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Erotika, une exposition à l'assaut des tabous du monde arabe

Fétichisme, homosexualité, onanisme: l'exposition Erotika de deux jeunes peintres libanaises veut briser les tabous d'une société arabe inhibée et dominée par l'hypocrisie en matière sexuelle.

Nayla Karam et Maria Sarkis, deux artistes avant-gardistes, exposent dans une galerie d'art dans la banlieue chrétienne de Beyrouth des toiles à la Andy Warhol, où art et sexualité sont entremêlés.

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Dans Auto-érotisme, une femme sans tête se donne du plaisir, dans une habile et transparente composition de couleurs mêlant, avec sensualité, le vert et le rose.

The Mirror, deux visages qui se font face et deux seins juxtaposés évoquent l'homosexualité féminine. Les couleurs sont vives et les lignes douces.

«L'érotisme est un thème sur lequel je travaille depuis un an. Le moralement correct est une question relative et tributaire des époques», explique Maria Sarkis, la vingtaine, diplômée de la faculté des beaux-arts de l'Université libanaise.

«Au XIXe siècle, Gustave Courbet avait été refusé à l'exposition universelle de 1855. Aujourd'hui, il est considéré comme l'un des grand maître de l'école réaliste», ajoute-t-elle. Avec son oeuvre emblématique l'origine du monde, représentant un sexe féminin, Courbet avait contribué à libérer le nu de la morale conventionnelle.

Submission (soumission) présente un visage de femme affublé d'un harnais, la bouche bâillonnée. Dans Sadomasochisme, un corps-tronc, striés de lignes de couleurs est ligoté. Fetichism 1 propose une jambe habillé d'un bas grésille, et Fetichism 2 un dos à moitié recouvert d'un tissu rose en latex.

«Nos oeuvres ne sont pas de la pornographie, c'est de l'art dans l'air du temps. La sexualité et les fantasmes sont une réalité quotidienne. Pourquoi les occulter», lance Maria.

Les oeuvres de Nayla Karam, 27 ans, sont plus symboliques. «Cela fait cinq ans que je suis inspirée par l'érotisme. Avec le temps, j'ai peaufiné mon oeuvre qui est devenue plus figurative», dit-elle.

Dans Drained, une femme nue, les jambes remontées sur sa poitrine repose sa tête sur ses genoux après l'amour. Dans Second Journey (deuxième voyage), un corps de femme qui se dédouble symbolise la multiplication des orgasmes. Camouflage illustre les diverses facettes de la séduction féminine.

«Nous ne cherchons pas à choquer. Nous donnons libre cours à notre inspiration et un de mes plus grands plaisirs est de constater que les interprétations du public diffèrent, selon les fantasmes», ajoute Nayla.

Chez les jeunes, les réactions sont enthousiastes. Pour Dana Dennaoui, 22 ans, étudiante à l'Université arabe, située dans la partie à majorité musulmane de Beyrouth, ces oeuvres sont belles, dénuées de toute vulgarité.

«Il n'y a aucun mal à représenter les différentes formes d'expression sexuelle. Tout peut être beau, sauf la violence», affirme-t-elle.

Léon Khanamirian, 25 ans, cadre bancaire, partage cet enthousiasme. «En Orient, il est permis aux hommes d'exprimer vulgairement leurs fantasmes sexuels, et lorsque des artistes peignent la sexualité, on crie au scandale», affirme-t-il.

Hassan Mekdad, 52 ans, n'est pas du même avis. «De telles oeuvres choquent la pudeur. Ses auteurs auraient été lynchés s'ils vivaient dans un milieu islamique», estime-t-il.

Abdallad Dadour, propriétaire de la galerie Surface, qui abrite l'exposition, se dit fier de ses jeunes qui s'expriment sans complexes, et insiste, signe des temps, sur le fait qu'il n'a pas été inquiété par la censure.

«Une fois de plus, les Libanais sont à l'avant-garde des libertés de moeurs dans le monde arabe», affirme-t-il.

Salim Yassine, Agence France-Presse, Beyrouth