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Karim Dakroub - Gepetto libanais propos recueillis

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Pas besoin d'un grand discours, il suffit de regarder les yeux espiègles et rieurs de Karim Dakroub pour comprendre instantanément sa passion. Depuis tout petit, il s'amuse à donner la vie à des marionnettes. Aujourd'hui, ce sont elles qui sont toute sa vie. L'Agenda Culturel a eu le plaisir de rencontrer le Gepetto libanais et en ressorti littéralement rajeuni...

Après avoir monté plusieurs pièces de marionnettes depuis 1992, Karim Dakroub s'est donné pour objectif de propager ce véritable art au Liban et de favoriser l'interaction avec son entourage arabe et méditerranéen. Ce magnifique pari l'a mené à la création en 1996 du Théâtre libanais de marionnettes, ainsi qu’à l'organisation de nombreux festivals.

L'Agenda Culturel: Qu'est ce qui vous a amené à côtoyer ce monde féerique de la marionnette et à en faire votre métier?

Karim Dakroub: L'art de la marionnette est une activité magique, mystérieuse. Des qu'on y touche, on ne peut plus s'en séparer... Et puis, il y a une satisfaction complète de donner vie à un objet. Je m'amuse avec des marionnettes depuis que je suis tout petit. Pendant la guerre et pendant mon adolescence, elles ont été pour moi comme une sorte d'abri psychologique. L'art de la marionnette était une façon d'échapper au quotidien difficile que nous vivions. Ensuite, j'ai décidé d'en faire mon métier. Je suis donc parti en Russie, à Moscou, puis St. Pétersbourg, ou j'ai étudie la mise en scène et les marionnettes. Mon projet de fin d'études a été présenté à Charleville-mézières en France, la capitale de la marionnette.

A.C.: Pourquoi avoir choisi la Russie?

K.D.: Quand j'étais jeune, j'ai commencé les marionnettes au Club culturel arabe avec Maha Nehmé, puis avec la Défense civile et enfin au Centre culturel russe qui m'a permis d'obtenir une bourse pour aller étudier en Russie.

A.C.: A votre retour au Liban, dans quel état se trouvait le théâtre de marionnettes?

K.D.: C'était clair que la profession n'existait pas. Bien entendu, il y avait des activités de marionnettes mais cela restait dans le domaine familial. Le Liban a connu, tout comme la Syrie, la Jordanie, la Palestine, une grande tradition de théâtre de marionnettes, notamment avec le célèbre personnage Karakoz, venu de Turquie et avec le théâtre d'ombres. Mais elle s'est amenuisée jusqu'à disparaître au début du XXème siècle. Dans les années 60, les marionnettes sont revenues dans les familles mais c'est tout.

A.C.: Vous avez créé le Théâtre libanais de marionnettes en 1996, comment le projet a-t-il été accueilli?

K.D.: Cela a été difficile. C'était bizarre pour les gens que je sois diplômé en marionnettes! Et puis il fallait tout faire, tout inventer. C'était la fin de la guerre et les activités artistiques commençaient juste à renaître. Mais les spectacles ont été bien accueillis. Les gens ont fini par apprécier ce nouveau langage, frais, avec une identité propre.

A.C.: Quelle identité?

K.D.: J'ai essaye de faire un mélange entre mon identité libanaise et arabe et celles que j'ai pu rencontrer lors de mes voyages. J'ai aussi essayé de ne jamais imiter l'occident. Grâce à cette identité très claire, j'ai trouvé cette identité à la fois multiple et unique. Et puis le théâtre de marionnette à cette particularité de mêler d'autres arts, d'autres techniques, tels que la danse, la vidéo, les arts plastiques, etc. On s'amuse ensuite avec tout ça. Il y a de nombreuses techniques de marionnettes qui dépendent des traditions de chaque pays, j'ai voulu dépasser ces traditions tout en les utilisant.

A.C.: A qui vous adressez-vous à travers cet art?

K.D.: Aux enfants la plupart du temps, mais aussi aux adultes, surtout lors des projets que nous faisons pour les festivals à l'étranger. Ces projets ne sont pas seulement des spectacles, ils peuvent êtres des colloques, des échanges théoriques, des ateliers. Un festival n'est pas but en soi, mais un moyen de faire connaître l'art de la marionnette comme une discipline large et indépendante adressée à la fois aux enfants et aux adultes.

A.C.: Vous avez lancé le Festival méditerranéen de la marionnette au Liban chaque deux ans...

K.D.: Oui, c'est une belle expérience d'échange que nous vivons depuis 1999 avec le soutien des centres culturels et de l'Union européenne. Ce festival est une occasion de présenter des spectacles venant de différents pays, d'organiser des colloques, des stages, des ateliers comme par exemple "Marionnettes et thérapie". Le champ est vaste! Nous participons à de nombreux festivals, notamment en Tunisie, en Turquie. Nous arrivons juste de Lyon en France où nous avons participé à un festival organisé par le Théâtre de Guignol en avril. Il s'agissait d'un colloque sur le théâtre d'ombres.

A.C.: Parlez- nous de l’association Khayal

K.D.: Khayal en arabe veut dire deux choses à la fois, ombre et imagination. C’est une association coopérative pour l’art et l’éduction. Notre but est d’introduire l’art sous toutes ses formes dans la société. Nous voulons montrer la nécessité des arts dans la société libanaise comme un langage civilisé pour la communication. Nous voulons promouvoir une éducation esthétique et artistique afin de réanimer le rôle des artistes dans la société. Nous ne faisons pas seulement des spectacles, nous travaillons en étroite collaboration avec des ONG, des organisations internationales. Il y a des points communs entre nos objectifs: l’environnement, le droit des enfants, l’éducation, la santé, la promotion de l’art.

A.C.: Cela rejoint votre initiative de théâtre ambulant

K.D.: Oui, avec cette initiative, nous allons dans tout le pays, dans des endroits reculés, afin d’y amener les arts et de faire découvrir les marionnettes à des gens qui n’ont pas d’accès à la culture. C’est une des choses les plus intéressantes dans mon métier! Nous avons déjà fait des représentations dans plus de 300 villages sans avoir besoin de scènes équipées. Nous faisons avec les moyens du bord et ça marche. Nous apportons nos propres programmes mais aussi des programmes de sensibilisation. Par exemple, nous allons prochainement présenter, en septembre, un programme de sensibilisation à l’environnement dans les écoles publiques du pays, en partenariat avec l’université de Balamand.

A.C.: Quels sont vos autres projets à venir ?

K. D.: Nous ne sommes pas au Liban cet été, nous partons en tournée en Jordanie, au Danemark et en France. Nous présentons notre création “Mille et une roses” à Avignon et au festival de Charleville-Mézières. En septembre, nous avons des activités au Portugal avec le réseau “voyage de gestes” qui regroupe des formateurs de différents pays et de différentes disciplines (danse, chante, contes…). En octobre, nous commencerons notre nouvelle création qui sera présentée au théâtre Tournesol et au théâtre Athénée de Jounieh. Et en février 2007, nous invitons une artiste française, Lucia Carbone, qui s’adressera aux enfants de 0 à 4 ans.

A.C.: Pouvez- vous nous donner un avant-goût de votre prochaine création?

K.D.: Notre spectacle abordera la notion de futur, comment nous serons dans 40 ans et comment nous verrons le monde de maintenant avec le recul. Nous parlerons aussi du mur, de façon symbolique, entre les gens, entre les générations. Ce sera un spectacle sur la communication.

A.C.: Le théâtre de marionnettes se porte donc plutôt bien au Liban?

K.D.: Nous essayons en tout cas de faire vivre le théâtre de marionnettes et d’encourager les gens à travailler sérieusement dans ce domaine. Et la réponse semble positive. C’est bien parti, on espère que ça va durer.

Karim Dakroub - Gepetto libanais propos recueillis par Emilie Thomas, Agenda culturel n'284 du 18 au 31 octobre 2006.