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Le monde merveilleux …et semé d’embûches de la littérature jeunesse «made in Lebanon»

Lorsqu’on pointe le bout de son nez dans le monde de la littérature jeunesse faite au Liban, on rencontre un univers féerique et passionné, des histoires à dormir dehors, des personnages à mourir de rire et des aventures bien mystérieuses. Pourtant, ce petit monde cache une réalité beaucoup plus difficile pour tous ceux qui s’activent derrière leur plume et leurs crayons, qu’ils soient auteurs, illustrateurs, éditeurs ou libraires.

Bienvenu dans le monde merveilleux du livre jeunesse «made in Lebanon». Accrochez vos ceintures, le voyage réserve quelques surprises… Il était une fois y a 5 ans dans un pays tout petit. A cette époque, le livre jeunesse créé au Liban était une bête plutôt curieuse. Voire un peu timide face aux ouvrages venus d’ailleurs, plein d’images et de nouveautés, en anglais, en français ou traduits dans un arabe, un tantinet approximatif. Ces livres «alien» racontaient de belles histoires, mais souvent très éloignées de la réalité libanaise. Une réalité que l’on écrit par rapport à son bagage culturel, par rapport à son vécu. Car lire, c’est un tout. On lit pour s’évader un peu, pour apprendre une langue, pour apprendre une culture, pour ouvrir ses horizons. Or au Liban, on a commencé à l’envers, en lisant en anglais et en français ces histoires d’ailleurs, on en a presque oublié notre propre culture arabe.

Le monstre…
Pourtant il y a 5 ans, la magie eut lieu. De jeunes éditeurs dynamiques, des libraires et des bibliothécaires ont réellement commencé à s’intéresser à la littérature jeunesse. Des auteurs ont affiné leurs plumes, des illustrateurs se sont armés de leurs plus belles couleurs pour combattre un monstre terrifiant: le manque de livres jeunesses libanais et plus spécialement, ceux en langue arabe.

Mais contre ce mal, hélas, le talent, qui ne manque absolument pas dans le pays, n’est pas suffisant. De nombreux problèmes touchent toute la chaîne du livre pour enfants. Tous s’accordent à dire que les plus graves sont le manque de professionnalisme et de culture éditoriale. Pas facile de débuter lorsqu’il n’y a même pas de formation surtout dans le domaine de l’édition. A cela s’ajoute un public restreint ce qui oblige la plupart du temps les éditeurs à se focaliser vers le scolaire et le parascolaire pour des raisons commerciales. Il faut bien vivre. Et qui en pâtit? La littérature plaisir, celle justement qui apprendra aux enfants le goût de la lecture. La créativité des auteurs n’est pas reconnue par un grand nombre d’éditeurs. Selon Hala Bizri, bibliothécaire et responsable de la revue Hamzet Wasl, publication trimestrielle sur les nouveautés dans le domaine de la littérature jeunesse, seuls 5 éditeurs valables au Liban n’ont pas uniquement un public scolaire.

Toutefois, travailler dans le scolaire est loin d’être un signe de non qualité, si l’on prend l’exemple de Samir Editeurs qui ont décidé de se consacrer à 100% au «made in Lebanon». Pour se distinguer de ce qui se fait sur le marché, il ont pris le parti de faire travailler une équipe libanaise sur des créations originales qui respectent tout un cahier des charges qu’ils se sont donnés. Et qui sont adaptées au public libanais et arabe. Selon Marwan Abdo-Hanna, responsable de Samir Editeurs, trop souvent au Liban, les éditeurs se contentent d’acheter les droits d’une série déjà existante à l’étranger. La production est rapide mais le produit n’est pas adapté à l’image du pays ou de la région. Toutefois, innover coûte cher. C’est pour cela que les livres les plus diffusés sont les mois chers. La recette pour Dar al-Ilm lil-Malayin , dont les éditions jeunesse sont présentes depuis beaucoup plus longtemps que les autres au liban, a été de garder une image de marque, un format type qui ne crée pas la surprise, mais que l’on reconnaît parmi tous les autres.

…et la magie…
Heureusement, les magiciens du livre jeunesse plaisir existent au Liban. Certains savent manier le livre en arabe comme une baguette magique. Parmi eux, la «famille Onboz» comme Nadine Touma, des éditions Dar Onboz qui viennent d’ouvrir, aime à appeler son beau projet. Cette famille d’auteurs, d’illustrateurs, de musiciens, d’artistes tous unis par une même passion, a pour objectif de venir à bout du monstre. C’est-à-dire de faire aimer la langue arabe tant aux tout-petits qu’aux plus grand, de permettre aux professeurs de développer de nouvelles méthodologies d’apprentissage, de faire des livres libanais, véritables œuvres d’art, qui voyagent à travers le monde arabe et toute la planète . Et plus loin que cela, faire de Dar Onboz une plateforme de dialogue autour de la culture et de arabe, de tisser des liens entre tous les acteurs de la chaîne du livre, de donner la possibilité aux futures auteurs et artistes de croire en leurs rêves et de les concrétiser dans leur pays. Parce qu’on a le droit de rêver, c’est une devise pour Nadine Touma.

Il est difficile d’écrire en arabe pour un public jeune. Pourtant, certains réussissent, comme Samah Idris qui a à son actif 6 albums pour les moins de 8 ans et 2 romans pour adolescents. Il a su moderniser un arabe classique qui reste impeccable dans sa structure et sa grammaire, pour le rendre attrayant. Le jeune public comme les parents, aime beaucoup cet arabe simple et chic, aux thèmes à la fois avant-gardistes et très proches du quotidien libanais. Sa collection «Histoires d’un enfant de Beyrouth» a été classée Meilleure ventre à la foire du livre arabe de Beyrouth en 2003 et 2004. C’est pour cela que les éditions Dar Al-Adab, avec qui il travaille, sont considérées par certains comme le Gallimard du liban. Les éditions Hadaeq ne sont pas en reste. Elles proposent de nombreux ouvrage ainsi que deux revues jeunesse en arabe. Les histoires sont tirées du quotidien, et de la culture libanaise, sans en oublier un seul aspect qu’il soit religieux, qu’il parle du rapport à la foi et des différentes communautés du pays. Avec cela, les livres, très bien faits, sont ludiques et libres. Une liberté qui se voit souvent tronquée dans la littérature jeunesse scolaire. Autre star du livre plaisir pour enfants, les éditions Assala, travaillent en étroite collaboration avec les autres et tiennent à garder le patrimoine arabe de la maison mère.

…des couleurs
Le travail des illustrateurs se rapproche de plus en plus à des œuvres d’art, et heureusement. Dans ses illustrations, Yasmine Taan, mélange les matériaux, utilise des couleurs osées et mêle transparence et textures, Elle essaie toujours d’ajouter un plus à ce que dit l’auteur et aime garder sa liberté d’expression. Pour elle, les illustrations doivent être comme des œuvres d’art. Lena Merhej aime elle aussi ajouter un niveau de lecture au texte avec l’illustration. Publié par Dar Onboz et illustré par Lena Merhej, «Ayna asabii» (Où sont mes doigts ?) mêle un jeu de couleurs et de formes visant à aiguiser l’imagination de l’enfant.

Au pays de la lecture…
Au pays de la lecture, les enfants devraient être rois. Pourtant au Liban, c’est encore l’école qui décide des livres qu’il faut lire. Alors si l’obligation remplace le désir, le livre meurt. Pour Michel Choueiri de la librairie Al-Borj, l’enfant doit pouvoir choisir tout seul son bouquin, il l’aimera d’autant plus et en redemandera. Et s’il ne l’aime pas, il saura pourquoi. Pour lui, les libraires doivent trouver une identité et ne pas copier ce que tout le monde fait. Leur objectif est de savoir conseiller et de bien connaître leurs clients surtout lorsqu’ils s’adressent aux enfants. Ils doivent aussi savoir ce qui va sortir. Ce métier ne s’improvise pas. Hélas au Liban, les pigeons voyageurs se perdent souvent en route.

Alors que les éditeurs français informent trois mois à l’avance la sortie des livres et font une bonne diffusion au niveau de la description de l’ouvrage, dans le pays les éditeurs se contentent souvent de distribuer. On ne connaît alors la parution d’un livre qu’un mois après et souvent par accident. Faire aimer la lecture, c’est aussi permettre aux enfants d’avoir accès aux livres. Une chose primordiale pour Nadine Touma qui souhaite dans le futur organiser des évènements de lecture les lieux publics et dans les bibliothèques.

…Les crapauds se transforment en princesses
Au pays de la lecture, les choses changent doucement mais sûrement. Des associations qui veulent donner aux enfants l’envie de lire apparaissent telles que Iqra ou Assabil, l’association des amis des bibliothèques publiques. Cette dernière élabore des projets avec des écoles publiques sur trois niveaux pour promouvoir la lecture plaisir. Pour les tout-petits, la bibliothécaire va à l’école avec des livres et lit des histoires en les théâtralisant. Elle laisse les enfants découvrir les livres. Les plus grands viennent à la bibliothèque. Ils ont donc une initiation à l’espace publique en découvrant les règles de la bibliothèque qu’ils apprennent à respecter comme dans la société. C’est une façon de faire passer le message de la citoyenneté. Les livres proposés par les bibliothèques publiques viennent de partout, mais Nawal Trabloulsi, vice-présidente de l’association, essaye au possible de promouvoir les auteurs libanais. Les éditeurs n’hésitent pas à offrir les livres, mais Assabil préfère avoir l’argent nécessaire pour les acheter afin de faire vivre la chaîne du livre. Il y a peu d’aide de l’Etat, les municipalités donnent des locaux pour les bibliothèques, mais l’idéal serait aussi d’avoir un peu de mécénat de la part du secteur privé libanaise.

Le ministère de la culture s’implique de plus en plus dans la littérature jeunesse. Des projets prennent forme tels que «Lecture publique » et la Semaine de la lecture, avec l’aide de la France qui veut encourager l’édition jeunesse en arabe. Un comité de professionnels du secteur travaille aussi avec le ministère pour trouver les bonnes solutions qui aideront toute la chaîne du livre.

Naissance d’une histoire
De l’idée qui germe dans l’imagination d’un auteur, aux yeux émerveillés des enfants, le chemin est donc très long et semé d’embûches. Les grosses structures ne font pas vraiment du bon travail et les petites manquent de moyens. Les auteurs sont souvent lâchés dans la nature. La naissance d’un livre comme d’un enfant, nécessite toute une équipe et un long travail de recherche surtout lorsqu’il s’agit d’histoires qui racontent le patrimoine libanais. Ainsi, l’auteur Youmna Jazzar Medlej qui était volontaire dans les fouilles de Beyrouth, a eu l’idée dernière de faire découvrir aux enfants les différentes découvertes.

Tout son travail s’articule autour d’une documentation complète. Auteurs, illustrateurs, correcteurs, créatifs, concepteurs doivent ainsi travailler en étroite collaboration. Souvent, la part de rêve se perd dans les méandres des recherches documentaires, des concepts, des corrections et des demandes des clients. Paradoxalement, c’est cette part de rêve qui restera dans la mémoire du jeune lecteur et qui donnera le goût du livre. Tout comme un accouchement pour une jeune mère qui oubliera sa douleur une fois l’enfant né.

Comme toutes les belles histoires, celle du livre jeunesse au Liban pourrait connaître non pas une fin, mais une renaissance joyeuse, en espérant qu’il vivra heureux et qu’il aura beaucoup d’enfants…

Emilie Thomas