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Art in the press

Martha Hraoui: Une nature généreuse par Nada Anid

Il est de ces rencontres qui sentent bon la terre et vous réchauffent une journée à peine commencée, Martha Hraoui, plus nature que la nature qu’elle peint, plus solaire que les ciels qui délimitent ses toiles, poursuit sa quête du beau et fait de son art, avant toute chose, un plaisir pour les yeux.

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Des moments d’intimité avec soi-même

Au fil des ans, Martha s’est créé sa propre palette. Sur une couche de teintes sourdes, celles d’une terre brûlée par le soleil et érodée par le vent, elle peint par touches sa propre vision de la nature. Une gamme de couleurs froides, cobalt, turquoise, vert émeraude, bleu intense, déposés, tantôt parcimonieusement, tantôt avec générosité, sur un fond de paysage chaleureux, comme si ces couleurs avaient pour devoir de tempérer l’émotion primaire de l’artiste, sa spontanéité, son attachement quasi viscéral à sa terre. L’artiste, qui dans la vie quotidienne, semble déplacer avec elle des bouffées d’air frais, mélange d’enthousiasme et de légèreté, met toute sa gravité dans son oeuvre. La réflexion et l’introspection font leur chemin avant qu’elles ne donnent naissance à un tableau. Un moment d’arrêt dans la frénésie ambiante, des instants d’intimité avec soi-même rythmés par la répétition des formes, celles des maisons groupées, des vallées qui se succèdent, des monts qui s’enchaînent … Et le ciel se fond avec le paysage; parfois presque impalpable, il semble le voiler, parfois il l’écrase, flamboyant et lourd, comme elle l’a si souvent observé, au-dessus de sa terre d’origine, la plaine de la Békaa.

Un lieu mythique reproduit à l’infini

En 2002, dans le cadre des ateliers portes ouvertes organises pour la réhabilitation de la Bièvre, la Poste française sélectionne une des oeuvres de Martha Hraoui, pour l’imprimer sur des enveloppes pré timbrées. “ L’Arche de la Bièvre” est le prolongement d’un thème cher à Martha, la vieille maison libanaise et ses arcades caractéristiques, transposée dans un univers différent. La voûte, symbole de la structure familial, la couverture enveloppante, la soupape de sécurité, réapparaît à mille lieux de l’Orient. D’ailleurs ses paysages ne correspondent pas à des endroits précis sur lesquels on peut mettre de nom, mais à un seul lieu mythique, qui aurait subi, avec les années qui passent, une sorte de décantation spirituelle, le débarrassant par la même occasion de tous détails superflus. “ L’abstraction totale ce n’est pas pour moi”, affirme-t-elle et pourtant, certaines de ses compositions en sont très proches. Les longues heures passées devant son chevalet ainsi qu’une remise en question constante, ont permis à la fantaisie de l’artiste de se libérer de plus en plus.

Avec la maturité, les formes deviennent quasi aériennes donnant à ses paysages une aura lunaire et magique, cet aspect exulte tout particulièrement dans les diptyques, qu’elle travaille comme deux toiles séparées, chacune ayant sa vie propre, leur réunion ne servant finalement qu’à refléter la dualité qui semble caractériser la vie et la personnalité de l’artiste. La solitude irrémédiable qui habite inévitablement chacun et qui est encore plus présente chez l’artiste condamné à l’introspection, confrontée au tourbillon quotidien et social qui alimente la fantaisie et la créativité de ce dernier.

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Une vision déterminée et optimiste

Autant la matière dans les huiles et les pastels dans les paysages est fondue, laissant parfois un coin de la toile presque vide par sa transparence, autant l’autre démarche artistique de Martha Hraoui, le nu, renvoie une impression totalement opposée. La précision du trait qui dessine le corps humain, exécuté pour certaines oeuvres à l’encre de Chine et à main levée sans crayonné préalable, donne une structure puissante aux silhouettes, construites d’après une parfaite connaissance de l’anatomie.

Dans le monde oriental et traditionnel où elle aime se ressourcer, entourée de gens simples et authentiques avec leurs tabous et leurs réticences, elle a su imposer cette forme d’expression picturale, sans choquer ni heurter. Pionnière dans l’exil, elle était partie très tôt pour étudier la peinture à Paris, à l’Académie Charpentier et à la Grande Chaumière et pour suivre ses expositions dans des capitales lointaines. De Mexico à Sao Paulo, de Téhéran à Riyad, elle a fait de sa condition féminine et de sa jeunesse des atouts à une époque où elles constituaient des obstacles certains. C’est cette même détermination qui se lit dans ces corps dénudés; puissant et larges, ils dégagent une force charnelle qui est aux antipodes de la sensualité mièvre. Il n’y a pas de lascivité, presque pas d’abandon, juste des postures saisies au pastel, au fusain, à la sanguine, dans l’instant précis où le regard extérieur ne s’attachera qu’à y voir le Beau.

Martha Hraoui tient à rester fidèle à sa conception de l’art, un plaisir pour l’oeil, et surtout ne pas essayer d’échapper à la dimension esthétique qui rend finalement la vie plus belle et plus douce. Ses couleurs et ses formes ne se rencontrent jamais fortuitement sur la toile, elles sont le fruit d’un choix inconscient qui en fait un tout harmonieux, qui comme sa propre définition de la chance - “la préparation qui rencontre l’opportunité”- est en fait une vision optimiste et active de l’art et de la vie.

Esquisse numéro 11, 2004