeux. Il met l'accent aussi sur la place importante des enfants dans la vie. Ils sont les principales sources d'inspiration du poète. Ce qui frappe surtout chez l'enfant, c'est sa poésie, elle est partout, dans ses yeux, dans ses mains, dans ces mots, dans sa démarche, dans ses gestes et même dans sa colère, saine et juste, jamais outrée ni méchante.
Voici un poème tiré de: 'Pierre d'Amour' et traduit de l'arabe par l'éminente femme de lettres et poète Nohad Salameh.
"L'enfance s'annonce
Et la pierre reverdit…
S'épousent les maquis et la pluie!
Au déclin des ténèbres
Au réveil de l'aube,
S'ouvrent de petites ailes
Ombrageant les hommes;
Soufflent les brises sur le désert
Et repoussent les arabes
Se chargent de fruits…
Se régalent les dénudés et les nu pieds!
Réminiscences, la guerre et les décombres!
Réminiscence, la mort…
Et dans sa terre nouvelle,
Lorsque nous crée l'enfance,
Surgissent les esprits du sein de la mort,
Et la vie commence…
Troisième diwan: Brasier (Majamer) 1963
Dans ce diwan Georges Ghanem s'engage dans la voie du surréalisme et acquiert une nouvelle personnalité poétique. Elle consiste d'abord en une confusion de l'émotivité et de la sensualité, pour aboutir à des rêves inconsistants. Toutefois les poèmes de 'Majamer' n'auront d'autres buts que d'être des chants lyriques qui réchauffent le cœur de l'homme et agissent sur son imagination et sa sensibilité.
Voici un poème intitulé: "Je te parle dans mes yeux" tiré de la Revue 'Orient' parue à Paris en 1962, traduit de l'arabe par l'Orientaliste Simon Jargy.
Je te parle dans mes yeux (Majamer)
Si tu crois voir une larme dans mes yeux
Parce que tu es au loin
Souviens toi et dis aux vents
Je reviendrai sur les voiles du matin
Pour que je fasse une fête de ton jour
Si l'on te dit
Un jour plus beau que le rêve est passé
Si l'on te fait croire que la jeunesse est perdue
Tu es dans mes yeux plus beau
Tu es devenu brune.
Tu es loin, loin
Le vent ne m'apporte plus ton parfum
Et la nuit ne me parle plus de toi
La voûte de mon pays est noire; toute noire
Et le sol de mon pays est cendre; tout cendre
Mais ses horizons vont vers toi
Pour que tu reviennes
Si tu crois que je pleure
Souviens-toi que tu es parti
Si l'on dit, tu es revenu
Je claque des mains, je chante et je danse
Je plonge mes yeux en toi et je deviens soleil
Dans tes paupières qui tressaillent de joie
Si l'on dit tu es revenu
Je croirais en te voyant
Que je suis un ciel, et toi un ange.
Extrait de 'Majamer' et traduit de l'arabe par l'Orientaliste Simon Jergy.
Le thème central de 'Majamer' consiste à définir le rôle de l'amour dans une société rénovée. Pour aimer, on remarque l'art avec lequel Georges Ghanem insère dans ses poèmes et au moment voulu, le portrait de sa bien-aimée. Ses yeux, sa douceur, sa sensibilité, tout concourt à dégager une impression dominante.
Georges Ghanem poète est différent de son milieu et il est intéressant de constater qu'il n'a pu se passer de l'influence romantique. Il cherche le reflet dans les yeux, sur les visages, à travers les rêves sensuels. En fait, surréaliste ou réaliste, Ghanem n'a cessé d'être noyé dans le monde du rêve (Majamer).
Quatrième diwan: Le voyage des mots (Safar Al Kalimat) 1966
Ce n'est pas en vain que ce grand voyageur (Le mot) a choisi pour son action une série de thèmes particulièrement évocateurs et captivants: Jesus, Mahomet, Le vent, Le fleuve, La partie, … Il faut y voir, certes, un symbole: D'abord, Dieu est force créatrice, il est le Tout Puissant, il est la cause des causes et le Suprême Chef. Dieu se manifesterait à nous par éclairs fulgurants au fond de soi. Contrairement a ce que pensent les autres fidèles, Georges Ghanem voudrait nous donner une nouvelle image de ce Tout Puissant, de ce révolutionnaire et de ce réformiste génial.
Quant à Mahomet, il le compare à une lumière qui éclaira le désert et en fit un paradis verdoyant après le long sommeil des siècles.
Dans 'Le voyage des mots', la parole est multiple et n'a pas le temps de se fixer. Deux mondes se soudent et séparent. La force et la douceur. Le vent et la lumière. L'amour et la haine.
Cinquième diwan: Pierre d'amour et poèmes de joie (Hajar Al Hobb) 1968
Ce diwan est la plus importante des œuvres poétiques de Georges Ghanem et la plus émouvante. C'est un univers à part, c'est-à-dire un ensemble de thèmes où l'auteur recherche et cultive ses singularités surréalistes: Libération de l'homme de ses conceptions erronées concernant la douleur, l'angoisse, la solitude et la mort. Il nous donne ainsi dans son diwan qui divisée en trois parties, une pénétrante analyse de ses goûts, de son imagination toute puissante, Georges Ghanem s'interroge sur les raisons de l'existence de l'homme c'est pourquoi il revendique un nouvel ordre social, une nouvelle image de l'homme moderne, une renaissance. Il veut expliquer à sa manière ceci: Comment peut on accepter de vivre? Un seul chemin est possible; celui de l'évasion hors du réel tout en y étant profondément lié. C'est d'après lui, la nouvelle phase de notre vie. Il s'agit de bâtir une société libre et optimiste ou seul l'amour triomphe. Car l'amour est capable d'éveiller en l'homme sa puissance de rêve et d'évasion et il est à la base du surréalisme. Tous les thèmes de Georges Ghanem se croisent dans 'Pierre d'amour et poèmes de joie'.
Voici un poème tiré de ce cinquième diwan, traduit de l'arabe par May Murr:
Tant parlé tant ri
Et après avoir ri
J'ai pleuré
Il est temps de partir
Et voici que je viens à ta rencontre
Je ne me suis pas immortalisé
Ni ne me suis aboli
Cependant qu'au long du voyage
Je m'en vais sans souffrir
Puisque c'est sur le sol
Que j'ai posé mon lourd fardeau
Je ne me suis pas immortalisé
Ni me suis aboli
Simplement j'ai oublié sans huile mon quinquet
Ce cinquième diwan de Georges Ghanem eut un grand succès surtout parmi les jeunes qui considèrent l'auteur comme leur maître.
Parmi les penseurs et hommes de lettres qui ont critiqué et donné leur avis sur 'pierre d'amour et poèmes de joie' figurent Mikhail Nouaimé, Said Akl, et tant d'autres. Georges Ghanem poète, confient ils, se révèle un analyste minutieux de la sentimentalité sous des aspects très divers.
Hajar Al Hobb
Voici un second poème intitulé 'Songeries' traduit de l'arabe par l'Orientaliste André Roman, Professeur à l'Institut des lettres Orientale.
Quand reviendra-t-il l'ancien visage du temps
Quand reviendra ce printemps là quand
Les vents d'exil soufflent vers les îles glacées
Voici tirés les rideaux de brouillard
Les vieilles ont fermé leurs portes
Comme si l'hiver venait
Dans les ténèbres une armée d'ombres
Détruit les cabanes dans le pays plat.
Quand reviendra-t-il l'amour encore
Et les arbres revêtiront-ils leurs robes
Quand sera-t-il temps pour l'oiseau de revenir et pour la fleur quand
La brise bouscule les branches dans son caprice
La source bruit dans la pierre
Nous lavons nos visages du noir
Enivrement des mots extasiés
Nous ne dormons plus.
Un oiseau là bas m'emporte du passé
Vers les jardins de roses et de myrtes
Vers nos demeures anciennes et leur bonheur.
L'odeur m'emporte du passé
Le parfum ténu de ce temps-là
Mes jours d'oiseau où dans tes yeux je volais
Mon rêve immense de l'avenir.
Quand reviendra-t-il notre visage ancien
Et sera là le temps ce temps lointain
Voici changés les signes de la passion
Un feu allumé s'élève là-même
Et nos yeux pleins de fumée.
Des voix derrière la frontière
Georges Ghanem place l'ouvrage 'Des voix derrière la frontière' sous le signe de la critique littéraire. Au lieu des poèmes et des métaphores, voici des points de vue plus personnels et plus positifs, mais autrement dignes de foi puisque leur auteur s'est fait une passion exclusive d'observer et d'explorer d'ailleurs l'instinct critique et l'esprit d'analyse sont dans l'âme de Georges Ghanem, comme son souffle poétique d'ailleurs si apprécié par le public qui est le camp naturel et la meilleure des sauvegardes contre l'aveuglement ou le cynisme qui guettent tout poète et homme de lettre. Comme critique, puisque tel est le nouveau champ d'action de notre éminent écrivain, Georges Ghanem sait étudier un document et saisir pour chaque fait le détail particulier avec une fidélité parfaite et une perspicacité merveilleuse, il passe d'un écrivain à l'autre et se plie aux états d'esprit les plus différents. La frontière ici signifie, d'après l'auteur, la connaissance de soi. Quelle attitude doit adopter l'être humain pour contrecarrer l'appel du destin, le sens de l'injustice et l'égoïsme, afin d'entrer avec enthousiasme dans une vie riche d'idéal, d'amitié de projets. On retrouve en outre dans cet ouvrage des jugements équilibrés et positifs et des initiaves très riches qui contribuent puissamment à supporter l'usure de la vie quotidienne, la difficulté grandissante d'aider efficacement les autres. En un mot, 'Des voix derrière la frontiere' est une descente au fond de soi. "Que faire d'autre, écrit Georges Ghanem, quand on a tout compris de soi, quand on a retrouvé tout le sens et toute la réalité de notre existence" Cet ouvrage est peut être, à sa façon assez initiatique. C'est une œuvre mûre qu'il nous donne, une œuvre à recevoir comme il l'a écrite, sérieusement.
Poète et opinions
1971
Dans cet ouvrage Georges Ghanem nous présente un panorama éclectique des poètes entre 1900 et 1970, ils sont au nombre de vingt quatre dont trois femmes de lettres: May Murr, Nadia Tuéni et Venus Khoury.
Ce livre s'avère très utile notamment pour les personnes qui désirent approfondir et analyser les œuvres de nos poètes contemporains. La méthode que l'auteur a adoptée est originale et efficace. Toutefois il est clair que dans cette optique, Georges Ghanem nous offre déjà une œuvre de critique et d'orientation littéraire. On y trouve également des confidences et des réflexions très personnelles. Ses observations sont d'une analyse pénétrante et subtile.
En évoquant le souvenir et l'œuvre de son père le grand poète Abdallah Ghanem, il écrit notamment:
Celui qui est assis à l'ombre du temps, ce modeste et robuste montagnard, est un être exceptionnel. Il apparaît comme le maitre de l'image, de la sensibilité et du symbolisme avec son unique souci de poétiser le quotidien et de concevoir la poésie comme révolution totale. Il fut fortement influencé par des faits qui se sont réellement passés dans son village natal, au milieu des siens et dans un cadre typiquement libanais.
Le temps l'a oublié, c'est à nous de l'exposer à la lumière.
Les activités socio culturelles de Georges Ghanem
Georges Ghanem a fondé plusieurs cercles et mouvements socioculturels, en collaboration avec d'éminents penseurs et écrivains tels que Monseigneur Jean Maroun, Edmond Rizk, Jean Jabbour, Nour Selman, Toufic Youssef Aouad et Youssef Ghssoub. Le souci majeur de l'auteur 'Des poètes et points de vue' est de réconcilier l'homme avec lui-même, avec la société et avec la nature. Or pour atteindre son but, il fallait agir et provoquer chez la génération montante un accroissement de l'intelligence, des capacités et du sens civique et patriotique. C'est pourquoi Georges Ghanem fonda à Beyrouth en 1956 le cercle littéraire (As Souraya) la pléiade qui contribua puissamment à la renaissance de la poésie libanaise. Parmi les membres actifs qui se donnèrent corps et âme au rayonnement de ce mouvement littéraire figure le ministre actuel de l'Education Nationale Monsieur Edmond Rizk. Ainsi au cours de l'hiver 1956 les activistes 'D'As-Souraya' furent multiples et le public beyrouthin s'initiait, grâce au dynamisme de Georges Ghanem, à la littérature libanaise contemporaine.
Poursuivant l'effort d'initiation et d'orientation, Georges Ghanem change de cadre et fonde en collaboration avec Monseigneur Jean Maroun, Toufic Youssef Aouad et Youssef Ghssoub et d'autres… Le Cercle Culturel du Metn Nord. Ce cercle devint le lieu de rencontre de nos grands penseurs et hommes de lettres qui exercèrent une influence marquante sur l'évolution éducative et culturelle des jeunes Libanais. Tous les thèmes qui ont été développés, visaient l'homme, ses mœurs et ses réactions, ainsi que les critères qui participent à son bonheur et à sa liberté.
Enfin Georges Ghanem créa en 1957, avec Youssef El Khal et Adonis un salon littéraire 'Khamiss Chiir' qui ne tarda pas à s'imposer.
En 1974, notre grand poète obtint le Prix de l'Etat Libanais.
L'Educateur
Georges Ghanem débuta sa carrière de professeur à l'âge de vingt ans il a obtenu d'éclatants succès dans le secondaire et à l'Université.
Certes, son domaine était la littérature arabe et c'est avec une véritable passion que notre grand poète se donne encore quotidiennement à sa noble tâche. Il exerce une influence marquante sur la nouvelle génération libanaise qui est fort éprise des lettres et la poésie. Les analyses littéraires et les critiques de Georges Ghanem sont remarquables par l'ampleur et la profondeur de ses vues. Il fut lié d'amitié avec Adonis, Michel Assi, Said Boustany Nour Selman et d'autres Educateurs…, Si éloignés souvent de ses idées, mais qui le tenaient en très haute estime. Sous sa plume, la résonance littéraire est a jet continu. Pour en donner une idée, feuilletons ses deux importantes études critiques où tous les problèmes littéraires et poétiques sont débattus, examinés et analysés avec une compétence vraiment étonnante. Disons enfin que l'actualité littéraire parle souvent de Georges Ghanem, éducateur, et s'intéresse largement à son œuvre.
Conclusion
D'emblée, Georges Ghanem contribue efficacement à l'évolution et au développement de la critique littéraire. Pour cela dans 'Poètes et points de vue' il aborda de nombreux poètes et hommes de lettres notamment: Ahmed Chawki, Khalil Moutaran, Mahmoud Darwiche (De la Resistance Palestinienne). Adonis et tant d'autres. Georges Ghanem n'est pas très tendre pour son ami Adonis, bien qu'il fasse l'éloge de certains de ses poèmes.
En outre, on remarque dans son ouvrage que les symbolistes et les romantiques et même ceux qui chantent le patriotisme et l'amour de la femme se voient analysés sévèrement. En parlant de la poésie, l'auteur de 'Hajar al Hobb' confie: "C'est quelque chose d'essentiel, c'est un message qui vient du fond de nous-mêmes et que nous voulons adresser aux autres". Ici, notre grand poète se réclame d'un lyrisme plus nuancé que celui adopté par d'autres poètes contemporains libanais. Et d'ajouter:
"La poésie, quoi qu'on en dise, n'est pas pur discours de la vérité mais partie prenante d'un système qui organise et justifie telle ou telle vérité. D’où l'idée qu'aucune poésie en tant que telle, ne saurait justifier la réalité et la vérité. L'imagination et la sensibilité, n'ont rien à faire avec la raison".
Disons pour terminer cette étude, que Georges Ghanem poète, éducateur et critique littéraire, par ses idées marquées de réalisme, et par son jugement intuitif et ses points de vues objectifs, avec son style élégant et la richesse de son imagination, nous donne une œuvre mûre et un recueil de poèmes moderne riche et concis, traitant surtout les problèmes de notre monde d'aujourd'hui avec ses drames, son effervescence, ses efforts libérateurs et cette vie qui, malgré tout, conduit a la mort.