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L’Evolution Artistique Libanaise par Joseph Sokhn Tome3, Couleurs Libanaise, Beyrouth

Au cours de ces dix dernières années, le Liban a connu une évolution artistique extraordinaire. Cette évolution est due, certes, à l’effort énergique et constant que déploient nos peintres et artistes pour produire et exposer des œuvres originales.

Chaque semaine le grand public libanais est invité à un vernissage. A l’heure actuelle la peinture internationale est en pleine crise. A partir des années 73-74, on assiste à une succession de styles et de techniques qui déroute les amateurs, comme en témoigne, par exemple, la biennale des jeunes à Paris. Dans tout cela le public devient passif, mystérieux, résigné et il ne participe plus à la compréhension de l’œuvre. En vertu même de cette constatation cette attitude du public occidental n’a pas le même ampleur au Liban, car le Libanais a un penchant naturel vers tout ce qui est beau, poétique et artistique; le coin même où il a vu le jour, l’incite constamment à la rêverie et à la poésie. Cette aptitude esthétique, que nous retrouvons généralement chez les Libanais, représente un des aspects éducatifs que nos artistes ont tendance à faire dégager, souvent dans leurs toiles et leurs tableaux. «Le monde même, dit Pascal, l’homme, l’humanité sont des aspects d’œuvre d’art, des jouets gigantesques pour nous par lesquels un Dieu s’est distrait à créer l’harmonie universelle ».

Une œuvre d’art vit a deux conditions : la première de plaire à la foule, la seconde de plaire aux connaisseurs.

Ainsi tout artiste qui atteint ces deux buts a du talent vrai et durable. La question revient a décider dans quelle mesure l’art éduque l’homme et à quelle époque se manifeste chez l’être humain la soif de découvrir la beauté, le naturel. C’est dans ce sens qu’on peut parler de la mission sociale de l’art. Quant a l’enseignement primaire du dessin et de la peinture, il n’a pas pour but de former des spécialistes et des professionnels de la peinture, il doit contribuer seulement à faire sentir aux écoliers le rapport qui existe entre le développement de leurs facultés et les inventions de la nôtre. L’assouplissement des doigts est guidé par les yeux et l’éducation de l’esprit qui marchent de paire lorsqu’on représente artistiquement les figures de la création depuis la rigidité des minéraux jusqu’aux formes humaines, animales et végétales les plus simples.

Au Liban, en étudiant l’art décoratif et pictural, nous avons l’occasion de voir à quel point la beauté et la finesse des œuvres de nos peintres contemporains se reflètent sur la formation artistique et esthétique de notre société d’aujourd’hui.

Ce nouveau souffle éducatif apprend a la génération montante à rester jeune c’est-à-dire, à être de son temps, a marcher avec lui et l’aimer. C’est ce que ne fait pas assez l’enseignement au Liban.

YOUSSEF HOYEK Sculpteur 1883-1962
Aoura est un village situé dans la haute région de Batroun. Il est entouré de plusieurs collines rocailleuses et donne sur quelques gorges profondes. Ses maisons, peu nombreuses, sont entourées de vergers. De gros rochers à l’entrée de la localité d’Aoura créent une note de fantasmagorie. C’est la que Youssef Hoyek bâtit son atelier de sculpture où l’on y remarque aujourd’hui une série de bustes, de portraits et d’autres objets que l’éminent sculpteur avait laissés à l’intérieur de cette modeste demeure protégée du soleil par un chêne séculaire sous lequel Youssef Hoyek passait des heures entières à méditer et à recevoir ses amis et parents.
L’enfance de Hoyek se déroula à Hilta son village natal. Son oncle, le Patriarche Elias Hoyek, frappé de ses dons exceptionnels et de la précocité de son esprit, engagea son père à lui faire quitter le village et à l’envoyer à Beyrouth au Collège de la Sagesse pour achever ses études. C’était en 1898. C’est durant son séjour à La Sagesse qu’il fit la connaissance de son camarade de classe Gebran Khalil Gebran. Il semble, d’après les cahiers intimes de Hoyek qu’on trouve actuellement chez son neveu le Professeur Joseph Richa, que ces deux artistes sont nés la même année (1883) et que leur amitié dura une trentaine d’années.

A Rome

Rome, la capitale de la sculpture internationale, accueillit le jeune artiste libanais en 1903. Ainsi sa formation créatrice et architecturale s’est produite durant la période allant de 1903 à 1908. L’art italien ouvrit de larges possibilités à son développement artistique. Etudiant à l’Institut de Peinture, de Sculpture et d’architecture de l’Académie des Beaux-Arts de Rome, le jeune sculpteur s’efforçait de connaître et d’assimiler ce que les grands maîtres du passé lui ont lègué de mieux, de le faire concorder avec ce que la vie quotidienne engendrait de nouveau. Dès cette époque l’artiste avait profondément conscience que les traditions libanaises et la nouveauté sont deux aspects inséparables de l’art véritable.

…et à Paris

Les voyages entre pris par Hoyek à travers les grandes capitales européennes et arabes lui ont permis de connaître les divers aspects de l’évolution artistique contemporaine. Il visita notamment Le Caire et les Pyramides, Athènes et l’Acropole, Rome, Florence, Milan et Venise, Paris et Madrid.

Dans ses mémoires, Youssef Hoyek nous parle de la liberté des peuples occidentaux et de leur civilisation, il décrit également le sort de son pays et les souffrances atroces que supportent les Libanais durant la première guerre mondiale tout en ayant une profonde foi en l’avenir, persuadés que le «Petit Liban» serait libre un jour et pourrait jouir de tous les bienfaits et de toutes les joies, apanages des peuples heureux.

A Paris, Youssef Hoyek commença son activité créatrice, et, en même temps que l’expérience, naissent sa conception et son sens de la plasticité, l’intégrité et l’expression émotionnelle de la forme. Nombre de ses travaux appartiennent au meilleur cru de l’art italien et parisien. Le projet de monument à Youssef Bey Karam, notre héros national, a été exécuté en 1930. Le très célèbre monuments à Ahmed Chawki, érigé au Caire, fait l’admiration de tous. Le buste du Patriarche Hoyek, son oncle, reflète l’âme et le caractère de notre grand sculpteur. A Rome, on a érigé au Pape Benoît XV un monument émouvant de nouveauté dans la forme et l’interprétation plastique, signé Hoyek. Le monument au roi Fayçal, son grand ami, fut érigé en Irak en 1930. Telle est la voie fertile des intuitions créatrices du sculpteur Libanais Youssef Hoyek.

Hoyek et les Ottomans

La nouvelle doctrine politique de Youssef Hoyek, ses idées sociales positives et son art furent répandus dans tout l’Orient Arabe, et son œuvre artistique qui porte sur les problèmes épineux de son pays, sur l’oppression et la terreur, attira l’attention de Djamal Pacha et de ses espions disséminés partout au Petit Liban qui lui adressaient, régulièrement, des rapports ultrasecrets sur les activités sociales et politiques des écrivains et des artistes. Hoyek s’enfuit en France et échappe ainsi à la potence. A Paris, il fit la connaissance du roi Fayçal I qui le nomma par la suite ministre des Beaux-Arts à l’étranger. Notons à cette occasion que le roi d’Irak, éloigné de son pays, forma un gouvernement provisoire arabe.

En outre, Hoyek était un interlocuteur valable auprès du Vatican, ce qui facilita la rencontre historique du Pape Benoît XV avec le roi Fayçal.

Profitant de son nouveau séjour à Rome, le sculpteur Hoyek exécute plusieurs bustes et monuments de nombreuses personnalités italiennes et libanaises. Une sculpture monumentales, nous dit Hoyek, doit nécessairement refléter l’âme et le caractère du héros. On peut tenter d’attirer l’attention des spectateurs par un raccourci exceptionnel, une généralisation de la forme, mais les recherches de figuration moderne qui ne sont pas dictées par la logique du caractère que l’on a saisi deviennent de vulgaires objets à la mode. C’est pourquoi, ajoute Hoyek le monumental ne réside pas dans des dimensions gigantesques mais dans la précision et la profondeur de la pensée, dans l’excellence de la forme, des proportions et du rythme. Il y a lieu de signaler à cette occasion que les œuvres de Youssef Hoyek le caractérisent comme un fin psychologue qui saisit les traits typiques de l’époque et sait les transmettre en les individualisant. Il sait également s’écarter de l’ordinaire en soulignant l’essentiel (Le buste de la femme enchaînée). Chaque portrait a son sujet (L’âme pure).

Youssef Hoyek et la femme

La vie sentimentale de Hoyek ne lui donna pas beaucoup de satisfactions. Il n’avait pas une âme passionnée et amoureuse. Toutefois, le charme et la beauté de la marquise italienne Paulini ont éveillé en lui un monde de sensations et de beaux rêves. Apres une période sentimentale assez troublée et fiévreuse il songea sérieusement au mariage. La gracieuse Marquise n’attendait qu’un mot de l’artiste libanais pour répondre a l’appel de son amant. De cette union (1925) naquit un enfant, qui devint plus tard un éminent avocat. Mais après un an, Youssef Hoyek se sépare de sa femme et rentre au Liban.

L’œuvre de Hoyek

En 1910, Youssef Hoyek offre a son ami Gebran Khalil Gebran, une magnifique toile (portrait d’une Parisienne) qui se trouve aujourd’hui au Musée de Gebran à Becharré. En 1939, après son retour d’Europe, il s’installe à Aoura. Parmi ses sculptures, une quantité de compositions à l’intérieur de l’Eglise de Notre-Dame du Liban à Achrafieh. D’autres sculptures a Ibrin, en la chapelle des sœurs maronites. Un monument à Saint-Elie, avec sa barbe à la Moise. Un monument à Antoun Saadé, et plusieurs sculptures portant sur l’amour, la maternité, la vie paysanne, la sensualité, enfin un magnifique monument au Patriarche Douaihy a Ehden. Notons que la sculpture monumentale est l’aspect le plus important de l’art de Hoyek. A Freiké, un buste d’Amine Rihani exécuté par l’artiste est une synthèse de la sculpture et de l’architecture. On trouve également à Aoura les bustes de nos contemporains et des thèmes historiques.

Le testament de Hoyek

Au début de l’année 1962, la santé de Hoyek se détériore. Les médecins lui conseillent de quitter Aoura. Il vint a Haret-Sakhre (Jounieh) passer les dernières jours de sa vie chez sa sœur Mhabbé. C’est la qu’il écrivit son dernier testament et le confia a son neveu, Joseph Richa, ou il dit notamment:
« Ma dernière volonté est la suivante : Je ne voudrais pas qu’on distribue des faire-part après ma mort, j’exige un enterrement simple et un cercueil modeste. Je prie mon neveu de m’enterrer à Hilta auprès des miens. Je n’aimerai pas qu’on me décerne des distinctions honorifiques ni qu’on inscrive mon nom sur le cercueil. »

Abordant l’évolution artistique au Liban, Youssef Hoyek a écrit : « Le civisme, la dignité humaine, la force de la raison et des sentiments devraient caractériser les œuvres de nos sculpteurs et peintres. L’art d’associer la gaieté à l’amertume, l’esprit à la tristesse, le patriotisme à l’histoire, la beauté à l’innocence est pour tout artiste une particularité spécifique de son style. Chaque toile, chaque monument, chaque portrait doit forcer l’admiration du grand public. L’art a un rôle éducateur. L’aptitude esthétique que nous retrouvons généralement chez nos jeunes peintres et artistes contemporains, représente un des aspects éducatifs qu’on a tendance à faire dégager souvent dans leurs toiles et leurs tableaux.

«L’Etat libanais n’encourage pas assez l’art qui est la pierre de touche de l’évolution et de la civilisation des peuples».

En perdant Youssef Hoyek, notre pays perdit le doyen de la sculpture libanaise contemporaine.

CESAR GEMAYEL Peinture 1898-1958

A l’est de Bickfaya, dans un cadre typiquement libanais, avec cette nature imposante par ses rochers, ses torrents et ses plateaux presque nus qui nous incitent à la méditation, se dresse la vieille demeure de César Gemayel. Toute la région, depuis Sannin et Baskinta jusqu'à la vallée de Nahr EL-Kalb, est splendide par ses collines, ses forêts de pins et ses clochers qui se découpent sur le bleu limpide du ciel. Quelle était cette influence, qui demeure sans doute le plus grand titre de gloire de César Gemayel? On peut dire qu’elle a joué auprès des jeunes peintres libanais un rôle direct au cours des dix dernières années qui suivirent la mort de l’artiste. Sa conversation, son accueil, son hospitalité, le carrefour même que représente son salon, son physique agréable, tout cela favorisait la création artistique chez ses anciens élèves de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, fondée entre 1939 et 1942, avec l’architecte musicologue Alexis Boutros. En effet, on ne trouve que chez Gemayel ce reflet direct de ses théories sur la peinture moderne et impressionniste, le choix rigoureux et exigeant des thèmes et des couleurs.

En somme, César Gemayel, disciple de Salibi, dans ses portraits, recherche la joliesse, la cote d’amour et la séduction. Il a longtemps conçu ses femmes dans un style un peu mièvre et s’est fait féminin par amour de la femme.

Vie et enfance

César Gemayel vit le jour à Ain El-Touffah en 1898. Il entra au Collège de Kornet Chehouane où, semble-t-il, à cette époque il eut une certaine vocation religieuse. En 1911, il perd son père et quitte le séminaire. Son cousin, Cheikh Youssef Gemayel, l’oncle de Cheikh Pierre Gemayel, chef supérieur des Kataeb qui était pharmacien, l’engagea comme employé dans sa pharmacie afin qu’il puisse subvenir aux besoins de sa famille, car il était l’aine de ses frères et sœurs.
Après la première guerre mondiale, César Gemayel s’installe à Beyrouth et, devant ce monde nouveau qui se révélait à lui, demeure rêveur et observateur. Il était toujours curieux et ouvert à tout ce qui se passait devant lui. Toutefois, on remarquait que tout ce qui touchait à l’art ne lui était pas indifférent. Il sentait un impérieux besoin de dessiner, de peindre. Il exécutait très discrètement le portrait des clients qui fréquentaient la pharmacie.

Khalil Salibi et César Gemayel

Parmi les éminents peintres libanais qui eurent une influence marquante sur l’évolution artistique libanaise au début de ce siècle, figure Khalil Salibi. Il avait son atelier face à l’Université Américaine et son nom n’était pas méconnu au Liban et au Proche-Orient. Or, un jour Khalil Salibi (assassiné en 1935 avec sa femme américaine) entre à la Pharmacie Youssef Gemayel pour acheter un médicament. César Gemayel, selon son habitude, se mit à dessiner le portrait du client. Apres une dizaine de minutes, on remet a Salibi le médicament avec le portrait. Il s’agit la d’un dessin remarquable susceptible d’être comparé aux œuvres d’un grand portraitiste. Khalil Salibi examina son portrait et félicita chaleureusement Gemayel, lui demanda quelques renseignements portant sur son adolescence et lui dit: «La personne qui s’adresse a vous est Khalil Salibi, peintre et portraitiste. Je vous invite à visiter mon atelier à Ras Beyrouth; je suis sur que tu n’es pas né pour être pharmacien, tu seras un grand peintre».

Le lendemain, César Gemayel se rend à l’atelier de Salibi. Tout l’intéresse dans le spectacle qui lui offre cet atelier dont il subit l’influence dès la première visite. Que de fois n’avait-il pas rêvé, alors qu’il travaillait chez son cousin Youssef Gemayel, de rencontrer à l’époque un maître qui l’orienterait et l’initierait é tout ce qui est peinture et dessin.

Caractère

La personnalité de César Gemayel était très attachante. D’origine villageoise il avait pris le goût et le ton de la bonne compagnie et fréquentait les écrivains, les peintres et les poètes. Il était élégant, d’une taille élancée et avait beaucoup de manières. Il se plaisait au milieu des belles et recherchait la beauté. Il avait le front large et noble, les yeux brillants et railleurs. Langage fin, esprit cultivé exercé aux études de la forme et de la couleur, il répétait souvent a ses élèves : « Tout l’univers visible n’est qu’un magasin d’images et de signes auxquels l’imagination donnera une place et une valeur relative ».

César Gemayel à Paris

Nul peintre libanais ne saurait ignorer les avantages des voyages à l’étranger et la formation artistique qu’ils permettent d’acquérir.

Ainsi César Gemayel, encouragé par son maître Khalil Salibi se rend à Paris, où il fréquente l’Académie Jullian, auprès du maître Pougean, ainsi que l’atelier Cola Rossi. Il continue à expérimenter, pinceau en main, tous les procédés, toutes les techniques, que les peintres de Paris lui proposent. Il peint également sur les bords de la Seine que hantent les impressionnistes. Malgré les influences nombreuses et diverses qui s’exercent sur lui, il reste lui-même et en adapte à sa propre personnalité les leçons. Il est deja las de la capitale de l’art et des petites rivalités des peintres. Il a enfin compris que Paris ne peut pas être un but pour lui. Il a préféré regagner son pays natal ou le soleil a plus d’éclat, ou la couleur a toute sa splendeur. Notons que le passage de Gemayel en France a éveillé en lui un certain romantisme et une sensualité marquante qui se sont manifestes dans ses «Nus».

En sortant d’une exposition de César Gemayel, une ancienne élève de cet éminent artiste confie : « J’aime davantage Gemayel que mon père. Je suis réellement assaillie par le miracle incroyable de l’œuvre de ce grand portraitiste. Chaque nu, chaque arbre, chaque haie, chaque chemin creuse dans les collines de Knonchara et de Bickfaya et chaque portrait de ces gracieuses dames libanaises me cause une prodigieuse émotion ».

Disons enfin que les toiles de Gemayel exposées à Paris, au Palais de l’Art, suscitèrent des commentaires passionnés et ont obtenu un vif succès.

Le Portraitiste

César Gemayel cherche dans ses portraits l’essence d’une objectivité, d’un naturel. Mais il met de soi-même et peint des valeurs toutes vivantes, idées, personnes et faits. Et comme il aime la vie, les femmes qu’il peint sont belles ; leurs visages sont palpitants de vie et de grâce. C’est pourquoi ses portraits témoignent d’une profonde psychologie ; on peut y lire le caractère du sujet que l’on connaît avec une précision presque indiscrète. L’artiste a pénètré dans leur âme, en a saisi les nuances les plus subtiles comme les plus délicates. Enfin comme portraitiste, Gemayel nous persuade avec un sourire, de la beauté, du bonheur et de la transparence ; il cherche également à rendre le reflet de l’âme à travers l’éclat des yeux.

Gemayel et la femme

César Gemayel reste célibataire jusqu’au dernier jour de sa vie. Il nous laisse une série impressionnante de nus, de charmantes et exquises jeunes filles. Il a un sentiment très vif, très personnel de leur beauté. Et il ne peint que sous l’empire de sa vision comme tous les grands portraitistes. Quand Gemayel peint une femme nue, c’est le type de femme jeune et fraîche. En général, ses nus dégagent une sensualité remarquable. En restituant la femme à sa beauté, César Gemayel s’est intéressé surtout au corps et au visage. En un mot, le portrait pur, celui qui donne a un grand artiste une satisfaction complète et qu’il ne peint que pour lui-même. Ainsi le génie particulier de Gemayel, nous le retrouvons à chaque page de son œuvre, à fleur de toile comme dans les profondeurs.

Parmi ses nus si délicats, le corps de Nada est le seul qui fasse penser à l’amour. Jusqu'à sa mort, il garda cette petite toile dans son atelier; c’était sans doute le souvenir d’une aventure. Mais l’aventure ne le tente pas. Son âme charmante est toujours là et c’est elle qui s’interpose entre toutes choses.

Le paysagiste

Dans l’art de César Gemayel, c’est chaque objet qui devient un univers. Ses motifs sont choisis d’après la nature libanaise avec ses riches et féeriques couleurs. Il peint aussi des fleurs et des forêts. Il est naturel qu’un artiste ait des thèmes favoris mais les thèmes de Gemayel lui ont toujours apporté un enrichissement ou une découverte. Des horizons lointains et bas, des langues de terre prises entre ciel et eau ou s’accroche la vie, des paysages de lagunes mouillés de brumes et baignés d’une lumière diaphane. Toutefois, on observe chez César Gemayel dans certaines de ses toiles le jeu des ombres et des lumières qui ne forme nullement un équivalent coloré d’aucune lumière. Ses couleurs ne sont pas des équivalences sensibles, elles prennent la valeur d’images poétiques, mais ses paysages ou images ne peuvent naître que dans des circonstances bien définies.

En un mot, Gemayel vagabonde dans la nature libanaise et fixe ses impressions. Il révèle clairement des intentions beaucoup plus radicales. Parmi les nombreux aspects du style impressionniste qu’il souhaite exposer, il avait l’habitude de dessiner avec un pinceau et de peindre des toiles simples qui consistaient parfois en une série de paysages de la haute montagne et des fleurs sauvages. En insistant sur la couleur et la forme particulière des paysages, Gemayel proclamait ainsi d’une manière très convaincante sa conviction que le fait d’un tableau se suffisait à lui-même. Parfois il trouvait très naturelles les techniques lyriques d’association employées par les expressionnistes. Pour lui, le fait visible, seul, comptait. C’était son idéal artistique.

César Gemayel et les compositions florales

Qui dit art dit langage ; qu’il soit parlé ou qu’il soit peint, un langage n’est jamais une chose naturelle dont le sens apparaît tout de suite à tout le monde, il est une chose élaborée et construite. Quant aux Libanais, ils viennent d’être habitués pendant un demi-siècle à un art qui s’exprime par l’image naturaliste, et cet art leur parait plus normal que les autres. Les fleurs de Gemayel rappellent au grand public d’autres fleurs (Les roses). Le public n’aime pas savoir généralement ce que la fleur a été pour l’artiste, s’il a frémi devant elle de façon particulière et s’il est capable de nous communiquer ses frémissements ; il ne se demande point s’il a ajouté quelque chose au modèle, s’il le ressuscite dans les accords rares et dans une matière savoureuse: Le public libanais se borne à reconnaître ce qu’il aperçoit et, à l’image qui se trouve sur la toile, il substitue le souvenir des fleurs réelles qu’un jour il a admirées quelques part. En outre, le tableau peut-il être morne et mort ? Aux yeux du public, il possède une vie émouvante, celle que, sans le remarquer, ils lui apporte, Mais si la toile ne lui rappelle rien ou s’il lui rappelle des choses antipathiques? Alors, il reste froid, et la peinture sera déclarée laide ou incompréhensible. C’est pourquoi, César Gemayel a toujours donné à ses fleurs un cachet naturel et un souffle nouveau en habillant chaque tableau de son rêve, de son savoir et en respectant en même temps le goût du public. Il lui importait par exemple dans un paysage de Khonchara ou de la vallée de Baskinta, de traduire l’humidité de la terre si elle est près d’un ruisseau, et sa maigre sécheresse lorsqu’elle recouvre un rocher.

Oeuvres de César Gemayel

Les rapides progrès réalisés par César Gemayel notamment dans le domaine figuratif proviennent de sa solide formation artistique et de la beauté de son pinceau magique. Il a toujours exercé une vision psychologique et exprimé les émotions de l’être humain. En 1930, Cesar Gemayel expose à Paris plusieurs toiles représentant des thèmes nouveaux et originaux. Parmi les tableaux exposés, (le Krak des chevaliers) qui obtint le premier prix.

En1931, il fut nommé professeur de dessin au Collège de la Sagesse dirigé à l’époque par le regretté Monseigneur Jean Maroun et à L’Ecole Normale de Beyrouth au temps de Fouad Ephrem Boustany.

En 1937, César Gemayel voyage en Russie et visite la maison de Tolstoi et d’autres musées.
Il serait difficile, en outre, d’imaginer un César Gemayel loin du monde européen. Il entreprit, après la Russie, une série de voyages, visita l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et la Scandinavie. Parmi ses toiles les plus célèbres (Le portrait du Roi Abdallah), grand-père du Roi Hussein de Jordanie, (l’Empereur d’Allemagne Guillaume II), (l’Emir Bechir Le Grand), et un grand nombre de « Nus ».

Conclusion

César Gemayel nous laisse à Kayssarieh, sa localité qui a pris son nom de son prénom, un musée d’une richesse picturale unique. C’est précisément, à Ain-Touffah (banlieue de Bickfaya) que tout l’art de cet éminent artiste nous ouvre la porte d’un monde secret ou l’harmonie captivante des lignes et de la composition côtoient les plus beaux portraits des plus jolies femmes libanaises ainsi que les «nus» les plus passionnants. Les critiques d’art et les connaisseurs ont constaté que César Gemayel pouvait mieux exprimer dans ses toiles le reflet d’une beauté idéale.

Quand on lui demandait pourquoi il ne se mariait pas, il répondait qu’il avait une fois rêvé de mariage et qu’il avait l’embarras du choix, ce qui l’incita à se consacrer à ses toiles et à sa grande série de «nus».

Quoi qu’il en soit, César Gemayel voit que l’image de l’homme peut devenir monstrueuse pour deux raisons : D’un coté parce que l’artiste cherche à en augmenter le pouvoir expressif, de l’autre parce qu’il ne la considère plus comme un motif qu’il interprète a son gré, afin de mieux accuser l’autonomie et les vertus proprement plastiques de son œuvre.

Et d’ajouter : L’art moderne, en déformant les traits de l’être humain, le fait sortir de ses limites et lui découvre des affinités avec ce qui existe en dehors de lui.

Voilà pourquoi la plupart des portraits de Gemayel semblent livrer la pensée des personnes qu’ils représentent.

Quant à ses fresques, la souplesse et la grâce de leurs lignes nous prouvent à quel point cet éminent peintre transporte l’observateur dans le domaine de la naissance du sentiment de la beauté.

Il mourut le 28 avril 1958, vingt et un jours après le décès de sa mère à laquelle il était particulièrement attaché

MOUSTAPHA FARROUKH Peintre 1900-1957

Si l’on veut comprendre le peintre; il est indispensable de connaître l’homme, son démarrage artistique et original, ainsi que les différentes étapes préparatoires dans sa marche vers la perfection. Plusieurs événements peuvent nous aider à voir clair dans la carrière et l’élan artistique de Moustapha Farroukh : Sa vie et son enfance, les voyages à l’étranger et l’adoption de différents genres de peinture dans ses toiles. Chez Farroukh qui marche dans la vie vers un but connu et défini (la peinture) toujours sur de lui-même, toujours à la recherche de la perfection, il est difficile de penser que son séjour à l’étranger eut été uniquement un passe-temps agréable. Au contraire, cet éminent artiste a placé sa vie sous le signe de la volonté et de l’esprit.

Notons également que l’irrésistible vocation de cet artiste apparut dès l’age de cinq ans. Son art est fait de beauté, de simplicité et d’originalité. C’est un portraitiste, un aquarelliste et un critique d’art.

Vie et enfance

Parmi les anciennes familles musulmanes beyrouthines les plus attachées à l’Islam, figure celle de Moustapha Farroukh. Ses parents habitaient Beyrouth depuis 1890, près de la place « Basta », en plein centre de ce quartier très mouvemente situé au cœur de la capitale. Toutes les qualités du peuple libanais on les retrouve, en quelque sorte, chez les Farroukh. La modestie, l’amour du prochain, la ténacité et l’amabilité. Nous retrouvons tout cela chez l’artiste, le critique d’art et le penseur, dont nous allons analyser les différentes étapes de sa vie.

Moustapha naquit donc à Beyrouth en 1900. Son père Mohamad Farroukh était un homme modeste, honnête et illettré. Mais il était très éveillé, bon causeur et sociable. Sa mère, Anisse, perdit son mari à la veille de la Première Guerre mondiale et dut travailler durement pour élever ses enfants et surtout leur assurer leur pain quotidien, surtout à une époque où le peuple libanais souffrait de la famine et de l’injustice.

Moustapha, le cadet de la famille, avait donc un respect et une affection toute particulière pour sa mère. A l’age de sept ans, il reçut sa première éducation et fit ses études primaires à l’école de Cheikh Joumha, puis un peu plus tard, il s’inscrivit a l’école de Taher Tannir à Basta ; parmi ses professeurs : le cheikh Moustapha Ghalaini.

En 1908, Moustapha Farroukh s’efforce d’exprimer sa future vocation de peintre en présentant à ses camarades et à ses professeurs un genre de dessin abstrait et figuratif. Son intelligence et ses tendances naturelles vers le dessin abstrait et figuratif. Son intelligence et ses tendances naturelles vers le dessin donnèrent à ses professeurs une haute idée de ses dons. C’est pourquoi, Taher Tannir, en 1912, fit paraître une revue scolaire « Al-Moussawer » et confia a Moustapha âgé de 12 ans, un travail particulier: La caricature des images et le dessin à l’encre de Chine, de quelques portraits. Toutefois, la mère de Moustapha Farroukh et les siens s’opposaient fortement à ce genre d’activité scolaire futile et contraire aux traditions du milieu familial. Par contre, d’autres amis et proches parents, lui conseillèrent de poursuivre sa vocation de peintre. En 1913, Farroukh commença par peindre quelques portraits notamment ceux de Moukhtar Beyhoum, de Haje Youssef Beydoun et de Selim Slam.

En 1916, Moustapha Farroukh sent un impérieux besoin de peindre sérieusement et d’arriver à une plus grande connaissance de son futur métier. Il peint beaucoup et parmi les portraits des hommes célèbres à l’époque, on peut citer celui de Habib Srour, son professeur et de Azmi Bey, le wali de Beyrouth.

Le chef de famille

En 1935, Moustapha Farroukh connut à Beyrouth une gracieuse jeune fille, Souraya Ahmed Tamim. Les Tamim sont des commerçants assez aisés et originaires de Ras-Beyrouth, et en même temps, très conservateurs. D’ailleurs, l’image de la future épouse de notre éminent peintre était déjà tracée dans son imagination depuis l’age de l’adolescence. Farroukh avait fort apprécié les qualités de cœur et d’esprit de Souraya Tamim et surtout de son bon sens et sa parfaite éducation. C’est pourquoi son mariage fut réussi. De cette union naquirent deux enfants : Hani et Hanaa. Parallèlement à sa vie familiale paisible et heureuse. Il fut un chef de famille d’un rare dévouement et d’une tendresse exemplaire.

Aperçu historique de l’art libanais

A l’historien, le Liban paraît depuis les âges les plus reculés comme un carrefour et une terre de rencontres et de communications. C’est pourquoi le vrai visage humain, artistique et culturel du Liban a été déterminé par sa situation géographique et sa beauté naturelle, il s’est trouvé également favorisé par l’association, dans un espace restreint, de la montagne et de la mer. Les vrais Libanais qu’ils soient artistes, poètes ou penseurs, sont ceux qui ont le goût de cette mer et de ce qu’elle représente. C’est la précisément où réside l’origine de l’art libanais et le passé glorieux de notre évolution culturelle et artistique.

Ainsi Moustapha Farroukh a voulu nous prouver dans un ouvrage intitule «L’art et la vie » que notre pays est le lien harmonieux de toutes les pensées qui y résident, et qu’il est le foyer par excellence des arts, des Lettres, de la poésie et de la musique.

Il serait donc injuste de ne pas perpétuer le souvenir de ceux qui ont joué un rôle particulièrement important dans la vie intellectuelle et artistique du Liban.

« Certes, nous dit Farroukh dans son ouvrage, le XVIIIème siècle fut riche en promesses et progrès pour notre pays. Animé d’aspirations inhabituelles et épris d’un idéal patriotique, chaque Libanais de la haute montagne avait tendance à la rêverie et à la poésie, il était naturellement porté vers l’art et la peinture. Parmi ces grands rêveurs, figure Abdallah Zakher originaire de Khonchara ».

Sous le chêne de Mar Youhanna

Le couvent de Saint-Jean est situé près de Dhour Choueir ; il donne sur une vallée plantée de pins et de saules pleureurs et entourée de collines verdoyantes. Or, chaque matin, Abdallah Zakher passait deux heures à contempler ce beau paysage le pinceau à la main, il dessinait sur une toile ou sur un morceau de bois, ce qu’il voyait. Ainsi les premiers tableaux représentant un panorama libanais sont nés à Khonchara. Notons également que Abdallah Zakher a inventé les premières lettres d’imprimerie au Liban, et il a par la suite, imprimé les psaumes de David.

A Ghazir

A Ghazir, non loin du littoral, s’élève sur une colline rocailleuse, une maison modeste et ancienne, c’est là où Kannan Dib vit le jour. Ce jeune peintre fut ébloui par la nature libanaise, nous dit Moustapha Farroukh, Kannan Dib ne tarda pas à dialoguer avec elle, en découvrant les beautés de nos sites, il aima par la suite, les toits, les arbres, les rochers, la verdure et enfin les portraits des saints et les clochers des églises. Parmi ses toiles, on note de beaux paysages inspirés de sites de son village natal Ghazir.

Le moine Youssef Semaan

Moustapha Farroukh découvre également un autre nouveau visage, un moine peintre. Si l’on trouve parfois au Liban des régions arides ou peu habitées, ce n’est certainement pas la région de Tamiche que nous offre cette image, mais bien au contraire, cette terre bénie ou fut construit par les moines libanais l’un des plus anciens couvents du Liban; celui de Tamiche est souvent magnifié par le moine poète et peintre Youssef Semaan. Ce jeune moine a laissé des toiles anciennes qui frappent par leur perfection formelle. Sa palette est celle d’un coloriste toujours ému par les vibrations de la lumière.

L’Empereur Guillaume II à Beyrouth

En 1850, l’Empereur Guillaume II visita Beyrouth. Cette visite impériale incita un jeune peintre libanais, Ibrahim Beyrouthy, à perpetuer le souvenir du passage du Kaiser allemand en nous laissant une toile unique de son genre, représentant le port de Beyrouth ainsi que la foule venue accueillir le Kaiser. Quant aux bateaux et aux chaloupes se trouvant dans le port, ils sont peints avec une rare sérénité. Déjà Beyrouthy avait tendance à exercer sa vision psychologique et exprimer les émotions de l’être humain. D’autres tableaux de ce jeune peintre du siècle dernier baignent dans une atmosphère romantique remarquable.

Un jeune peintre de Beyrouth

« Ali Jammal est né dans un quartier assez pauvre de la ville de Beyrouth. Son enfance mouvementée et sa sensibilité sont à l’origine de son style », nous déclare Moustapha Farroukh dans son livre « L’Art et la vie ». « Il avait des dons intellectuels brillants. Souvent le soir avant le coucher du soleil, Ali vagabondait en solitaire à travers les vieilles maisons de Beyrouth qui donnent sur la mer, explorait tout ce qui tombe sous sa vue, le coucher du soleil, la grotte aux pigeons, le vieux port, observait les pêcheurs à la ligne. Il lui arrivait souvent de dessiner sur les murs des ruelles de son quartier, des paysages et des portraits. Il était déjà considèré, le jeune peintre de Ras-Beyrouth. On garde encore dans certaines familles musulmanes de Basta, quelques rares toiles de ce peintre.

Trois visages libanais

Moustapha Farroukh nous offre une fois de plus la possibilité de connaître des caractéristiques et les meilleurs exemples des styles d’une époque de l’art libanais au XIXème et au XXème siecles. C’est pourquoi il écrit dans « L’Art et la Vie » ceci :

«Trois éminents peintres vivant dans une société relativement stable, se détachent ».
Et d’ajouter : « Au milieu du XIXème siecle, Daoud Corm s’embarqua pour l’Italie et fut à Rome, élève de l’Academie des Beaux-Arts étudiant avec Bompiani, peintre officiel. Il profita de son séjour pour faire le portrait du Pape Pie IX. Rentré au Liban, il remplit littéralement les églises et les couvents de ses peintures religieuses, par ailleurs il reçoit de nombreuses commandes de portraits. Celui de Moallem Boutros Boustany, conservé dans la famille du grand encyclopédiste et grammairien.

« Habib Srour vécut à Rome également en 1871, il trouva aussi le chemin de l’Académie des Beaux-Arts. Né en 1863, Habib Srour est originaire du Chouf; il devait, lui aussi, exécuter des portraits et peindre des scènes religieuses. Parmi ses élèves, figure l’auteur de « L’Art et la Vie ». Il fut, ajoute Farroukh, l’initiateur d’un certain nombre d’artistes libanais.

«Le troisième visage fut Khalil Salibi. Il étudia en France et en Amérique. Il a synthétise l’aventure libanaise. Né à Btalloum, il étudia la peinture en Angleterre, puis à Paris où il subit l’influence des impressionnistes.

«Il exposa à Chicago et épousa une Américaine. Il avait, ajoute Farroukh, un langage coloré et une franche brutalité. Sa palette est celle d’un coloriste toujours ému par les vibrations de la lumière. Ses portraits, ses nus d’après sa femme Cary font ressortir tout le velouté, toute la fraîcheur d’une peau de rousse. Malheureusement, affirme Farroukh, un conflit sur la propriété d’une source le dressa contre les hommes de son village qui le firent assassiner avec sa femme. Son art avait un cachet révolutionnaire ». Enfin Farroukh met l’accent sur l’Art libanais du siècle dernier en déclarent que l’évolution artistique libanaise de 1890 nous ouvrit la porte d’un monde secret où des êtres étrangers à notre humanité jouissent de plaisirs raffinés. Nos peintres de cette époque-là étaient obsédés par la conquête de la forme, de l’espace, de l’anatomie, du portrait et de la lumière. Ainsi, l’Art libanais du siècle dernier était la plus parfaite expression de la génération de 1900.

Le portraitiste

« Celui qui veut faire quelque chose de bon ou d’utile ne doit pas tabler sur l’approbation ou l’appréciation générale, ni la désirer, mais au contraire n’espérer de sympathie ou d’aide que de très rares cœurs, et encore de quelques-uns ». Cette phrase de Renan, n’a jamais quitté l’esprit de Farroukh. Il a toujours cultive l’art pour lui-même.

« La peinture, la peinture seule, sera ma raison d’exister », disait-il, dans son ouvrage « L’Art et la Vie ». Un champ immense s’offrit à lui, notamment dans le domaine du portrait. Il a toujours œuvré à la naissance d’une vision nouvelle, d’un art neuf. D’après lui, les meilleures peintures et les plus parfaites au point de vue technique, en les regardant de près, sont faites de couleurs l’une à cote de l’autre et produisent leur effet à une certaine distance. C’est pourquoi Moustapha Farroukh mettait dans ses portraits au service de la couleur un pinceau d’une remarquable spontanéité. On voit dans ses aquarelles et son « Vendeur de poissons » ou dans « Une Bédouine » la secrète signification d’une beauté toute naturelle. Les motifs de Farroukh sont pris dans certains quartiers de « Basta ». Ses portraits des « Cheikh » et des « Ulémas » sont très expressifs et c’est précisément ce monde particulier qui fait l’originalité de ses toiles.

Pour voir combien Farroukh peut rester attaché à son sujet, il suffit de visiter la demeure de son fils Hani qui est une véritable galerie, où l’on passe un bon moment à analyser et observer ses toiles et ses portraits. On voit le peintre, mais l’homme n’est plus de ce monde. Alors il suffit du moindre tableau de cet artiste pour pénétrer immédiatement dans son monde particulier.
Tout lui a réussi et il n’a jamais eu de vraies difficultés. En 1929, Moustapha Farroukh exposa à l’Université Américaine de Beyrouth, ses premières toiles. Il s’agissait d’un certain nombre de portraits d’hommes et de têtes de femmes. On a de lui à l’heure actuelle un magnifique portrait de son professeur italien, à la barbe garibaldienne, à la tête spirituelle de vieux romain à lunettes. Parmi les portraits les plus réussis, ceux du patriarche Mouchy et d’Elias Abou-Chabki ainsi que Mahmoud Bey Takieddine. Ses figures et ses portraits classent Farroukh parmi les plus fins et les plus habiles portraitistes libanais.

Farroukh à Rome

Le départ de Moustapha Farroukh à Rome en 1925 jouera un rôle considérable dans sa vie. Certes, son séjour à l’Academie Royale de Rome lui ouvre de nouveaux horizons qui l’éloignent petit a petit du cadre libanais. Signalons également que la fréquentation de l’atelier de Khalil Salibi et celui de Habib Srour par Farroukh à partir de 1916 jusqu’en 1921, fut le prélude de bons résultats notamment dans le domaine du portrait et de la couleur. Apres quatre années d’études à Rome, Moustapha Farroukh se fraya une voie personnelle. Il observa tout et regarda attentivement les toiles des grands maîtres de la peinture contemporaine. C’est surtout le portrait qui l’attire; n’est-ce pas cela que, sans le savoir, il est venu chercher à Rome, n’est-ce pas à la rencontre de ces toiles des grands artistes classiques qu’il est parti lorsqu’il a quitté le Liban?
Avec ses peintures de 1928, d’un style brillant et ferme, où sous un caractère décoratif, se cache un univers intérieur très personnel, Moustapha Farroukh apparaît déjà dans ses toiles exposées à Rome, maître de son art élégant. Il cherchait souvent dans ses portraits l’essence d’une objectivité, d’un naturel, d’une force. Ainsi le masque du visage de ses têtes paysannes, leurs regards et leurs traits, ne sont certes, qu’une description de l’évidente réalité. Parmi ses toiles d’Italie, le portrait de « Monseigneur Chédid », en témoignage de reconnaissance envers ce prélat qui l’aida à s’inscrire à l’Académie de Rome en 1925.

Farroukh à Paris

Pauvre de naissance, Moustapha Farroukh eut une enfance malheureuse. Ayant perdu son père à l’age de cinq ans, il fut obligé de gagner un peu d’argent quotidiennement, pour s’acheter des crayons de couleurs ou quelques fournitures scolaires. C’est pourquoi il était assez avare et ne dilapidait pas son argent.

A Paris, Moustapha Farroukh, étudia sérieusement les peintures du louvre. Apres son exposition au «Salon de Paris», la presse française fit son éloge et le grand public français et européen apprécia tout particulièrement ses portraits et ses paysages libanais.
Disons enfin que c’est surtout Paris, comme tous les artistes d’ailleurs, qui le séduisit et lui permit de découvrir ce qui se faisait en dehors du Liban, en matière d’art et de peinture. «Il est probable, constata-t-il, que le voyage d’Europe a marqué ma vie artistique pour le restant de ma vie.»

Farroukh en Espagne

Dès l’âge de dix ans, Moustapha Farroukh, rêvait d’évasion, de départs lointains au-delà de la Méditerranée. Sa mère, qui l’aimait à la folie, n’était pas de son avis, et notre peintre devait supplier les siens chaque fois qu’il avait l’intention de voyager. Toutefois, ceci ne l’empêcha pas d’entreprendre une série de voyages à l’étranger, il visita l’Italie, la France et enfin l’Espagne. Son séjour à Madrid lui permit de visiter et d’étudier les œuvres exposées dans les musées et l’aida à donner une charpente solide à ses portraits et à ses compositions. Son voyage en Espagne lui fut très utile sur-tout après sa visite a l’Andalousie où il admira l’art et l’architecture arabe ainsi que les galeries de Cordova et de Tolède.

A Beyrouth en 1932

Moustapha Farroukh revient définitivement à Beyrouth en 1932. Il prépare ses grandes expositions. Tout l’intéresse dans le spectacle que lui offraient les vieux souks de la capitale dont il subit le charme particulier. Parmi les principales expositions de Moustapha Farroukh en 1932, citons l’exposition qui eut lieu à l’Université Américaine et à l’Ecole des Arts et Métiers. Ces deux expositions donnèrent l’occasion au public libanais et étranger de constater combien le voyage peut avoir de l’importance dans la vie et l’œuvre d’un peintre. Parmi les œuvres exposées, les portraits de Habib Srour et de Azmi Bey.

Le professeur

A l’Université Américaine et à l’Ecole Normale de Beyrouth, Moustapha Farroukh se présente comme un vrai maître de l’Art du portrait et un éminent professeur de peinture. Il avait un pinceau magique et une créativité remarquable. La vie personnelle de l’être humain, son caractère, l’héroïsme et d’autres motifs, nous les retrouvons dans une très importante série de toiles de Moustapha Farroukh. Quant à la femme, il n’a pas peint de nus, il a consacré ses efforts dans les traits du visage et la forme des yeux (La Bedouine).

En 1948, Farroukh exposa plusieurs toiles à New York (Expositions Internationale).

En 1950, son nom figurait au « Whos-Whow ».

Le 16 février 1957, Moustapha Farroukh s’éteignit après une longue maladie. Il avait exécuté 2500 tableaux, vendus presque tous à l’étranger. Moustapha Farroukh, qui avait obtenu le Premier Prix du Président de la République (1955), était titulaire de l’Ordre National du Cèdre et du Mérite Libanais.

Il a écrit plusieurs ouvrages notamment :

«Histoire d’un homme du Liban».
«Voyage à travers le pays d’une gloire perdue».
«L’Art et la Vie».

Farroukh a donné plusieurs conférences au Cénacle Libanais sur la peinture contemporaine et l’Art Libanais classique et moderne.

La conception paysagiste de Farroukh

Moustapha Farroukh aimait particulièrement la haute montagne libanaise. Il connaissait tous les beaux sites du Kesrouan, du Liban Nord et du Metn. Quelques-unes de ses expositions constituèrent une vraie image de nos paysages sauvages et verdoyants. L’ensemble représentait une figuration à la fois robuste et délicate de la nature libanaise. Les motifs inspirés a Farroukh par les souvenirs qu’il garde de ses excursions à travers la montagne libanaise nous prouvent l’amour de cet artiste pour son pays, sa nature sauvage et immortelle (Le chemin de la fontaine).

Conclusion

Il y aura cinquante-six ans, en 1957, que Moustapha Farroukh rendait son dernier souffle, au milieu des siens qu’il aimait tant et face à cette Raouche qu’il avait si souvent magnifiée dans ses paysages. Depuis lors, bien que privée de son créateur, l’œuvre de notre éminent peintre, exposée au domicile de son fils Hani à Ras-Beyrouth, n’a pas cessé d’attirer les amateurs de peinture.

Après un quart de siècle, elle apparaît toujours comme l’une des expressions les plus attachantes de l’Art Libanais.

Farroukh lui-même est encore présent parmi nous. On croit le retrouver dans nos Ecoles Normales et à L’Université Libanaise dans trois autoportraits. Farroukh aurait été heureux qu’un choix particulièrement représentatif de ses toiles soit réuni, une fois encore, dans les galeries de la capitale. Farroukh est, sans conteste, un artiste doué, moderne et créateur qui a joué un rôle majeur dans le renouvellement des formes figuratives de la peinture libanaise.

Le Sud, le Kesrouan, le Metn et la Bekaa: quatre départements et plusieurs paysages au départ; mais une unité parfaite sur le chapitre de l’Art et du portrait en particulier. Or, plus que quiconque en notre pays aux multiples visages, Farroukh a possèdé l’âme du terroir, et lorsqu’on admire ses toiles aujourd’hui encore, on est conquis par ces paysages de montagnes et de forêts et surtout par ces portraits ou l’artiste exerce sa vision psychologique et exprime les émotions de l’être humain. C’est pourquoi cette activité créatrice avait pour point de départ une sensibilité et une vision particulièrement raffinées.

OMAR OUNSI Peintre 1901-1969

Tallat Al-Khayat est un coin de Beyrouth paisible et riant, situé à l’ouest de la capitale et qui domine la grotte aux pigeons et les plages sablonneuses de Khaldé. C’est la, précisément, que naquit en 1901 Omar Ounsi, au sein d’une famille distinguée et relativement aisée, appartenant à la communauté musulmane. Son grand-père était poète et son père, Abdel-Rahman Al-Ounsi, était un éminent chirurgien-dentiste.

Avec son sens inné du dessin, il laisse une œuvre artistique dont l’influence fut profonde. Omar Ounsi est connu par ses innovations dans les thèmes picturaux comme dans leur mode d’expression. Ses magnifiques toiles reflètent en outre, le courant d’optimisme qui, dans la seconde moitié du XXème siècle, animait les chercheurs de la peinture contemporaine libanaise. La sincérité de son art idéalisé contribue autant que son intuition créatrice, à en faire toute l’originalité et tout le charme.

La vie d’Omar Ounsi est marquée d’une touche de fantaisie. Il fait aujourd’hui partie des artistes libanais les plus populaires de l’ancienne école, tels Khalil Salibi, Moustapha Farroukh, Rachid Wehbé, Georges Corm et César Gemayel. Le grand public libanais et étranger l’aime. Il est le peintre passionné de la femme dans ce qu’elle a de plus beau. Tandis que les arbres, les sites libanais, les paysages naturels et sauvages, les fleurs sont pour lui des thèmes vivants et poétiques.

Omar Ounsi et Khalil Salibi

En 1919, les parents d’Omar Ounsi l’inscrivent à l’Université Américaine de Beyrouth en première année de médecine, mais ce n’était pas sa vocation. En effet, l’amicale des étudiants avait publié à l’époque, une revue hebdomadaire avec quelques dessins et paysages portant la signature d’Omar Ounsi; la revue tomba par pur hasard entre les mains de l’éminent peintre Khalil Salibi qui habitait près de l’Université Américaine. Il fut frappé par la grâce et la beauté des traits de ces quelques tableaux d’Omar Ounsi. Il fait sa connaissance et l’invite à visiter son atelier. Cette première visite d’Omar Ounsi à l’atelier de Salibi devait décider de sa carrière. L’étudiant en médecine découvre un monde nouveau et se sent attiré vers l’art de la peinture. Il est entraîné vers une ambiance enchantée qui l’éloigne de la médecine et du joug familial. C’est ainsi qu’il débuta en peinture en rejetant en son for intérieur les paroles de son futur patron Khalil Salibi:

«Tu n’es pas fait pour être médecin, mon cher Omar, tu es né pour être peintre.»

Signalons à cette occasion que Khalil Salibi avait adopté la même attitude avec Cesar Gemayel qui était à l’époque en première année de pharmacie; il réussit à le convaincre de s’orienter vers l’art pictural.

Au foyer familial

Les parents d’Omar Ounsi se demandaient souvent, si leur fils ne négligeait pas trop les études de la médecine, car il existait chez leurs fils, un goût extraordinaire pour le dessin qui l’éloignait de l’université. «Comment, disait son père, pourra-t-il devenir un médecin respecté s’occupant sérieusement de ses malades, faisant honneur à sa famille?».

Mais Omar après sa rencontre avec Salibi ne manifesta plus d’inclination pour aucune carrière libérale particulière. Il rêvait à la peinture et souvent il fuyait la prière du vendredi à la mosquée pour se rendre à l’atelier de Khalil Salibi. Sa passion, son obsession à affirmer ses projets d’avenir, son intuition créatrice, l’art de mener une conversation avec les siens au sujet des grands artistes et portraitistes, voilà autant de raisons qui militèrent en faveur de son succès. On l’aimait pour sa franchise, son calme et sa concentration dans le travail, son respect de celui des autres.

Sa vocation artistique

«Le talent se développe à partir d’un sentiment d’amour pour le travail, il est même possible que le talent ne soit dans sa nature profonde que l’amour pour le travail.»

Ces paroles de Khalil Salibi, Omar Ounsi, se les rappelait chaque fois qu’il pensait à son avenir artistique, à sa route difficile dans le domaine de l’art, à sa persévérance, à son amour pour le dessin qui lui a permis, plus tard, de trouver sa place dans la vie, d’affirmer son talent de peintre.
Le 22 juin 1922, Omar Ounsi part pour Amman chez son cousin qui était le chef du protocole du Palais Royal. Son séjour à Amman lui permit d’être présenté au roi Abdallah. Ce dernier, frappé par son intelligence et ses dons exceptionnels le nomma comme professeur d’anglais au Palais. Parmi ses élèves, le Prince Tallal, père du roi Hussein. La Jordanie lui plait, décidément. Ainsi, de plus en plus, la vie parait à Omar délicieuse. L’atmosphère d’Amman et celle du désert lui sont très profitables. Il oublie définitivement la médecine et se consacre à la peinture et à partir de ce moment il se sent revivre. Il répétait souvent a son cousin : «Est-ce que la vie peut-être si riche, si merveilleuse, offrir tant de joies faciles? Est-il possible que je puisse un jour exposer mes toiles dans les salons des grandes capitales internationales?»

Certes, il y avait beaucoup d’obstacles à surmonter, et de nombreuses déceptions l’attendaient. C’est pourquoi, Amman et le désert eurent une influence marquante sur son avenir artistique et sur sa vocation d’éminent portraitiste. Dès ses premières tentatives créatrices et ses premiers portraits (une bédouine), on ressentait nettement l’originalité de ses tableaux. Les thèmes inspirés du désert étaient un matériel familier, certaines toiles même furent vivement appréciés par le Palais du roi Abdallah. On retrouvait la couleur du sable dans tous ses tableaux.

A Paris

En 1927, Omar Ounsi quitta Amman et se rendit à Paris. Son existence dans la capitale française fut plus mouvementée qu’elle ne l’était à Amman. Il fit la connaissance du sculpteur Youssef Hoyek avec qui il réussit à découvrir les richesses artistiques de l’Occident. Omar, bien entendu, se rendait au Louvre presque quotidiennement ; là il s’arrêtait longuement devant les toiles classiques et les nus. Il prend contact avec les grands peintres parisiens et les impressionnistes. Il commence à travailler alors à la grande toile de sa période parisienne. Il découvre également la peinture claire, étudie Delacroix et Monticelli, Cézanne et Renoir, puis il se livre à toutes les expériences picturales. La couleur commence à triompher sur ses toiles. Durant son séjour à Paris, Omar Ounsi continua à expérimenter, pinceau en main, tous les procédés, toutes les techniques que les peintres de Paris lui proposent. Il peint sur les bords de la Seine que hantent les impressionnistes. Malgré les influences nombreuses et diverses qui s’exercent sur lui, il reste lui-même et en adopte à sa propre personnalité les leçons. Enfin, Omar Ounsi comprend que Paris ne peut pas être un but pour lui malgré son attachement à une gracieuse jeune fille, Emma, qui devait devenir sa première femme.

A Beyrouth

En 1930, Omar Ounsi est déjà las de Paris. La nostalgie du soleil, où la couleur a toute sa splendeur, l’incite à rentrer à Beyrouth, son vieux Beyrouth et surtout a Tallat Al-Khayat. Cette nostalgie se manifeste dans ses toiles les plus célèbres (La plage Khaldé), (Les dattiers de Ain-Mraissé), et (Les champs de cactus). Il ne cessa de peindre tout ce qu’il rencontrait au vieux souk, au bord de la mer, et en montagne. En un mot, pour embrasser tout, Omar Ounsi peint et dessine tout ce qui tombe sous ses yeux, ne s’arrête pas de jouer le rouge, le gris, le sable, la couleur chair. Il peint aussi des fleurs, des natures mortes, des têtes de paysans et surtout des nus.

En 1933, Emma, sa bien-aimée, le poursuit à Beyrouth. Elle était follement amoureuse de lui. Elle devient sa femme; ainsi son rêve le plus cher se réalise sous le ciel du Liban.

Malheureusement, après deux ans de vie conjugale parfaite, Emma décédé subitement laissant un grand vide chez l’artiste. Il peint alors des toiles où la mélancolie triomphe partout, car la disparition d’Emma lui inspire une série de tableaux qui touchent parfaitement la masse.
En 1938, Omar Ounsi expose à Zeitouné une trentaine de toiles qui furent particulièrement appréciées par le grand public libanais et étranger (Des portraits, des fleurs, des paysages). Parmi les amateurs d’art qui se rendirent a Zeitouné le jour du vernissage, une gracieuse jeune Alsacienne, professeur au Collège Protestant, Marie Bohère. Elle choisit une toile représentant un bouquet de roses et félicita chaleureusement le peintre. Omar Ounsi la remercie et élabore toute une stratégie amoureuse pour l’amener à lui et provoquer chez elle la naissance de quelque chose de nouveau. Ainsi, après plusieurs rencontres avec Marie, il lui ouvre son cœur et lui propose le mariage. Cette aventure amoureuse dura trente ans, car Marie accepte de l’épouser en 1939. Elle demeure auprès de son mari jusqu’en 1969, l’année de sa mort. Elle joua un rôle particulièrement efficace dans la vie de notre éminent peintre. Les meilleures toiles et les tableaux les plus fascinants d’Omar Onsi sont le fruit de cette vie à deux, si riche et si paisible. Malheureusement, ils n’ont pas eu d’enfants ce qui ne diminua nullement l’intensité de leur vie amoureuse. Bien au contraire Madame Ounsi demeura l’épouse idéale et l’amante fidèle jusqu’au dernier jour de l’existence de son mari.

En 1966, le gouvernement lui décerna le Mérite Libanais pour les nombreux services qu’elle a rendus à la jeunesse du Liban. Elle a aujourd’hui quatre-vingt huit ans. Elle vit à Strasbourg en compagnie, des meilleures toiles de son regretté époux.

Les expositions d’Omar Ounsi

La première exposition d’Omar Ounsi eut lieu à Jerusalem en 1927. Elle englobait trente peintures et des aquarelles.

Il exposa, ensuite, en Suisse en 1932 et en 1933, en Allemagne (50 peintures et aquarelles).
En 1935, on découvre Ounsi à Madrid (Portraits, nus, fleurs).

En 1938, il se rendit en Italie, visita Rome, le Vatican, Florence et Venise, et exposa quarante-cinq peintures (Natures mortes, portraits de femmes et des aquarelles).

Les meilleures toiles d’Omar Ounsi furent exposées en 1964 à la Galerie One, à Beyrouth. Les couleurs qu’il a utilisées se réduisent à des nuances de tons neutres, il attacha beaucoup d’importance à la réalité des impressions visuelles. Dans (La danse de la dabké), une magnifique toile offerte à l’Ecole Militaire de Fayadieh, on remarque l’attachement de l’artiste aux traditions villageoises libanaises. Il a choisi ce motif à Hrajel (Kesrouan), la veille de la fête de l’Assomption. On y découvre cette puissance d’originalité et de technique toujours recherchée et si peu rencontrée dans les œuvres que nous montre la génération présentement connue. Une seconde toile, (Un bateau Phénicien) qui se trouve au Palais de l’Unesco à Beyrouth, rappelle l’activité des Phéniciens et leur attachement à la mer et aux voyages. Enfin, une troisième toile, (L’ancien Beyrouth) et son vieux port exprime toute la richesse et la spontanéité de la vie de l’Homme en général, ainsi que la misère et les drames humains. Le mélange et l’affinité des couleurs, notamment le rouge, couleur sans limites et chaude ont prouvé que la vie de l’artiste à l’époque, était agitée et débordante. Notons à cette occasion qu’Omar Ounsi est un homme qui regarde autour de lui, près de lui, qui ressent une ivresse au spectacle déployé et qui voudrait faire passer la sensation de cette ivresse sur l’espace restreint d’une toile.

L’atelier d’Omar Ounsi

En 1954, un jeune peintre kesrouanais, Joseph Mattar, qui est dans la plénitude de ses forces créatrices et foisonne de nouveaux projets, vint trouver Omar Ounsi et lui expose ses théories et ses projets d’avenir concernant la peinture. Ounsi accueille Mattar avec bienveillance. Il lui ouvre son atelier et maintient avec lui des relations aussi étroites que possible. De son coté, Joseph Mattar va fréquemment rendre visite à son grand maître et ami. Il trouve auprès de lui ce qui lui est plus que jamais nécessaire: un appui moral et une technique artistique. En effet, le lyrisme de Mattar, son intuition créatrice et son pinceau magique ont incité Omar Ounsi à mieux étudier son évolution artistique. Il lui répétait souvent cette phrase : «L’artiste ne note pas ses émotions comme l’oiseau module ses sons, il compose». Ainsi, Joseph Mattar, grâce à l’école d’Omar Ounsi, s’engage sur la voie qu’il sait être la sienne désormais. Il écoute, ne manifeste aucune mauvaise volonté et se range aux avis exprimés par son ami. Il s’agissait du symbolisme pictural qui met l’accent sur la valeur décorative du tableau. L’avenir s’est éclairci. Joseph Mattar est heureux. Il demeura fidèle à son maître durant quinze ans, jusqu'à sa dernière heure.

Sa maladie

«Durant ses dernières semaines d’existence, nous dit Joseph Mattar, Ounsi a souffert atrocement. Sa santé de plus en plus chancelante, accroît son incapacité à demeurer longtemps actif ; les crises se succèdent durant deux ans. En 1967, il subit une première opération à l’estomac. Il parvient a récupérer ses forces, mais pas pour longtemps. Il essaie de lutter et bientôt il comprend que le meilleur parti pour lui est de déserter définitivement son atelier. Le 3 juin 1969, Omar Ounsi est terrassé, en pleine rue, par une crise aigue. Il s’écroula d’une masse et son épouse, qui n’avait jamais cessé de l’aimer ne peut que constater son décès.»

Le souvenir d’Omar Ounsi

Evoquant le souvenir d’Omar Ounsi, son grand ami, le peintre Joseph Mattar, nous dit notamment:

«Omar Ounsi n’existe qu’en fonction de ses pinceaux. Il était sincèrement attaché à la terre libanaise. Il aimait tous les paysages libanais d’une fièvre magique. Il a imprimé un rythme à ses toiles, leurs couleurs éclatent, atteignent une incroyable intensité. Ses nus et ses aquarelles sont les tableaux les plus fortement réalisés. On parle de lui, à l’époque actuelle dans les ateliers parisiens et internationaux. Le Kesrouan l’enchantait beaucoup. Souvent, ajoute Joseph Mattar, en dépit du mauvais temps, il recommençait avec moi ses promenades dans la compagne Kesrouanaise. Une fois de plus, notre grand maître confronte ce qu’il a appris avec ces paysages qui, d’année en année, il pénètre plus intimement. Nous découvrions ensemble, ces bords de rivière, ces forêts de pins, ces prairies verdoyants, ces molles collines, où tout est douceur, eaux nonchalantes, reflet, poudroiement de lumière, mariage des couleurs. En un mot, ce sont des paysages typiquement libanais qu’il choisit. Il aimait le sens du secret, la méditative lenteur. On peut dire enfin que l’œuvre d’Omar Ounsi, qui embrasse différents genres de peinture : «Portraits, paysages, nus, fleurs, composition», est particulièrement agréable et personnelle».

Et d’ajouter:

« Omar Ounsi avait un sourire significatif et naturel, d’une bonté et d’une amabilité rares, très spirituel et très actif. Il ne fréquentait pas les cafés-trottoirs de Paris et de Beyrouth (Hamra) et n’aimait pas la lecture des journaux, ni les films de cinéma. C’était un profond méditatif. Il aimait la beauté ainsi que la terre et les montagnes du Liban. Omar Ounsi était titulaire de la Médaille de l’Instruction, du Mérite Libanais, du Prix de l’Education Nationale et d’autres distinctions honorifiques.

«Omar Ounsi laisse un peu plus de deux cents toiles, aquarelles, portraits et natures mortes ».