Articles

Art in the press

Jawad al-Assadi transporte l'esprit de Bagdad à Beyrouth

Le renommé metteur en scène irakien, Jawad al-Assadi, a décidé d'installer son théâtre, Babel, à Beyrouth. L'Agenda culturel l'a rencontré. Une interview pleine de passion et de crainte que la capitale libanaise, «la ville de la diversité culturelle», ne devienne un deuxième Bagdad.

jawad_assadi

Jawad al–Assadi, souriant, le cheveu long et blanc strié de fils gris argentés, arrive ce matin, entre deux rendez-vous, au café Costa à la rue Hamra. Un visage marqué, où se lisent, entre les rides, les traces d'un exil volontaire de plus de 30 ans, loin de son pays natal, de sa ville portée au plus profond de Badgad. Après des années de tournée aux quatre coins du monde, Jawad al-Assadi a installé sa maison culturelle et artistique à la rue Hamra. Dans quelques mois, en octobre précisément, il va inaugurer son nouvel espace théâtral, à la place du cinéma Marignan. Un projet qui est en préparation depuis environ 6 mois déjà.

Pourquoi Avoir choisi le Liban pour installer votre nouveau théâtre?

Ma relation au Liban est connue, j'y ai présenté plusieurs spectacles. Et j'ai ressenti des choses en commun avec les libanais, avec la culture et les intellectuels libanais. Sans oublier qu'à Beyrouth, le pallier de la liberté est beaucoup plus élevé que dans d'autres pays arabes. Il y a la possibilité de dire et de dévoiler. Et puis je ressens qu'à Beyrouth, il y a un goût et une approche particuliers du théâtre, un contact qui s'établit, un écho et un reflet chez le public libanais, par rapport à ce que je présente sur scène. Ca existe aussi dans d'autres pays, mais Beyrouth a des conditions particulières, notamment le fait qu'elle a joué et joue toujours le rôle de la ville culturelle qui accueilli plusieurs des grands intellectuels arabes. C'est la ville de la diversité culturelle. Et c'est ce qui m'a donné le courage et la force de présenter mon projet. C'est vrai, certains me blâment d'avoir choisi Beyrouth maintenant, alors que le Liban se débat dans une situation très critique qui pourrait mener à une guerre, à un conflit communautaire, à une stagnation politique… Mais j'ai prix le choix définitif d'être dans cette ville et de vivre avec les libanais tout ce qu'ils vivent. Ce qui leur arrive m'arrive aussi. J'ai accepté le partage et le partenariat; être ici dans toutes les situations. Et puis c'est une chance pour moi, à un niveau esthétique, d'avoir cet espace. De créer mes spectacles à ma manière, au calme, et dans les modalités que je m'impose. Et ça, c'est nouveau pour moi. En général je me déplace dans les villes et on m'impose des conditions. Ici je vais mener une vie normale avec le théâtre. Les spectacles que je présenterai seront sûrement différents de ce que j'ai présenté avant.

De quelle manière?

Ils seront crées à feu doux et ne seront pas limités dans un délai précis. J'aurai l'occasion de travailler ouvertement et librement avec les acteurs. Je ne serai plus prisonnier d'un espace–temps limité, de choix esthétiques, au niveau de la scénographie, de l'éclairage. Je suis fatigué de créer dans le cadre des festivals ou d'associations. Je n'ai jamais senti une liberté dans mes choix, à part le texte bien entendu. Ici j'ai la chance d'avoir cet espace de liberté, une liberté de recueillement esthétique et intellectuel. Mais en tout cas, l'espace ne sera pas réservé exclusivement à la présentation de mes spectacles. Mais il accueillera des intellectuels libanais et arabes, la jeunesse libanaise, des ateliers d'acteurs, de théâtre, de danse, de musique… Je veux que ce soit aussi un espace ouvert à toutes les cultures du monde, à ce qu'elles ont de plus pétillant et de plus beau et qui pourra trouver sa place ici.
Et sans transition, comme emporté par un flot de projet en gestation, Jawad al-Assadi ajoute.
D'autant plus que Babel est situé à la rue Hamra, il est très important de faire revivre la vie et la culture dans cette rue. Et puis coïncidence heureuse, à quelques pas il y a le théâtre al–Madina. Ils pourront jouer un rôle de complémentarité. En tout cas, j'ai eu l'occasion de discuter avec Nidal Achkar pour organiser des projets en commun. Et j'espère qu'il y aura aussi d'autres théâtres qui vont ouvrir à la rue Hamra.

Comment est-ce que votre projet a été accueilli?

Jusqu'à présent, je n'ai eu que des échos positifs. Pour moi, l'important est que cette ville soit ouverte à toutes les cultures. A Babel, je veux surtout introduire la culture irakienne. Mais pas de manière chauviniste ou par la force. Je veux présenter la vraie beauté de la culture irakienne, pour qu'elle communique avec la culture libanaise. Et j'aimerai aussi que le contraire soit vrai, pour établir un pont avec L'Irak. D'ailleurs justement, plusieurs personnes m'ont demandé pourquoi ne pas avoir mon théâtre en Irak. Je réponds très simplement que L'Irak vit actuellement une chute horrible dans sa relation avec la culture. Le confit et le fanatisme qui déchire Bagdad, qui est pour moi la ville du rêve, détruit tout germe de vie culturelle. J'espère que ça va changer un jour, et j'espère aussi, de tout cœur, que les libanais ne vont pas tomber dans ce piège des dissensions communautaires, confessionnelles et politiques, pour que Beyrouth ne devienne pas comme Badgad.

Alors l'idée derrière ce théâtre c'est de faire vivre l'esprit de l'Irak au Liban, en attendant?

Oui, c'est exactement ce que je pense. L'esprit, le souffle du vrai Irak. J'ai plusieurs projets en ce sens, j'essaie par exemple de voir comment je peux amener le renommé poète irakien Bader Shaker al-Sayyab, à travers le théâtre, la poésie… Pour que les gens sentent que L'Irak ce n'est pas la culture de la violence, du fanatisme et de l'aveuglement meurtrier. Mais qu'il y a une grande culture. Et c'est ça aussi l'idée du nom de Babel l'Irak est un pays historique, pétri de très belles choses. Et j'essaie de transposer cet esprit, qui ne peut pas actuellement survivre en Irak, pour le faire vivre à Beyrouth. C'est ce qui me donne de la force.

Nayla Rached - Agenda Culturel no. 301 du 13 au 26 Juin 2007