L’art dans les camps de réfugiés, un projet en pratique
(Agenda Culturel, no 313 du 26 Décembre 2007 au 8 Janvier 2008) Nayla Rached
L’environnement n’est pas une fatalité. La vision de la vie façonne la destinée, une vision qui peut changer dès que l’art s’y faufile. La seule expression qui permet de voir les choses différemment. Les programmes Lahza et Start insufflent cette bouffée d’espoir à des enfants libanais et palestiniens. Un seul souhait au final : leur donner l’occasion de prendre leur vie en main.
L’art s’ancre dans les milieux défavorisés du liban. L’art décliné en ses diverses formes, l’art désormais à portée de main, l’art mené par des équipes d’experts et d’artistes. Zakira-Image Festival Association et Al-Madad, Lazha et Start: deux ONG, deux programmes différents, deux procédés qui divergent, mais qui, au final, se recoupent : créer des ponts autour d’un même cœur battant, l’art.
L’art qui naît de rien, ou de si peu. Il peut surgir simplement à travers l’objectif d’appareils photos jetables donnes à 500 enfants palestiniens de 7 à 12 ans. C’est le défi de Zakira, association libanaise qui s’occupe de la promotion de la photo au Liban, et regroupant notamment, des photoreporters professionnels. Son premier projet Lahza, est centré sur les camps de réfugiés palestiniens dans toutes les régions du pays. Sans Tawileh, responsable de la communication, explique qu’il s’agit «de capturer un instant (lazha) dans la vie de ses enfants. D’autant plus que ces enfants nés et vivant dans les camps se présentent comme venant de Ramallah, ou de Gaza. Les photos sont la mémoire de leur vie dans les camps, à l’instar des photos et des contres parentaux de leur terre d’origine».
Une terre d’origine ou une terre refuge, Start cherche notamment à créer des ponts « entre les enfants palestiniens et les enfants libanais, entre le quotidien et le passé, entre les enfants et les artistes locaux, pour créer de l’art dans une même ville », selon Caroline Bradley, la responsable de la communication de ce programme fondé par Al-Madad et Art Dubaï. L’idée de Start est de «développer un programme dans chaque pays de la région où l’art se développe.» Après Dubaï, c’est au tour du Liban: 70 enfants de 11 à 14 ans, palestiniens du camp de Chatila et libanais issus de milieux défavorisés, auront l’occasion, de Décembre à Mars, d’établir un contact avec une vingtaine d’artistes de domaines divers : des acteurs, des architectes, des marionnettistes, des photographes….
Des artistes qui ont suivi, en Octobre, un workshop pour apprendre les meilleurs moyens de communiquer avec ces enfants. Selon Oliver Sunner, responsable de ce workshop, « ce programme a une double valeur: il permet aux enfants de s’exprimer et aux artistes d’aller au-delà de leurs limites dans le domaine de leur expérience.
Il s’agit d’un enrichissement mutuel.
Un avis que partage sana Tawileh.
Elle évoque la fascination des enfants palestiniens «comme si la photo et l’appareil photo était interdits à l’intérieur des camps ou indiscrets. D’ailleurs ce qui est intéressant, c’est que, à cet age-là, les enfants se faufilent partout, ils voient la vie différemment ».
Et la vie change
Leur quotidien s’imprime sur les clichés, un quotidien qui diffère d’un camp à l’autre, d’un environnement gris et grave à Beyrouth, dans les petites ruelles du camp de Chatila ou de Borj Barajneh, à une ambiance plus ensoleillée dans le camp de Rachidyeh, à Tyr. Des détails qui constituent autant de sources d’inspiration, autant de sujets créatifs. A la base, quelques rudiments de photographie que les membres de Zakira ont transmis à ces enfants dans toutes sortes de conditions: « soit dans des locaux prêtés par l’Union générale des femmes palestiniennes et par le Croissant Rouge palestinien, soit dans des tentes, à même le sol, ou dans les étroites ruelles des camps ». L’essentiel est de leur apprendre à développer l’oeil photographique à saisir la lumière, à capturer l’ombre, à voir le détail qui fait la différence...
Lors de la tournée de son équipe au Musée national où d’ailleurs s’effectue une partie du travail, Sonia Brewn, directeur de Start, lance une proposition qui suggère que l’art peut même naître d’une absence. Pour cette peintre de formation, la tête tronquée d’une des statues phéniciennes pourrait constituer une source d’inspiration pour les enfants afin qu’ils essaient d’imaginer cet élément manquant, soit en le dessinant, soit en le fabriquant avec les éléments de bord. là aussi, l’essentiel est de leur « apprendre à intégrer leur environnement, de leur donner la chance de s’exprimer, d’être entendus, pris au sérieux, de regarder les choses de manière créative, de se sentir fiers, de dépasser les frontières invisibles ». Caroline Bradley ajoute qu’il s’agit également « d’établir un lien entre le quotidien et le passé, pour faire évoluer l’avenir. C’est une sorte de thérapie par l’art.»
Un des artistes enrôlé dans le programme de Start se rappelle de sa visite, avec une ONG, au Musée national, il y a 9 ans.
«Une expérience qui a change ma vie, ajoute Ahmad Alaydi. Actuellement, j’ai la responsabilité d’aider les enfants comme j’ai été aidé pour effectuer mes études d’architecture».
Start vendra aux enchères les œuvres des enfants qui le souhaitent et celles d’artistes donateurs dans le cadre d’Art Dubaï, et les bénéfices serviront à financer de nouveaux projets. Quant à Zakira, ses photos seront regroupées dans un ouvrage dont le profit alimentera le programme Lazha. D’ailleurs, Zakira essaie de voir plus loin, en cherchant à fonder une école de photographie, une nouvelle plateforme artistique qui permettra de former certains de ces enfants palestiniens de manière à ce qu’ils transmettent au monde leur propre image authentique des camps.
Pour les principaux co-fondateurs de Zakira, la photographe Elsie Haddad et le photoreporter Ramzi Haidar qui a travaillé en Irak et dans les camps palestiniens, le projet est né d’un « désir de sauver ces enfants ». Une réussite certaine : l’exemple de Mohammad, un enfant palestinien qui a perdu ses deux jambes à causes d’une bombe à sous-munitions « et qui refusait de sortir de la maison. Progressivement les clichés se sont succédés et Mohammad souriait. Actuellement, une ONG allemande s’est chargée de sa réhabilitation médicale: il aura bientôt des prothèses.
L’art se présente désormais comme la principale plateforme de l’expression et de l’échange. Une vérité qui s’impose progressivement dans une région en pleine mutation et en pleine effervescence.
Quand l’enfance s’exprime, l’art se métamorphose…
Quand l’art s’exprime, la vie revêt une autre couleur.
Nayla Rached
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Louay Abdel Hadi, 12 ans
Bourj Barajneh, Camp de Beyrouth, Août 2007
Bourj Barajneh, Camp de Beyrouth, Août 2007
Layal Mohamed Abiad, 9 ans, Camp de Chatila, Beyrouth, Mai 2007
Zakira: La démarche suivie par Zakira est la suivante : les enfants doivent mettre en images leurs idées. A la suite de cette étape, quelques enfants sont sélectionnés en fonction de la pertinence de leur dessin, de leur degré de curiosité, de leur éveil etc. Un appareil photo jetable leur est ensuite attribué. Apres une explication sur les techniques d’utilisation de l’appareil, ils sont encouragés, pendant une semaine, à prendre des photos de la situation quotidienne des habitants de leur camp.
Start: Start est un programme humanitaire crée en Mars 2007 par la fondation Al-Madad et Art Dubaï pour sensibiliser à l’art les enfants des milieux défavorisés des pays du Moyen-Orient.
La méthode de Start vise à former des artistes volontaires, afin qu’ils puissent, à leur tour, initier ces enfants, âgés de 11 à 14 ans, aux différentes approches artistiques.
A ce jour, les ateliers ont été lancés au Liban, le dernier s’est tenu en Octobre 2007 avec le soutien du British Council.
Ces ateliers sont également programmés en Palestine, en Egypte et à Dubaï.