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Filières artistiques: espoirs et désillusions

Certains ont à peine 20 ans et déjà beaucoup de désillusions. Comme si la conjoncture économique et politique du pays ne suffisait pas, rares de nos jeunes futurs artistes pensent avoir un avenir dans le pays. Pourtant il ’accrochent, étudient durs, parfois de longues années parce qu’ils ne veulent pas baisser les bras. Passionnés certainement, mais plus que cela, c’est l’adjectif courageux qui convient le mieux, aujourd’hui, aux étudiants des filières artistiques.

Il y a ceux qui y croient dur comme fer et tous les autres. Les premiers se qualifient d’optimistes, les autres de réalistes. C’est là où est tout le problème… la réalité des filières artistiques au Liban n’est pas bien rose, paroles d’étudiants. Ils sont jeunes, ambitieux, pleins d’énergie créatrice mais déjà submergés de désillusions avant même d’avoir mis les pieds dans le marché du travail.

Triste résignation
Entre deux cours d’arabe qu’elle donne pour gagner un peu sa vie, Christelle s’enflamme. Elle se demande où est passée le goût pour l’art dans ce pays. Etudiante en dernière année d’Arts scéniques de l’Institut des beaux arts de l’Université Libanaise, elle s’apprête à partir en Belgique, pour deux ans, étudier le mime corporel dans une des meilleures écoles en la matière. Comme elle le dit, elle n’a pas le choix. C’est ça, ou finir sa vie à être scripte, accessoiriste, pire, porter la perche son sur les plateaux tété. Voilà, selon elle, ce que sont destinés à faire les élèves fraîchement sortis de l’Université libanaise quand ils ne partent pas en France pour effectuer un doctorat, inutile une fois revenus au Liban. «Pour gagner sa vie, on n’a pas le choix. Direction les boites de production, c’est ça qui marche au liban. Mais si on sort de l’UL on devient rarement réalisateur ou producteur, c’est plutôt la perche qui nous attend, parfois, un peu mieux, on peut être casting director ou location manager». Selon elle, malgré une bonne formation dans sa globalité, l’Université Libanaise n’a pas assez de moyens, des professeurs trop vieux et pas forcement au courant des nouvelles techniques et un programme vieux de 50 ans… Christelle a vu beaucoup de ses amis résigner à abandonner leurs rêves pour travailler dans des boites de production. Mais si elles assurent de l’argent facile, ce n’est quand même pas assez pour vivre correctement. «On étudie le théâtre pendant de longues années et on se retrouve moins bien payé que les mannequins!». Heureusement, le syndicat des acteurs connaît aujourd’hui une nouvelle naissance et essaye de régulariser les salaires dans le pays.

D’autres de ses amis ont eu la chance de pouvoir enseigner dans les écoles, mais ces matières artistiques ont été jugées superflues. Il n’y a donc plus de poste dans ces domaines.

Arts au placard
Mireille Rachmany termine cette année ses études à l’Ecole des arts plastiques de l’ALBA (Académie libanaise des beaux-arts).
Même si L’ALBA forme des plasticiens qui maîtrisent toutes les techniques, Mireille a choisi la céramique comme première option, suivie de l’animation. Elle n’hésite pas à avouer que la céramique ne la mènera nulle part professionnellement parlant, c’est juste un hobby qu’elle ne voulait pas perdre en rentrant à l’université. Par contre, l’animation peut lui procurer du travail, surtout dans la publicité et à la télévision. Selon Mireille, les arts traditionnels, comme la peinture, n’ont plus d’avenir. «Il faut que les étudiants qui entreprennent des études d’art maintenant, se dirigent vers les médias numériques, c’est l’avenir. Bien sûr, il faut avoir une culture générale artistique pour pouvoir maîtriser ces nouvelles technologies, je pense toute- fois que l’ALBA donne encore trop d’importance aux arts traditionnels».

Une de ses collègues à L’ALBA a pourtant choisi peinture comme première option. Mai dans ce cas aussi, c’est juste une histoire de hobby. Michèle Freiha, également en dernière année, a opté pour la peinture car c’est un média dans lequel elle se retrouve personnellement. Elle sait pourtant qu’elle ne pourra pas vivre de son art. Comme Mireille, elle suit des cours d’animation, mais avec une différence, pour elle, il s’agit juste d’un défi. Elle compte donc suivre d’autres formations, à l’étranger si possible. Michèle veut tenter sa chance au Canada et y étudier les effets spéciaux et maquillage de cinéma, une autre passion.

Les arts au Liban seraient donc destinés à être mis au placard? Cette réalité rejoint en effet le constat malheureux de Christelle pour qui l’art, le vrai, se perd. «Il n’y a pas de patrimoine culturel au Liban. Les jeunes s’en contrefichent, ils pensent être la genèse et ils oublient leurs aînés. Mais sans un bagage culturel, où va-on? Il y a très peu d’aides dignes de ce nom. On compte sur les doigts de la main des gens comme Roger Assaf qui a ouvert un théâtre pour les jeunes, le théâtre Tournesol; ou bien le théâtre Monot et les gens qui organisent des festivals. Christelle est triste de voir des actrices merveilleuses comme Alia Nemreh, morte dans l’oubli et le désoeuvrement. «Comment se fait-il que les sponsors me traitent dédaigneusement d’artiste du tiers monde? Comment se fait-il que notre beau centre ville tout neuf n’ait pas une bibliothèque, pas un cinéma, pas un théâtre? Où est le théâtre de rue dans ce pays?»

Vive la télévision?
Devant son café, Christelle s’énerve. Selon elle, tous les étudiants qui entrent à l’Université Libanaise n’ont qu’un but: la télé réalité. «A quoi ça sert d’étudier la mise en scène, l’actorat, le mime, la danse, le cinéma, la scénographie, la dramaturgie… pour vouloir faire n’importe quoi ensuite?» Elle pense qu’il y a aussi trop d’acteurs qui sortent des écoles chaque année et aucune politique d’emploi. «On a besoin d’un ministère de la Culture qui fonctionne et d’un ministère du tourisme compétent.»

Marwan Mroueh, en dernière année d’audiovisuel à LAU (lebanese American University) et sur le montage d’un court métrage qu’il veut envoyer dans les festivals, est du même avis, au Liban il n’y a pas assez de créativité. Les programmes de télévision sont pitoyables selon lui. « Je veux faire du cinéma, du vrai, pas des films égyptiens ou des productions télé libanaises de mauvaise qualité. Je sais que c’est difficile de gagner sa vie avec un film mais je ne veux pas faire de la merde» Marwan est déterminé. Il part à Paris l’année prochaine pour faire un stage et pour intégrer ensuite une grande école de cinéma. Pas question ensuite pour lui de rentrer au pays.

Au contraire, Joe Azzi veut rester au Liban si des opportunités se présentent, sinon il tentera les pays arabes. En première année d’audiovisuel à l’USEK Université Saint Esprit de Kaslik, Joe pense qu’il y a plus de travail dans la télévision. Il veut d’ailleurs devenir producteur ou scénariste pour le petit écran. «Les télévisions libanaise sont géniales, et connues dans le monde arabe». Mais dans un petit pays comme le Liban, il ne nie pas qu’il y ait de nombreuses difficultés à surmonter. «Pour trouver facilement du travail à la télé, il faut non seulement être pistonné mais aussi avoir du talent et savoir gérer la compétition. La chance compte aussi, fifty fifty».

Rester optimiste ou partir
Les désillusions l’emportent peut-être au pays du cèdre, mais il suffit d’entendre une personne optimiste pour se dire que tout n’est pas perdu. Samaya Noujaim, 21 ans, pianiste virtuose, prépare son master de musicologie à L’USEK. Après, elle veut se lancer dans un doctorat pour pouvoir enseigner à l’Université. La musique est toute sa vie. Loin d’avoir peur en l’avenir dans son pays, elle pense pouvoir s’en sortir en étant pianiste interprète dans des quatuors, ou dans des ensembles, quitte à jouer dans des hôtels! «Je ne fais pas de soucis pour les débouchés au Liban, c’est dur je sais, mais je suis optimiste de nature. Ne jamais baisser les bras, c’est ma devise. J’aimerais aussi faire de la musique de film, même si ce n’est pas un secteur très développé au liban.» Samaya a pensé à la télévision mais elle pense que ce média ne met pas assez les musiciens en valeur. Pour y arriver, Samaya n’est pas contre prendre une master class à l’étranger, mais elle est catégorique, elle restera dans son pays.

Marwan et Michèle sont eux bien décidés à quitter le pays. Marwan ne croit pas du tout en l’avenir au Liban, ni à son épanouissement dans ce qu’il aime vraiment. Pour Michèle, c’est plus une question de défi personnel et d’enrichissement, elle reviendra peut-être, ou partira encore plus loin, la vie le lui dira. Une chose est sûre, ces deux- là ne comptent pas sur les pays arabes, trop éloignés de l’Art comme ils l’entendent.

Christelle veut aussi partir mais pour revenir, avec dans ses bagages un bout d’elle qui fera évoluer son pays, du moins elle l’espère. «La prochaine fois qu’on se verra et qu’on reparlera de tout ça, j’espère que les choses auront changé. J’espère aussi que je pourrai travailler dans mon domaine et plus tard, être reconnue comme artiste, fière d’être une artiste du tiers monde, ça c’est pour les sponsors!»

La conclusion de tout ça? Une jolie phrase de Samaya, la pianiste: «Je crois que si l’art ne fait pas vivre, en tout cas, vivre est tout un art… méditez cela.» On n’y manquera pas.

Emilie Thomas