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Le Caire à l’époque fâtimide

A. Les Fâtimides et la ville du Caire

1 - La dynastie fâtimide

Les Fâtimides revendiquaient une ascendance alide et tiraient leur nom de Fâtima, fille du Prophète et épouse du quatrième calife, ‘Alî, mais cette descendance était très contestée. Le califat fâtimide représente la réussite la plus complète et la plus durable de l’ismaélisme, mouvement radical du shiisme.

Le premier calife fâtimide ‘Ubayd Allâh fut chassé en Syrie puis en Ifriqiya, où il parvint à renverser les gouverneurs aghlabides avec le soutien des Berbères sédentaires. En 910, il se proclama calife dans la mosquée de Kairouan.

Il fonda une première capitale, Raqqada, en reprenant des structures architecturales déjà existantes, puis il fit construire une deuxième capitale en 920, Mahdiya (« la Messiatique »). Mahdiya est naturellement bien protégée par la mer et est entourée par une forte muraille. La ville est réservée au calife et à sa cour et isolée du reste des activités économiques. ‘Ubayd Allâh y fait construire deux palais, des marchés utiles à la cour et une mosquée (dispositif particulier : entrée monumentale avec deux minarets massifs aux angles).

Le troisième calife al-Mansûr fonda en 948 sa propre capitale, Sahra al-Mansûriya, qui est également une ville princière isolée.

2 - Le Caire fâtimide

En 969, les armées fâtimides dirigées par Jawhâr parviennent à prendre le Caire. Le calife al-Mu‘izz n’y arrive lui-même qu’en 973. Il fonde à côté des petites agglomérations déjà en place al-Qâhira, « la Victorieuse ». La fondation est faite sous la direction d’astrologues.

Grandeur et apogée (969 – années 1060)
- La mosquée al-Azhar est construite en 969 et remaniée jusqu’à aujourd’hui. Elle devient dès 989 un lieu d’enseignement de la doctrine ismaélienne. Les niches et médaillons de la façade sur cour sont caractéristiques de la période fâtimide.
- La mosquée al-Hakim est construite de 990 à 1012. On y retrouve le même dispositif de façade qu’à Mahdiya.

Période de crise
A partir des années 1060 les Fâtimides ont du mal à garder leur pouvoir dans des régions où ils ne sont plus en place. Une crise interne survient aussi avec la révolte des populations locales et les problèmes de famine. Le chef des armées reprend les choses en main mais le calife n’a plus qu’une fonction symbolique. Les édifices sont construits sous l’instigation d’émirs, de vizirs, et sont donc moins imposants : mosquées, mausolées, architecture défensive (Badr al-Jamari).

B. Le Palais fâtimide d’al-Qâhira

1 - Les sources textuelles

On utilise plusieurs sources pour reconstituer l'apparence et la vie du palais du Caire à l'époque fâtimide:
- les récits d'historiens et de chroniqueurs: al-Maqrizi : (historien du XVe siècle qui s’appuie sur des historiens antérieurs), Ibn ‘Abd al-Zâhir (XIIIe), Ibn ‘Abd al-Tuwayr (XII-XIIIe)
- le récit du voyageur Nâser-e Khosrow, qui arrive au Caire en 1047 et livre une description assez développée du palais
- le récit de deux ambassadeurs du Roi Amaury Ier de Jérusalem au XIIe siècle.

2 - Vue d’ensemble d’al-Qâhira

La ville est naturellement délimitée par un cours d’eau. Elle est entourée par une série de portes. Il existe une dizaine de quartiers réservés aux différents groupes de l’armée fâtimide.
Le Grand Palais ou Palais oriental est le palais du calife et de l’administration. Le Petit Palais ou Palais occidental est construit sous al-Aziz pour être le palais du futur calife.
Un grand axe traverse la ville. L’esplanade entre les deux palais accueillait les cérémonies officielles importantes (parades de chevaux, accueil des ambassadeurs, etc.). Elle était fermée au public en dehors de ces cérémonies.

C - Analyse des palais fâtimides d’après les sources

Le Palais oriental

Le palais est composé de 12 pavillons carrés de même dimension communiquant ente eux, construits en pierre de taille (cuisines à l’écart).
Seule la salle du trône est plus petite, mais semble en même temps particulièrement monumentale. Un cérémonial important était mis en scène dans cette salle (le calife attendait les ambassadeurs caché derrière un rideau, sur un trône en or). Tout un cérémonial de cour se met en effet en place sous les Fâtimides, et les insignes du pouvoir sont réintroduits pour célébrer la grandeur du calife.
Les portes du palais :
- la Porte dorée : c’est probablement depuis cette porte que le calife assistait aux cérémonies qui se déroulaient sur l’esplanade.
- la Porte de la ‘Ayd : dispositif semblable à celui de Bagdad
- la Porte du Vent : porte en pierre, inscription en kufique sur le linteau. Elle précédait un long passage de 32m donnant accès à l’intérieur, comme à Mahdiya.
- Bâb al-Bahr
- la Porte de fer : elle venait probablement de la Dâr al-Imâra de Fustat. Elle sera remployée au XIIIe siècle par le Sultân Baybars dans un caravansérail (pratique fréquente du monde islamique, qui vise à marquer la domination du pouvoir actuel sur le pouvoir précédent).
Il existait probablement de nombreux rituels pour franchir ces portes.

Le Palais occidental

Un passage souterrain joignait les deux palais. Le Petit palais ouvrait sur un vaste jardin de cent mille m², réservé aux femmes du Harem.
Le Palais comportait une bibliothèque de 40 salles ainsi qu’un Trésor.

Les héritages des autres capitales d’Ifriqiya sont palpables dans ces deux palais :
- Mahdiya : deux palais se faisant face, proches d’une mosquée, porte de fer, porte avec un long passage derrière.
- Bagdad : dispositif de la Porte de la ‘Ayd
A la fin du Xe siècle, Le Caire dépasse largement Bagdad pour le luxe de sa vie quotidienne.
3. Arts de cour et luxe fâtimide

1 - Les décors des palais

On a parfois attribué aux palais des poutres sculptées, des panneaux de revêtement, des muqarnas.
On a retrouvé des panneaux de bois sculptés et finement ciselés, le bois étant complètement ajouré par endroits. Les sculptures et incisions introduisent des effets de profondeur et de volume dans des éléments très fins.
Des frises épigraphiques devaient orner le décor architectural dans les parties hautes des murs.

2 - Le trésor des Fâtimides

Dès les premières années du règne, les Fâtimides cherchent à amasser des trésors afin de rivaliser de splendeur avec l’adversaire et de montrer leur propre magnificence. Le trésor du palais comportait une très grande quantité de productions luxueuses : vases en or et en argent, armes, textiles, perles, pierres précieuses… Il a été dispersé dans tout l’Orient et l’Occident à la suite de vols et de pillages.
A l’intérieur du trésor, des salles étaient réservées à certains types d’œuvres. Il semble qu’il y avait également des ateliers.

Les ivoires et bois
On a retrouvé des éléments de coffret, des panneaux décoratifs représentant les animaux ou les plaisirs princiers.

Les cristaux de roche
Ce sont des pièces sculptées petites, voire très petites, au décor taillé et gravé. A la chute du califat, Saladin a dispersé le trésor, et beaucoup de ces cristaux se sont retrouvées dans les trésors d’églises, ce qui explique que ce soit un des matériaux qui le mieux subsisté. On y a parfois ajouté une monture qui transforme complètement l’objet.

Le Caire à l’époque fatimide

Bibliographie

- Marianne Barrucand, L’Egypte fatimide : son art et son histoire, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999.

- Marianne Barrucand (dir.), Trésors fatimides du Caire: exposition présentée à l'Institut du monde arabe, 27 avril-30 août 1998, Paris, Institut du monde arabe, 1998.

- Clifford Edmund Bosworth, Les dynasties musulmanes, Paris, Sindbad, 1996.

- Oleg Grabar, La formation de l’art islamique, Paris, Flammarion, 1987.