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Art in the press

Pour un effort national de préservation de l’art

L’Université américaine de Beyrouth (AUB) a annoncé qu’elle a reçu une donation de plus de 60 tableaux, la plupart datant du début du XXe siècle. Présente dans une résidence privée libanaise pendant plus de 80 ans, la collection n’a jamais été exposée au public. Elle comporte une trentaine de tableaux du célèbre artiste Khalil Saleeby (1870-1928), ainsi que des oeuvres d'autres grands peintres libanais comme Saliba Douaihy (1915-1994), César Gemayel (1898-1958), et Omar Onsi (1901-1969).

Pour en savoir plus sur cette donation, l’Agenda Culturel s’est adressé à Saleh Barakat, bien connu de nos lecteurs. Évidemment, Saleh est l’un des instigateurs de cette opération, qu’il suit depuis des années. Il nous en donne les détails, mais la place aussi dans un contexte plus large, celui du rôle des institutions universitaires dans la sauvegarde de la mémoire. Voici ses commentaires et réflexions.

Étant un ancien de l’AUB, j’ai toujours eu à cœur que mon ancienne université s’engage de plus en plus dans le domaine de l’art. Car l’art a besoin d’un environnement académique : il ne s’agit pas seulement d’organiser des expositions, ni même d’éditer des catalogues, mais d’avoir des unités de recherches, d’offrir des bourses d’études, de créer des chaires spécialisées, d’édifier des musées…

La donation Saleeby, avec le programme que l’AUB s’est engagée à réaliser autour d’elle, est le prototype d’action que des institutions universitaires peuvent entreprendre. Le Dr Samir Saleeby savait qu’en faisant cette donation, non seulement il plaçait sa collection d’une manière pérenne dans une institution qui saurait en prendre soin, mais il déclenchait aussi un processus de recherche qui irait au-delà de la collection.

Prendre soin de la collection fut le premier souci de l’AUB qui a fait appel à Lucia Scalisi, l’une des meilleures spécialistes, non seulement de la restauration des tableaux, mais aussi de la conservation de leur authenticité. En effet, Lucia a pu rapidement convaincre qu’il n’était pas besoin de restaurer les toiles en les mettant au goût du jour avec un vernis dont le peintre s’était abstenu de faire usage, mais qu’il fallait garder intacte la volonté de celui-ci.

Une collection dans un cadre universitaire n’a pas besoin d’épater les visiteurs mais elle se doit de leur montrer la volonté et les techniques du peintre. Le local provisoire à la rue Sidani est déjà le laboratoire où s’effectue cette préservation ; il accueillera dès juin de cette année les toiles sorties des mains de Lucia Scalisi tout en continuant à servir de laboratoire de recherche.

La collection Saleeby, avec les autres œuvres qu’elle comporte, est inestimable, quant à sa valeur non pas financière, mais plutôt historique. Il est temps de faire savoir que la peinture s’est développée au Liban il y a plus d’un siècle. Khalil Saleeby, qui a connu Pierre-Auguste Renoir et John Singer Sargent, est en effet l’un des pionniers de la peinture au Liban, avec David Corm et Habib Srour. Saleeby s’inscrit particulièrement dans la mouvance internationale de l’impressionnisme et l’introduit au Liban à travers sa peinture, lui et ses disciples, César Gemayel et Omar Onsi.

Cette histoire est à écrire, et qui mieux qu’une institution universitaire, ancrée à Beyrouth depuis 1866, peut inciter les chercheurs à le faire ? Le Liban est un pays en danger de perdre sa mémoire, il est temps qu’on en prenne conscience. Attention ! L’AUB n’est pas la seule institution universitaire, le Liban en compte beaucoup plus, et toutes sont appelées à suivre son exemple. Il n’est pas rare qu’une grande université de par le monde possède, non pas un, mais plusieurs musées d’art. Ils les ont créés non pas pour le prestige ni uniquement pour les visiteurs, mais essentiellement pour servir leurs étudiants et leurs chercheurs, les doter d’instruments de travail.
Le musée projeté par l’AUB n’est qu’une pierre dans un grand édifice à construire. Nous sommes tous appelés à y participer, à commencer par l’État qui a un rôle incontournable. Qui autre que l’État peut ériger des musées nationaux, conserver des archives nationales, former des orchestres nationaux, des bibliothèques nationales… Evidemment l’État c’est nous, citoyens du pays, mais aussi les entreprises, les émigrés, les amis du pays. Nous devons tous collaborer, selon nos moyens, pour que la donation Saleeby ne reste pas orpheline.

Saleh Barakat - Agenda culturel no 411, 2012