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Publicité, Provoquer pour exister? par Nisrine Salhab

Depuis quelques années, la provocation est utilisée comme stratégie publicitaire par les agences de publicité dans le monde, y compris Libanaises. Même si le but de la provocation peut être louable, la plupart du temps il ne répond qu’au besoin croissant de distinguer des produits similaires dans un marché saturé et de plus en plus concurrentiel.

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La publicité se distingue habituellement par sa créativité et son côté innovant. Pour échapper au danger mortel de passer inaperçue et aussi éviter la monotonie, elle a recours à l’humour, au sexe, au besoin de sécurité, au désir et, de plus en plus souvent, à la provocation. Comme le precise Naji Boulos, “ la finalité de la publicité provocante est de sortir du lot et de la pression publicitaire qui s’exerce sur le consommateur, celui-ci recevant plusieurs milliers de messages publicitaires dont il ne garde que 5% environ. Provoquer, c’est aussi créer un nouveau positionnement.” Et de donner l’exemple d’une boisson alcoolisée bien connue, à la provocation soft, qui s’est positionnée sur le créneau de l’individu malin qui s’en sort toujours, tel cet employé qui danse toute la nuit pour se coucher directement le jour venu sur le clavier de son ordinateur, au grand bonheur de son patron. La provocation vise les émotions. Elle se fonde sur l’ambiguïté, les distinctions et les tabous de la société, tells que la religion, la nudité - sujets particulièrement sensible dans notre région -, le racisme ou le sexe. Le porno chic a connu une grande fortune ces cinq dernières années, l’imagerie la plus répandue étant la soumission de la femme et sa réduction à l’état d’objet sexuel. Cette stratégie vise délibérément à créer une controverse autour du message, controverse censée favoriser le produit, mais surtout faire connaitre et mémoriser la marque, la placer, selon le jargon, “on top of mind”. “ La publicité intéressante est celle qui fait parler d’elle, qui divise, qui crée un débat au sein de la société “, analyse Béchara Mouzannar. Le produit n’est d’ailleurs pas nécessairement représenté sur l’affiche ou le film publicitaire – avec le risque couru à long terme que les consommateurs oublient le produit vendu par la marque -, ce qui a amené certains à définir la publicité choquante (le “shockvertising”) d’après trois critères, “ l’utilisation de thèmes sensibles, le but d’accroître la notoriété et l’absence de lien objectifs entre la publicité et le produit”. Benetton, avec Oliviero Toscani, surnommé « le pape de la provocation », a lancé le mouvement dans les années 1980, affichant des images qui n’ont rien à voir avec les vêtements, la marque étant seule rappelée. Cette stratégie, nouvelle à l’époque, a reçu le nom de “publicité morale”. Il ne s’agissait pas de provoquer pour provoquer, mais de faire passer des messages de paix, de tolérance, etc. Successivement, le racisme, la religion, la mort, la maladie et la guerre ont été abordés et certaines de ces campagnes interdites dans quelques pays, en raison des tabous qu’elles mettent au jour et des controverses parfois violentes qu’elles provoquent. L’une d’elles cependant, montrant des sexes masculins et féminins, déclenchera en France une réaction fulgurante, très fine et pleine d’humour de la part d’Eminence fabricant de sous-vêtements masculin: à la nudité ainsi exposée répond le slogan de cette marque: “Nous les aimons habillés”! Mais, pour pouvoir se permettre une telle stratégie provocatrice, il faut que la notoriété de la marque soit bien établie et qu’elle dispose d’une image ou d’un capital sympathie importants. Ceci pose le problème de la perception de la provocation par le public. Non pas qu’une mauvaise perception par le public puisse retomber sur le produit, des études ayant montré que de tells impacts négatifs se présentaient très rarement. Il s’agit davantage de la manière dont la provocation est perçue, et des thèmes qui peuvent se révéler provocateurs, car il est clair que selon le degré d’éveil de la société, certains thèmes, à part ceux primaires de la religion, du sexe, de la race, etc., seront jugés provocateurs. Citons, par exemple, en France, la publicité pour la charcuterie Herta où un végétarien craque pour une tranche de jambon, très mal perçue par les végétariens qui l’ont donc jugée choquante. Pour en revenir à Benetton, une de ses dernières campagnes utilisait comme modèle des trisomiques, ce qui a choqué de nombreuses personnes. “A quoi Oliviero Toscani répond qu’in n’a fait qu’élever les handicaps au rang des personnes non handicapés”, rappelle Naji Boulos. La provocation n’est cependant pas toujours choquante, elle peut également être sympathique, comme cette affiche vantant un restaurant corse à Paris, où les convives sont encagoulés. Elle n’est pas non plus toujours voulue: par exemple, au Liban, la publicité pour un matelas mettant en scène une personne qui, voulant se suicider , se jette d’un immeuble pour tomber sur ledit matelas, diffusée, en période de guerre où la mort est déjà partout, a été très mal perçue. Si le support de la provocation est presque toujours pictural, le texte peut également être utilisé. Le fameux “ Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passé à la casserole”, qui a scandalisé en France, en témoigne. Au Liban, le film publicitaire pour un café, où on entend un homme aspirer bruyamment son café en expliquant qu’ “il mourrait pour un café”, alors qu’il présente ses condoléances, a eu autant d’admirateurs que d’adversaires.

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En publicité, les limites de la provocation sont sans cesse assouplies. Le problème c’est que la celle-ci affecte tous ceux qui la voient, et non seulement le groupe ciblé. Jusqu’où les publicitaires peuvent- ils aller? Au Liban, en l’absence d’un organe régulateur créé par les agences publicitaires, à l’instar du Bureau de Vérification de la Publicité (B.V.P.) français, ce sont les autorités religieuses qui, à tort ou à raison, tentent de mettre de temps en temps le holà aux dérives ou excès commis par certaines agences. Leur mainmise a conduit à un moment à l’interdiction des publicités Panzani car le personnage principal est un curé, ainsi que celle de Linea Verde car on y voit un prêtre (confessant une femme). Il y a dix ans environ, c’est la publicité pour les préservatifs dans le cadre de la campagne de lutte contre le sida qui avait provoqué leur colère et celle d’une partie de la population: certaines affiches avaient déchirées, d’autres recouvertes d’encre. Les récents remous de l’été 2004 ont amené à instaurer un contrôle préalable des affiches et des films publicitaires par la Sûreté générale: en cause, un slogan mentionnant le nom de Dieu à côté d’une chaussure, des photos de femmes en lingerie ou maillot dans des positions peu conventionnelles et le noeud d’un maillot en voie d’être défait (dans une publicité pour une plage!).

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La frontière est floue entre la provocation, l’atteinte à la personne humaine et à la liberté de création et d’expression. La réponse à la question de savoir jusqu’ou les publicitaires de thèmes sensible ou de tabous dépend de la société dans laquelle elle est diffusée, mais aussi des règles d’éthiques, de l’autodiscipline et des législations éventuelles qui régissent la communication des entreprises et des bureaux de publicité. Comme le précise Béchara Mouzannar, “Notre métier n’est pas de provoquer. Mais si nous avons trouvé une tangente intéressante pour parler d’un problème de société, alors oui. Aujourd’hui, en tant qu’hommes et femmes de communication, nous avons la responsabilité de secouer les fondements un peu clichés de la société dans laquelle nous vivons. Je n’appellerai pas cela de la provocation mais de la transparence”. La publicité, nouvelle source de normes sociales?

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Esquisse Art et Culture numéro 11, 2004