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L’art thérapie - Réflexion par Joanna Rizk

L' art thérapie, c’est l’art qui soulage. Cette psychothérapie de créativité s’adresse à tous les arts sans exception, et les changes en voie de libération et de transformation.

L’art thérapie est une méthode s’appuyant sur la créativité comme outil du développement personnel et comme instrument de la psychothérapie. A l’intérieur d’un espace particulier, l’atelier ou la scène, le thérapeute aménage et organise le terrain d’expression du patient. Celui-ci crée alors une forme plastique, musicale, gestuelle, dramatique, littéraire ou poétique. L’activité artistique, processus de guérison par excellence, replace le sujet dans un mode d’échanges, où il s’engage pleinement, et communique ses émotions, son intimité, ses idées. L’art thérapie est donc une psychothérapie de créativité. Ici, la référence à l’art est secondaire, on parle plutôt de médiation artistique, ou bien de médiateurs de l’expression. Le choix de telle ou telle discipline dépend des goûts du patient et des compétences de l’art thérapeute.

Par ailleurs, l’utilisation du media sélectionné se fait aussi en fonction de la pathologie du malade : quelquefois, la technique psychothérapeutique utilisée préconise l’emploi d’une discipline artistique spécifique.

Mais à qui s’adresse l’art thérapie ? Au sens large, cette discipline est orientée vers tout public souhaitant se libérer de blocages, et désireux de se découvrir, dans le public souhaitant se libérer de blocages, et désireux de se découvrir, dans le cadre d’un développement personnel ou psychothérapeutique. L’art thérapie est ainsi exercé dans les associations d’aide et d’intégration sociale et culturelle. Il s’adresse par exemple aux personnes traversant des périodes de vie difficiles (séparation, maladie, deuil, chômage), à la recherche d’un soutien, d’une écoute et d’une réorientation dans la vie personnelle ou professionnelle. Outil de connaissance de soi, la création aide à canaliser et à transformer les émotions fortes. Elle peut donc servir de cadre au progrès individuel : dans la prévention contre la toxicomanie, par exemple, elle offre un soutien pour les adolescents issus d’un milieu social défavorisé. Et à l’intention d’enfants ayant des troubles comportementaux ou des difficultés scolaires et familiales, l’acte créatif met en place une espace d’expression, de soutien et d’écoute. Dans un sens plus restreint, on a recours à l’art thérapie au sein de structures médico-psychiatriques dans le but d’apaiser les souffrances psychiques. C’est un outil d’aide aux personnes souffrant de troubles psychologiques (schizophrénie, autisme, etc.), ou bien celles ayant des difficultés de communication verbale (certains handicapés, par exemple). C’est donc une pratique majeure chez des sujets souffrant d’une incapacité à symboliser la vie pulsionnelle et imaginaire, ou à verbaliser la vie affective et émotionnelle.

L’art therapeute, un artiste et un medecin de l’âme

Celui qui servira de « passeur » vers cette découverte de soi, c’est l’art thérapeute. Sa mission est de donner des moyens de s’exprimer au-delà des mots. Par la réflexion qu’il a pu mener sur l’art et sur la thérapie, et par les connaissances théoriques qu’il a acquises, l’art thérapeute est à même d’effectuer un travail à plusieurs niveaux : évaluer à chaque séance l’état d’un patient, choisir des thèmes de travail qui lui permettront d’aider ce dernier dans les domaines ou il est en difficulté, etc. Grâce à la précision de ses observations, l’art thérapeute peut évaluer ses résultats et les communiquer à une équipe de soin. Mais quel est le profil de l’art thérapeute ? C’est d’abord un artiste, réputé ou modeste. Ensuite, il doit déjà avoir l’expérience d’une profession paramédicale ou sociale : qu’il soit bénévole dans une association de quartier ou déjà engagé dans une profession d’aide, il est de ceux qui ont envie de répondre à la détresse de l’autre. Enfin, il doit avoir réalisé une démarche psychothérapeutique personnelle qui lui permet de comprendre le processus de mutation intérieure. Enfin, il doit avoir effectué une formation spécialisée, mêlant la pratique artistique (arts plastiques et de l’écriture, arts de la scène, histoire de l’art, philosophie, etc.), à la psychologie (concepts de base de la psychanalyse, théories psychanalytiques de l’art, etc.).

Parmi les techniques utilisées en art thérapie, la première place revient aux arts plastiques (dessin, peinture, sculpture, modelage, collage). La musique et les arts dramatiques (théâtre, mime, etc.) sont aussi utilisés lors de processus artistiques thérapeutiques. Moins répandus semblent la poésie, qui perpétue la tradition de la parole libératrice, et la danse, qui favorise la guérison par la découverte d’un nouveau langage non verbal, à travers les vibrations et les mouvements du corps. Quelle que soit la médiation utilisée, l’art thérapie s’adresse à tous les arts sans exception et les transforme en voie de transformation et de libération.

Évolution de la notion d’art thérapie

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. L’art thérapie est une notion relativement moderne. Et l’attitude vis-à-vis des troubles mentaux et des traitements éventuels était beaucoup moins évoluée qu’aujourd’hui. En effet, non seulement il n’y avait pas de thérapie en vigueur, mais surtout, pendant longtemps, les insensés ont été traités comme des animaux ou des criminels. Le seul traitement était l’enfermement, la réclusion. C’est au XIXe siècle qu’une évolution s’est produite, consistant en une division entre l’asile et la prison. Petit, on a médicalisé la folie, devenue maladie mentale.

Ce n’est qu’au début du XX siècle qu’on commence à s’intéresser sérieusement aux productions artistiques des malades mentaux. A ce moment-là, la psychiatrie allemande a une grande influence dans le monde, à travers, notamment, Freud. Le dessin et la peinture deviennent alors clairement des outils dans la psychothérapie et servent d’appui pour affiner un diagnostic. Et dans les hôpitaux psychiatriques, l’on demande aux chefs de service d’inclure, dans le dossier des patients, leurs productions plastiques. Depuis les années soixante-dix, des ateliers créatifs sont installés dans certains services psychiatriques, dans le monde entier. Les Etats-Unis, notamment, sont considérés comme le berceau de l’art thérapie où cette discipline est pratiquée depuis environ soixante-dix ans. Quant à la Grande-Bretagne, elle est le premier pays européen où la profession d’art-thérapeute a été reconnue par les services de Santé publique, en 1997. Enfin, en Allemagne, les assurances couvrent dans certains cas les frais de prise en charge.

Valeur artistique des œuvres des patients

Il y a donc un mouvement de va et vient entre le domaine de l’art et celui de la psychiatrie. Les conséquences de cette interaction sont que, d’une part, la pratique artistique devient une méthode psychothérapeutique à part entière. D’autre part, et c’est là une évolution majeure des mentalités, les œuvres des patients des hôpitaux psychiatriques deviennent des objets de curiosité et de collection avec l’impulsion de médecins comme Prinzhorn, ou d’artistes comme Jean Dubuffet.

La particularité du Dr Hans Prinzhorn est qu’il est le premier à considérer les productions des malades mentaux sous un œil d’artiste. Lui-même était un artiste, partagé entre l’étude de l’art, l’apprentissage du chant, un intérêt pour les Indiens Navajos et l’apprentissage du violoncelle. Puis pendant la guerre, l’idée lui est venue d’aider son prochain, en pratiquant la médecine puis la psychiatrie. En deux ans, de 1919 à 1921, Prinzhorn a recueilli des dessins, des peintures, des manuscrits et des objets créés par des patients d’hôpitaux ou d’autres institutions psychiatriques. Il arrive à une compilation de 4000 ou 5000 dessins qu’il classe dans un ouvrage intitulé L’Expression de la folie, publié en 1922. La valeur intrinsèque des œuvres collectées fut reconnue avec enthousiasme par les avant-gardistes de l’époque. Max Ernst, Paul Klee, Alfred Kubin… furent émerveillés. Ils ont tenu à saluer comme leurs pairs, ces créateurs anonymes reclus derrière les murs des asiles.

Donc on se rend compte qu’un malade mental peut être un artiste. C’est à ces marginaux que s’est intéressé Jean Dubuffet, qui crée en 1948 la Compagnie de l’art brut. Dés 1945, Dubuffet s’était mis en quête d’œuvres «extra-culturelles», notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Il a amassé ainsi une importante collection d’œuvres diverses, impressionnantes de violence et de cruauté, dont la valeur réside dans le fait le fait que ce sont «des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique», et qui n’ont aucun rapport avec des œuvres qui sont consacrées par la tradition ou par les tendances à la mode.

Influence de l’art thérapie sur les courants artistiques

L’«art des fous» va de plus en plus côtoyer les courants de l’époque : art primitif préhistorien, océanien ou africain, art brut, surréalisme. Sur le plan littéraire, des écrivains comme André Breton franchissent les passerelles entre le conscient et l’inconscient, le réel et l’imaginaire. Dans Nadja, Breton, confronté au vrai visage de la folie, témoigne de l’inquiétude d’un homme devant sa propre identité. «Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ?». Sur un autre plan, la première exposition institutionnelle d’art psychopathologique fut présentée à l’occasion du premier congrès mondial de psychiatrie à Paris en 1950. Elle comportait environ 1500 œuvres picturales ainsi qu’un certain nombre de sculptures et de broderies dues à quelque 300 malades de 17 pays du monde. Depuis lors, les expositions consacrées aux productions artistiques des malades, ou à l’art brut, se sont multipliées dans les galeries, les musées, les centres de soin et les cliniques.

Si les œuvres plastiques sont de plus en plus retenues à des fins artistiques, en revanche il est important d’établir une distinction entre l’artiste et le malade mental. Chez ce dernier, en effet, il y a, au départ, un désordre complet dans l’expression, alors que l’artiste est en principe quelqu’un qui maîtrise son art. Par ailleurs, la finalité des œuvres n’est pas la même : à la différence de l’artiste, le malade s’exprime pour un public restreint, l’équipe thérapeutique, et sûrement pas la foule des expositions. Enfin, l’art thérapie est constamment orienté au bénéfice de la personne plutôt qu’au bénéfice de l’œuvre seule, comme dans un atelier d’art.

Aujourd’hui, l’art thérapie apparaît en connexion avec des champs d’une grande diversité. Thérapie individuelle, thérapie de groupe, thérapie familiale et thérapie institutionnelle. L’expression artistique est un complément aux soins de l’âme. C’est l’art qui fait du bien. Révélatrice du potentiel créateur, des émotions bloquées, des rêves et visions enfouis dans l’inconscient, l’art thérapie libère les images intérieures, en les transforment en voies de connaissance et de développement personnel.

Joanna Rizk, Esquisse, Magazine d'art numéro 6, Juillet 2002 Liban